Hier, comme certains d’entre vous ?, j’ai participé au rassemblement place de la République en solidarité avec les réfugiés. J'ai croisé nombre de visages connus, nombre de visages inconnus. Et cela faisait du bien de se dire que face aux drames humains, on pouvait enfin faire entendre d'autres réactions citoyennes que celles qui courrent derrière le FN.
Bien sûr, je peux comprendre l’amertume de nombre de militant-e-s qui se sont sentis bien seuls ces dernières années, dans les si nombreuses manifestations moins massives (quoiqu’on aurait aimé qu’il y ait plus de monde hier également) auxquelles j’ai à maintes fois participées.
Manifestation d’émotions ? Heureusement que l’image a créé cette émotion qui réveille l’humanité au fond de chacun. N’avons-nous pas regretté que toutes les images antérieures de bateaux échoués ne provoquent pas plus d’émotions ? L’émotion peut permettre une prise de conscience. Certes elle ne la créé pas mécaniquement. C’est là le rôle de tous les militant-e-s. Permettre de transformer cette émotion en conscience. Mais le point de départ de toute éthique républicaine doit être l’empathie, la solidarité, le sentiment d’appartenance à la même humanité, la conviction de l’interdépendance des sorts de toutes et tous. Comment espérer un sentiment d’empathie vis-à-vis des licenciés d’une entreprise si l’image insoutenable du corps sans vie d’un tout petit ne provoque même pas l’empathie ?
Bien sûr, je comprends et partage la colère de voir nombre de socialistes exprimer leur émotion et multiplier les déclarations sur le devoir d’accueillir les réfugiés, eux qui à la tête du gouvernement sont les premiers responsables si la France est un des plus mauvais élève de l’Europe en matière d’asiles accordés et si dans nos villes comme à Paris tant d'expulsions ont lieu sans relogement.
Bien sûr je comprends et partage le dégout des plus avertis qui ne sont pas dupes sur certains des initiateurs de ce rassemblement. Attardons-nous quelques instants sur ce M. R. Glucksmann, qui avait dénoncé la décision de J Chirac de ne pas engager la France dans la guerre en Irak et avait soutenu l’intervention en Libye sous Sarkozy. C’est pourtant bien la destruction de l’Etat Irakien par les Etats Unis qui a enfanté du monstre Daesch. Et les mouvements de réfugiés actuels sont bien provoqués par les chaos dans toute cette zone provoquées par les va-t-en guerre irresponsables atlantistes.
L’émotion suscitée est indéniablement un point d’appui essentiel, au combien préférable à la lepénisation des esprits. Alors oui, malgré tout cela, malgré l’amertume, la colère et le dégout, j’ai manifesté. Et je ne le regrette pas. Mais n’en restons pas là. Débattons des réponses politiques à apporter pour convaincre inlassablement avant que l’émotion ne retombe et que l’indifférence, l’oubli ou le repli, la peur et le rejet ne reprennent place.
D’abord et avant tout, pensons aux causes de ces mouvements de réfugiés pour agir sur ces causes et ne nous cantonnons pas à traiter les conséquences. Aucun des réfugiés n’a fui avec enfants pour le plaisir ou par inconscience. N’en déplaise à l’ignoble Arnaud Klarsfeld, qui a osé tweeté « personne ne dit que ce n'est pas raisonnable de partir de Turquie avec deux enfants en bas age sur une mer agitee dans un frêle esquife ». Comme hier celles et ceux qui ont fui le nazisme ou Franco en Espagne, la famille du petit Aylan comme tant d’autres n’ont plus le choix. Tenter de sauver sa vie pour ne pas la perdre, quitte à prendre le risque néanmoins de la perdre. Il faut donc impérativement que l’Union Européenne et les Etats unis cessent leurs interventions militaires déstabilisatrices qui provoquent les guerres et les chaos responsables de ces exodes. La première expression de solidarité avec les réfugiés exige de militer pour la paix. Tenter par la diplomatie coûte que coûte d’agir pour la paix. Ne pas cautionner les interventions militaires qui vont nous être annoncées, hélas, à n’en pas douter.
L’autre cause de l’augmentation des flux migratoires (qui néanmoins pour leur écrasante majorité se font entre pays africains), est directement liée aux politiques de libre échange de l’union européenne qui pillent l’Afrique, brise sa souveraineté alimentaire et appauvrissent les peuples. Il faut donc y mettre un terme et contribuer à des politiques de coopération, de relocalisation de l’activité économique, industrielle, agricole et contribuer aux reconstructions des Etats, de leurs services et équipements publics pour garantir leur développement et leur évolution démocratique, en commençant par l’enjeu de leurs systèmes d’éducation et de santé.
