Ségolène Royal, nul ne peutl’ignorer, conduit en Poitou-Charentes une liste pour les élections régionalesde mars 2010. Cette liste est sans appartenance partisane nettement affichée, notammentau Parti Socialiste dont la présidente sortante avait pourtant appelé lesmilitants à la choisir pour conduire la liste du Parti en décembre dernier.Cette liste « (…) républicaine et humaniste » rassemblesyndicalistes, socialistes, transfuges du Modem, ancien militant communiste. Cechoix assumé et imposé de Ségolène Royal génère, à l’approche de la campagne,nombre de doutes et d’interrogations légitimes chez les militants etsympathisants socialistes voire au sein des co-listiers. Mais, au delà del’épisode de cette prochaine élection que la présidente sortante gagnera àl’évidence, ce choix pose, plus fondamentalement, trois questions redoutablesqui touchent à la réalité profonde de la démocratie dont se réclame pourtantavec force la candidate mais aussi nombre d’autres femmes ou hommes politiquescontemporains.
1- La politique n’est-elle qu’unetechnique ? Rassembler, sur une liste composite proposée auxsuffrages des citoyens, les compétences d’où qu’elles viennent pourvu qu’ellessoient avérées et adhèrent au credo d’un leader charismatique, suffit-il àépuiser l’idéal démocratique ? La politique qui est, notamment, l’art derésoudre, dans l’intérêt général, les problèmes complexes auxquels sontsoumises les sociétés et les populations, tout particulièrement leurs groupesles plus fragiles, ne serait donc qu’une question de technique, c’est à dire demoyens de parvenir à des fins désirables ? De quel bord qu’ils viennent,tous les candidats seraient-ils les bienvenus pour briguer les suffrages sur unemême liste ? Droite et Gauche pourraient donc être mêlées car seule lacompétence et le volontarisme seraient nécessaires ? Adieu les sectarismes, àbas les appareils ? Répondre par l’affirmative à ces questions n’est-cepas rendre secondaires les principes et les valeurs qui précèdent et fondentl’action politique ? Si la politique ne peut se limiter à dessiner l’imaged’une société idéale, du moins gagnerait-elle, en démocratie, à faire desliens, ici et maintenant, entre l’idéal et le possible. Sacrifier le premier ausecond rabaisse la politique au rang de l’instrument, déresponsabilise lecitoyen puisqu’il n’a plus le choix qu’entre le « bien » (qu’imposela bonne technique) et le « rien » (auquel condamne son refus).Sacrifier l’idéal au possible creuse l’écart entre une supposée élite, garantede la pertinence technique, et un peuple rendu passif car à peine mobilisé letemps d’une consultation formelle et contrainte. La politique doit surgir duchoc entre les valeurs et le réel. Le débat qui en découle, doit cliver, ildoit troubler, il doit enrichir. Le débat doit grandir et faire grandir. Endémocratie, la politique ne peut pas être qu’une technique.
2- Les partis politiquesservent-ils à quelque chose ? S’affranchir, au point de l’effacer,de toute référence à un parti (le Parti Socialiste) ou à une famille exclusive(la Gauche) est un choix de Ségolène Royal et de quelques autres qui semblentpercevoir les partis comme des appareils sclérosants, enfermés dans des jeux depouvoirs aussi vains qu’incessants, centrés sur la défense stérile deterritoires idéologiques et donc désormais bien inutiles. Les partis politiquesne seraient-ils que des instruments inadaptés aux défis de notre nation et denotre République ? Ne seraient-ils que des « clubs » voués aux combatsinternes, aux discussions, élucubrations et tactiques fumeuses ? Même sil’on feint de ne pas s’étonner qu’une candidate naguère mobilisée pour conduireun parti, s’en éloigne et le voue, peu après, aux gémonies, l’on peutlégitimement s’interroger sur des acteurs politiques qui s’affranchiraient, entoute connaissance de cause, de ces organes nécessaires entre tous pourincarner des valeurs et des idéaux. Car les partis s’inscrivent dans unehistoire, ils sont les lieux de construction des idées et des programmes, desélection des plus aptes d’entre leurs membres. Les partis alimentent le débatpublic et nourrissent la démocratie. Imparfaits comme le sont tous les groupeshumains, les partis devraient-ils être contournés, pointés du doigt, voire effacés? La démocratie ne peut pas se passer des partis.
3- La démocratie se résume-t-ellel’élection ? Seule la victoire est belle ! Tout doit lui êtresacrifié semble dire Ségolène Royal qui mobilise ses électeurs sur leslogan : « Pour nous, c’est elle ! »ou Georges Frêche qui prend des électeurs d’où qu’ils viennent. Personne nepeut pourtant honnêtement leur reprocher de vouloir poursuivre une actionpolitique, à bien des égards reconnue, nécessaire et utile à leur région.Personne ne peut condamner une femme, un homme politique ou une équipe quisouhaite voir triompher ses idées, ses options, son programme. Personne ne peutreprocher à un candidat de vouloir recevoir un assentiment populaire massif. Laquestion n’est pas là, elle ne l’a jamais été. La question est celle des basessur lesquelles le candidat cherche cet assentiment. Un programme clair ? Unprojet construit collectivement ? Une équipe homogène et soudée ?Fort bien ! Cela peut-il suffire ? Pour le démocrate, cherchant unemajorité pour conduire son action, cela pourrait et devrait suffire. Pourtantil arrive que, par un basculement redoutable, la tactique ou le cynismel’emportent sur la stratégie. Ce n’est plus le projet d’action qui, mobilisantune majorité de citoyens, fait en premier l’élection. C’est, au contraire, lafabrication minutieuse d’une majorité d’électeurs qui devient le principalgarant de la victoire. Les listes balaient alors large, très large ! C’estla tactique, insatiable consommatrice de sondages et de calculs, qui consiste àattraper des électeurs, le plus grand nombre possible d’électeurs. Le risqueest très grand de faire de l’élection non plus un temps parmi d’autres de ladémocratie, mais le seul temps concédé à l’électeur pour désigner, très vite etpour le plus longtemps possible, le « chef » le plus« populaire ». Doit-on perdre son âme pour ne pas risquer deperdre une élection ? La réponse est négative, définitivement négative, carmême la crainte de voir élire l’autre camp ne pourra jamais servir de viatiqueau démocrate.
Ces trois questions, chacunl’aura compris, dépassent largement la géographie de Poitou-Charentes et letemps court des élections régionales. Elles ont pris une acuité touteparticulière, ces dernières années, tant elles on été éludées par la classepolitique au pouvoir. Elles sous-tendent les bases de nos démocratiesélectives. Des réponses qui leur seront apportées par les militants, par lescandidats à l’élection mais aussi par les élus nationaux ou locaux, dépendl’engagement des citoyens vers un peu plus ou beaucoup moins de motivation pours’exprimer sur les affaires de la cité. Là est la question.
Daniel Vailleau, militantsocialiste, le 16 février 2010.