Parfois, certaines personnes, qui ne savent pas du tout parler la langue d'un pays visité (ou au contraire, les autochtones d'un pays face à un "étranger") semblent subitement devenus muets, s'exprimant essentiellement par gestes ou mimiques.
C'est un réflexe assez compréhensible: on se sent relativement démuni de ne pas partager les mots!
Par ailleurs, une des langues les plus répandues étant l'anglais, ceux qui le savent peuvent y avoir recours dès qu'ils ont besoin de communiquer avec un étranger. C'est ainsi que parfois il arrive que des gens en vadrouille dans le monde conversent pendant plusiseurs minutes en anglais, avant de se rendre compte... qu'ils sont compatriotes!!! Ceci n'est pas rare. Ou encore, la première langue tentée étant l'anglais, ils découvrent ensuite qu'ils connaissent mieux les uns et les autres une langue tierce (allemand, italien, espagnol etc...).
Au Japon, donc... Musée de la soie de Yokohama. Après la visite (individuelle), nous nous arrêtons à la boutique dudit musée. La caissière, qui avait dû voir passer un certain nombre de congressistes (espérantistes) avec leur badge du congrès bien visible, en profite pour nous questionner: "Mais qu'est-ce donc que ce congrès?" Bien entendu, la conversation a lieu en anglais. Je le lui explique, je lui parle de l'espéranto, de ses congrès annuels, et de fil en aiguille, je cite les autres langues que j'ai appris (italien, espagnol). Et là, la dame m'arrête: "Ma anch'io parlo l'italiano! Anzi, lo preferisco al'inglese, è più facile"." ("Mais moi aussi, je parle italien! Et même je préfère parler cette langue plutôt que l'anglais, c'est plus facile.")
Se figure-t-on, en France, que les Japonais préfèrent parfois d'autres langues que l'anglais? Et pourtant c'est la réalité! A vrai dire, les Japonais sont bien moins anglophones qu'on ne le croit en France. Il me semble très probable que, hors des circuits commerciaux et touristiques, la situation de l'anglais y est à peu près la même qu'en France, voire même (qui sait?) un peu moins bonne. Qu'on se rappelle, par exemple, le savoureux film de Sophia Coppola "Lost in translation"...
Notre expérience de l'anglophonie au Japon comporte:
- un voyage en taxi avec un chauffeur monolingue, qui nous déposera à quelques rues de notre hôtel, sans nous dire où il se situait
- une galère à la gare de Yokohama (aucun(e) employé(e) des guichets ne parle anglais... tout juste sont-ils capables de le lire et l'écrire laborieusement). Nous ne viendrons à bout de la tâche consistant à acheter un billet de train Yokohama-Kyoto que grâce au truchement d'un espérantiste local...
- lors d'une visite du "musée de la douane" à proximité du mont Fuji, aucune pancarte explicative sur les scènes reconstituées (les seules pancartes explicatives sont en japonais), mais des pancartes en anglais proclamant "don't touch", "entrance forbiden" "go this way" etc... Bien entendu, à la boutique de souvenirs, il était (un peu) possible d'utiliser l'anglais... Mon ami Renato Corsetti me fit remarquer en espéranto: "L'anglais, souvent, c'est une langue pour donner des ordres, pour vendre et acheter..."
Toujours au Japon, une dizaine de jours plus tard... Il est temps de rentrer en France. Nous avons quitté l'hôtel de Tokyo avec nos valises, et sommes dans le métro, ou plutôt une sorte de RER, cherchant la bonne correspondance pour Narita (l'aéroport). Les machines à vendre les billets sont peu explicites (ceux qui ont voyagé au Japon comprendront de quoi je parle!...). Nous cherchons de l'aide. Une dame de 50 ou 60 ans, nous voyant désemparés, s'approche, et sans hésiter, elle se met à nous expliquer, en japonais, ce qu'il faut faire, quelles pièces mettre, quels boutons appuyer. Joignant le geste à la parole, naturellement. Nous n'avons rien compris verbalement, mais ce que nous avons compris, c'est qu'elle était serviable et sans complexes par rapport au manque de langue commune! Et en tous cas, nous avons compris la ligne générale de ses conseils... Elle avait bien raison. Rien de plus étrange que quelqu'un qui se met à vous faire des mimiques silencieuses sous prétexte que vous êtes étrangers. Là c'était très convivial, presque amical.
Donc, méditez ce conseil: que vous soyez anglophones ou non, essayez toujours d'abord votre propre langue, il sera toujours temps de basculer quelques secondes ou minutes plus tard à une communication en anglais ou autre...
Même en France, d'ailleurs!!
En Charente, il y a de nombreux Britanniques, et parfois l'un d'eux a besoin d'un renseignement ou d'une aide. Avant de me précipiter pour lui parler anglais, je tente toujours le: "Est-ce que vous parlez français?" En cas de dénégation, je bascule bien évidemment sur l'anglais, mais je crois qu'il ne faut pas tomber dans cet excès consistant à se comporter comme si c'était un "dû" qu'on sache leur langue!
Et finalement, pour que des rapports soient empreints de respect mutuel, il est bien préférable d'établir un équilibre dans lequel chacun exprime sa spécificité, isn't it? Il convient d'être ouvert, mais en même temps, de ne pas tomber dans le "syndrôme du larbin"... ;-)