En attendant, les Etats de l’Union européenne doivent assumer les conséquences de leurs actes. Il n’y a pas d’autres choix possibles que d’accueillir les réfugiés. Et cessons d’avoir peur ! En 1979, la France avait bien accueilli plus de 120 000 boat people ! Et en 1939 pas moins de 440 000 réfugiés espagnols ! Que pourrions-nous faire d’autres ? Les reconduire à la frontière comme le prétend le FN ? Et pour les reconduire où ? En Syrie ? En Erythrée ? En Afghanistan ? Et comment les empêcher de risquer de nouveau leur vie pour tenter de survivre ? Poursuivre les passeurs ? Certes, mais comment ignorer que les passeurs prospèrent grâce aux politiques de fermeture des frontières ?
En novembre 2014, l’Union Européenne stoppait le dispositif de sauvetage en mer en Méditerranée, Mare Nostrum, pour le remplacer par le dispositif de surveillance Triton et divisait les budgets par 3. C’est l’inverse qu’il faut faire. Permettre également la délivrance de visas dans les pays frontaliers des zones de conflits pour anticiper les arrivées et lutter contre les filières de passeurs. Quelle autre méthode pour éviter les drames ?
Le dispositif de Dublin 2, qui contraint les demandeurs d’asile à ne pouvoir faire leur demande que dans le premier pays arrivé est en train de voler en éclat. Il faut l’abroger. Mais pas pour instaurer des quotas ! Comment cela pourrait-il d’ailleurs bien s’organiser ? Faudrait-il mettre les gens dans des trains, décider à leur place de leur destination et les acheminer sous surveillance policière comme du bétail ? Ça ne vous rappelle rien ? Et quand un pays estimerait qu’il aurait atteint ses quotas, ce pays ne serait plus dans l’obligation de respecter le droit d’asile ?
Le droit d’asile ne se négocie pas, il ne se marchande pas. Il doit s’appliquer et les Etats doivent être contraints de l’appliquer. Comment ne pas s’indigner devant l’Allemagne et l’Union Européenne qui imposent au peuple grec un régime austéritaire au mépris de sa souveraineté (provoquant par ailleurs des départs en masse de nombre de grecs vers d’autres pays d’Europe tout comme pour l’Espagne et le Portugal), et voir ces grands dirigeants tout puissants si silencieux devant la Hongrie et son mur de la honte….
En France maintenant, il est temps que le droit d’asile soit réellement respecté. La France est des plus mauvais élève en termes d’accueil et de respect du droit d’asile ! On a plus de vingt ans de retard dans les hébergements des demandeurs d’asile, et dans l’hébergement en général des sans-abris. A Paris, nous le constatons depuis trop longtemps. Ce sont bien les mobilisations qui ont permis d’arracher des places d’hébergement d’urgence et une implication, encore si insuffisante, de la mairie de Paris et de l’Etat. Et sur le terrain on est loin du compte. Plus de 300 réfugiés depuis des mois dorment dans des conditions de campement indignes et d’hygiènes déplorables près de la garre d'Austerlitz et tant d'autres ailleurs. Qu’attendent la mairie et l’Etat pour intervenir ? Une décision de justice pour procéder à l’évacuation et surtout ne pas permettre au campement de se reconstituer. Au lieu d’exiger un plan francilien, ou en partenariat avec d’autres municipalités, d’accueil à la hauteur des arrivées, l’obsession est que les réfugiés ne se voient pas dans la capitale à la veille de la COP21… Même chose dans le 93 où nombre d’évacuations sans relogement se sont succédées tout l’été.
La mise en mouvement citoyenne en faveur de l’accueil des réfugiés peut aider à faire bouger les lignes. Des villes souvent de taille moyenne ou petites, des villages, ont compris également l’intérêt d’accueillir des réfugiés, au-delà du bon réflexe humanitaire : Empêcher la fermeture d’une école en accueillant quelques familles, à moyen termes recréer une dynamique démographique, les réfugiés ne sont pas un coût mais aussi une richesse, humaine et économique. Cessons la panique selon laquelle face au chômage, il ne serait possible de les accueillir. Accordons au contraire le droit de travailler à tout demandeur d’asile pour lutter contre la surexploitation de travailleurs sans droits. Contre la délocalisation sur place, les marchands de sommeil et autres exploiteurs, la meilleure défense est l’égalité des droits. On constatera de fait que leur contribution, via la consommation créée aussi de l’emploi, que leurs cotisations sociales participent aux comptes de la sécu, quand leur maintien dans la totale précarité et sans droits, lui, ne fait qu’enrichir les patrons voyous. Et en définitive, comme le montrent nombres d’études, quand les personnes ont un statut, elles peuvent également plus facilement retourner dans leur pays selon leur choix. Et pour celles et ceux qui souhaitent en définitive rester sur le sol français, permettons-les d'intégrer notre communauté de destin.
Oui, encourageons toutes les municipalités qui s’engagent à accueillir des réfugiés et facilitent l’implication citoyenne dans les actions de solidarité. Les pétitions, comme celle de la vague citoyenne (http://accueilrefugies.wesign.it/fr) sont à populariser. Encourageons la tenue de débats contre les logiques va-t’en-guerre interventionnistes. Menons la bataille culturelle contre le Front National en encourageant le sursaut des consciences. Tant qu’il est temps.