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Billet de blog 25 mars 2010

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Pour les utopies

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Hypothèse : tout le monde a le même revenu. Discutez.
La démocratie bourgeoise nous a éduqué à raisonner dans le court terme (élections...) et l'immédiatement possible. On ne pose donc plus jamais la question d'un objectif final, genre, "vous voulez aller vers quelle société ?", "Vos projets pour la prochaine législature sont cohérents avec quel type de vivre-ensemble dans...1000 ans ?". Ou dans 100 ans, peu importe puisque ce qu'il faudrait c'est de se découpler du "projet gouvernemental" à court terme.
Cela ne veut pas dire que la vie politique destinée à gérer l'urgence soit indigne d'intérêt. Mais il est dommage que personne ne développe aujourd'hui des perspectives à plus long terme.
Si le capitalisme nous a contraints à n'envisager que des solutions pour tout de suite, sa rivale historique, l'économie planifiée, n'a pas clairement cassé cette logique (même si elle y a contribué tout de même) : en effet, le socialisme utopique est aux marges du marxisme, lequel a eu tendance à mettre beaucoup en avant son aspect "scientifique", présentant la transformation voulue comme inéluctable, ce qui dispensait presque de la formuler...
Je propose donc de remettre à l'honneur l'utopie. De poser très clairement aux gens (et aux partis...) la question de l'objectif final. Il faudra bien sûr préciser qu'il n'y a là qu'apparente naïveté : on sait bien que l'histoire à venir, que le cours des choses, les imprévus, ne permettent pas d'atteindre un jour l'idéal fixé (qui se modifiera d'ailleurs au fil des générations). Mais ce n'est pas grave, on ne demande pas de réaliser l'objectif final mais simplement d'agir en cohérence avec ce que l'on souhaite aujourd'hui pour un demain meilleur dont le terme n'est pas fixé.
L'idée de partir de la question des revenus égaux pour tous (concrète, banale, etc) m'est venue parce que l'on discute beaucoup pour le moment (crise existentielle du capitalisme oblige...) des salaires des patrons et de leurs "parachutes dorés", alors que les autres salariés souffrent. Des débats sont organisés et on songe à limiter les revenus des grands patrons, rappelant au passage qu'une part de plus en plus grande de la richesse produite va vers les profits plutôt que les salaires. Certains (Edwy Plenel) vont jusqu'à proposer que l'échelle des salaires dans les entreprises soit limitée et qu'elle aille (c'est Plenel toujours qui propose) de 1 à 3, ou 5, ou 10. Et - comme il avait auparavant cité le revenu médian des salariés français (1600 Euros et quelques, ce qui signifie qu'un salarié sur deux gagne moins que ça), il défend son échelle de 1 à 10 en s'exclamant : "15 000 Euros par mois, c'est déjà énorme !". (source : Mediapart, 29 mars 2009).
Ce qui me frappe, c'est que les gens qui sont autour de 1600 Euros perçoivent comme énormes des écarts bien plus petits. Celui qui gagne 2000 Euros se rend compte de la misère de son collègue qui gagne 1200 Euros, et qui pourtant fait en gros la même chose que lui : il se lève le matin, va travailler 8 heures puis rentre chez lui. Un écart de 1 à même pas 2, mais c'est déjà scandaleux.
Il est étrange (non, pas vraiment puisque c'est voulu, mais bon...) que la pratique des élections n'ait pas permis aux plus nombreux de briser les inégalités. La culture de l'immédiatement possible y est pour quelque chose. Mais aussi la maîtrise que les riches ont des moyens de diffusion d'idées, ce qui leur a permis d'imposer comme "naturel" le fait qu'il y ait des écarts de revenus selon le niveau de scolarité (diplômés), le "risque" pris (investisseur, chirurgien), la "popularité" (artistes, sportifs), etc.
