Le très beau « Ningen » (‘l’Humain’ en Japonais) de Çağla Zencirci et Guillaume Giovanetti sort en salle aujourd’hui (1er avril 2015). Courez voir ce petit bijou, vous en sortirez heureux, adouci, apaisé, avec l’impression d’avoir été touché par un ange de pays lointain. En un mot, Ningen nous renvoi à notre humanité, indispensable voyage dans un monde de plus en plus hostile.

Le signe caractéristique de l’œuvre des réalisateurs, qui signent avec Ningen leur deuxième long-métrage, reste intact : depuis leurs nombreux courts-métrages, tous primés dans des festivals, ils tissent leurs histoires à partir des personnages qui croisent leur chemin de par le monde. Tel « Noor », l’histoire d’un ancien transgenre pakistanais qui avait entrepris de redevenir un homme…
Le point de départ de Ningen est le personnage de Masahiro Yoshino, un homme d’affaires japonais d’un certain âge, qu’ils ont rencontré lors de leur séjour à la Villa Kujoyama à Kyoto, où ils étaient invités en résidence pendant six mois. C’est d’ailleurs lui qui a choisi les deux autres personnages clefs du film, son ami chinois Xia Mu Lee et sa femme Masako Wajima, qui, eux aussi jouent leur propre rôle dans le film.
L’histoire est construite en trois partie: « L’Homme riche », « Le Raton-Laveur » et « Le Renard ». Pendant toute la trajectoire de l’histoire, nous accompagnons les errances de M. Yoshino, avec, dès le premier plan, la dimension du mythe fondateur du Japon, celui du Raton-Laveur et du Renard, une variation asiatique d’Orphée et d’Eurydice.
Dans « l’Homme riche », la petite société de M. Yoshino, un vieux chef d’entreprise japonais, s’engouffre dans une impasse économique et il se voit contraint de licencier ses employés. C’est le début de l’effondrement de cet entrepreneur paternaliste, raconté par une réalité maîtrisée. Telle la scène renversante où il se rend dans un club de strip-tease et la raconte à ses employés pour expliquer le processus interne qui l’amène à déposer le bilan.

La deuxième partie se déroule dans un centre psychiatrique, où encore une fois, ce sont de vrais patients qui entourent M. Yoshino. C’est d’ailleurs l’éclairage des légendes racontées par les sœurs Yuki et Hiromi et l’histoire d’amour d’une autre patiente qui aidera M. Yoshino à entreprendre son voyage personnel en quête de son salut. Cette partie est d’autant plus touchante que le cheminement est universel. Zencirci et Giovanetti nous renvoient au fort intérieur de tout un chacun, pour nous montrer que, inconsciemment sans doute, chacun porte en soi le parcours nécessaire pour trouver la sortie de l’impasse personnel.

Enfin, en troisième partie, nous sommes dans le croisement de l’imaginaire et de la fable, dans le somptueux sanctuaire shinto de Fushimi-Inari, en passant par une forêt envoutante. Dans le Monde du dessous, M. Yoshino, devenu le Dieu-Renard, perd le lien avec le réel à la recherche de son âme-sœur, le Raton-Laveur. Les réalisateurs nous montrent avec brio que la simple quête de l’autre/le bien-aimé est le début du salut et que la finalité n’est que la preuve de notre faiblesse humaine. Mais c’est cet humanité qui nous est si nécessaire qu’il faudra poursuivre, quel que soit le prix à payer au bout du compte.
Nous avons eu la chance de suivre le parcours de ce couple dans la vie et dans le travail depuis leur tout début. De film en film, Zencirci et Giovanetti sont parvenus à une maîtrise de leur art et réussissent le pari de nous faire partager leur univers improbable, brillant, poétique avec intelligence, pour panser nos maux, en nous plongeant à chaque fois dans un « conte d’ailleurs », qui nous fait tellement de bien…