Celui qui fait moins d'études est-il moins utile socialement ? Est-il plus ou moins nécessaire qu'il y ait des avocats, des maçons, des professeurs, des ramasseurs de poubelles ? N'est-ce pas surtout une question idiote ?
Au lieu de mesurer les métiers à l'aune de leur urgence et de leur nécessité, on pourrait parler de leur pénibilité par exemple. Et dans ce cas (c'est d'ailleurs une des objections les plus sérieuses à l'égalité totale des revenus), comment trouver des gens qui seront prêts à faire ces métiers rebutants ? Il faudrait presque mettre en place une inégalité salariale pour attirer des gens vers ces métiers difficiles. Début de réponse possible : mettre en place une sorte de service civil obligatoire ?
Mais on pourrait aussi mesurer les métiers en termes de reconnaissance sociale et de satisfaction personnelle. Etre celui qui soigne les autres, même pour un salaire identique à celui du maçon, c'est très motivant et porteur de prestige (et physiquement plus confortable). Nul besoin d'un yacht à Monaco pour savourer ce plaisir.
Dans le cas où on égaliserait entièrement les revenus, l'immense majorité de la population en bénéficierait. Il est pour le moins curieux que cette majorité ne s'exprime pas en ce sens. Surtout que les possédants nous prétendent qu'un vrai partage de la richesse est impossible parce que l'être humain serait génétiquement égoïste. Où est cet égoïsme chez les pauvres s'ils laissent les riches se remplir la panse ?
Il faut donc répandre l'idée, la populariser. Et montrer en quoi un partage réel peut profiter à tout le monde, même dans le cadre d'une baisse de la richesse globale : le degré de frustration sera plus bas (et la délinquance aussi) si personne ne vous écrase de son aisance à côté de vous.
Vouloir que chacun ait les mêmes revenus ne signifie absolument pas que chacun fait ce qu'il veut et puisse choisir de se tourner les pouces. Il y aurait bien évidemment la contrainte que chacun travaille selon ses possibilités. Le contrôle pourrait prendre des formes diverses mais pas uniquement autoritaires si le travail est socialement valorisé et culturellement associé à la dignité de chaque individu.
Cela dit, si l'on veut pousser le raisonnement à ses limites, il faut avoir l'honnêteté d'inclure dans l'égalité des revenus le monde entier. Et c'est là qu'il faudra se dire et se répéter que l'impression de richesse résultant de l'égalité devra permettre que nous nous accommodions d'une baisse réelle du confort matériel.
Et j'insiste sur "matériel".
D'autres types de conforts en naîtront.
Ce thème-jeu d'une société sans écarts de salaires peut être enrichi par n'importe qui. Inutile d'avoir fait de longues études pour imaginer les conséquences possibles, les complications, les cas particuliers. Chacun peut s'y mettre et travailler ainsi à l'élaboration d'une utopie. C'est bien, d'une certaine manière, un jeu.
Certains diront que l'égalité complète des revenus est un rêve petit-bourgeois où l'on fait encore des comptes d'apothicaires, que le communisme, au contraire, ne prône pas du tout ce type d'égalité mais qu'il promet l'abondance pour tous. L'entourloupette est jolie, il faut l'admettre. Je précise que le concept d' "abondance", dans ce contexte, est beaucoup moins niais qu'il n'y paraît au premier abord : personne ne prétend qu'il y aura des Rolex pour tout le monde... Qu'est-ce qu'on en foutrait d'ailleurs ? On laisse ça aux pauvres d'esprits.
Voilà. J'ai ouvert ce fil plus dans l'esprit d'y recueillir des idées que d'entrer dans un combat entre les "pour" et les "contre", même si c'est en partie inévitable.
Et je répète que les arguments du type "c'est impossible" sont dans ce cas un peu de l'ordre du truisme. C'est impossible aujourd'hui, maintenant, tout de suite, mais ce n'est pas impossible à imaginer et le seul fait de l'imaginer est une manière de faire avancer les choses.

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