Ce mardi 26 mai, Mediapart est au tribunal. Devant la XVIIe chambre correctionnelle du tribunal de Paris, Laurent Mauduit et moi sommes les prévenus de la première manche du procès engagé par les dirigeants des Caisses d'Epargne contre Mediapart. Onze plaintes au total pour avoir donné l'alerte, enquêté et informé, sur le scandale financier et politique emblématique de notre double crise, économique et démocratique.
L'audience du 26 mai sera essentiellement procédurale. Mediapart fait en effet l'objet de deux types d'assaut judiciaire. D'une part, dix plaintes visent l'ensemble des enquêtes de Laurent Mauduit publiées début 2008 qui ont annoncé ce que la suite des événements a amplement confirmé: pertes financières, déconfiture de Natixis, sanction des dirigeants, enrichissement des dirigeants et appauvrissement de l'entreprise, aventurisme et imprévoyance, etc.
D'autre part, une plainte vise un article plus récent de Laurent Mauduit mettant en évidence les conflits d'intérêts sous-jacents à la nomination d'un proche collaborateur de Nicolas Sarkozy à la tête du nouvel ensemble bancaire Caisses d'Epargne-Banques Populaires imposé par l'Elysée face à la déroute qu'annonçaient nos enquêtes précédentes. Les premières plaintes ont été déposées par les dirigeants aujourd'hui déchus des Caisses d'Epargne, mais sont assumées par leur nouveau responsable, François Pérol, celui-là même qui a déposé en son nom personnel l'ultime plainte.
Les questions qu'aura à trancher aujourd'hui le tribunal seront celles de l'ordre, de la durée et des dates des audiences. Et, parmi ces questions, celle de l'ordre est en elle-même une question de fond: l'avocat de François Pérol semble souhaiter que sa plainte soit jugée en premier, parce qu'elle relève d'une procédure plus rapide, celle de la citation directe, alors que les dix autres plaintes ont suivi une voie plus longue, avec nos convocations par la police judiciaire, puis nos mises en examen par des juges d'instruction.
Mais cet argument de pure forme ne tient guère par rapport à la cohérence du dossier lui-même: pour comprendre notre article sur François Pérol, il faut évidemment le replacer dans le contexte de notre investigation au long cours, depuis un an et demi au bas mot, sur les Caisses d'Epargne. Nous plaiderons donc que les dix plaintes des Caisses d'Epargne doivent être audiencées en premier, la plainte de François Pérol ne devant être examinée qu'en second.
C'est le seul ordre logique qui permettra au tribunal d'apprécier loyalement notre travail. On comprend qu'il embarrasse la partie adverse, car il remet le parachutage fort peu déontologique de M. Pérol dans son véritable contexte: la faillite de l'équipe dirigeante précédente dont, pourtant, il continue d'assumer les plaintes contre nous. On le comprend d'autant plus que cette chronologie met en évidence le cœur de nos révélations sur François Pérol lui-même: le fait, largement documenté, qu'à ses différents postes, publics et privé, précédents – à Bercy, au cabinet de Nicolas Sarkozy; à la banque Rothschild, comme associé gérant; à l'Elysée, comme secrétaire général adjoint –, il s'est évidemment occupé du feuilleton des Caisses d'Epargne. Or ce simple fait pose la question éthique que la Commission de déontologie de la fonction publique a été mise dans l'impossibilité d'examiner, ce qui est, en soi, une violation des principes républicains fondamentaux.
L'enjeu n'est pas mince. Au-delà de l'affaire elle-même, et de tout ce qu'elle symbolise, c'est la première fois qu'une enquête d'investigation économique au long cours, illustrée par des dizaines d'articles et prolongée sur plusieurs mois, est jugée par un tribunal correctionnel. Or l'enquête économique vise un secteur parfois plus opaque que le monde politique ne le fut sans doute jamais, et d'autant plus opaque qu'aujourd'hui, ce monde financier s'est installé à demeure dans l'univers politique sous la présidence de Nicolas Sarkozy.
Nous plaiderons donc la légitimité de nos curiosités, la rigueur de notre travail, la correction de nos méthodes, bref toute notre façon de faire entre artisanat du métier et liberté fondamentale. Et nous revendiquerons à la fois la vérité des faits rapportés et la bonne foi de nos enquêtes. A ce titre, nous avons déposé des offres de preuves copieuses, comprenant même des révélations complémentaires qui n'ont pas encore fait l'objet d'articles sur Mediapart.
Dans cette affaire, nous sommes donc aussi sereins que déterminés. Sereins sur la solidité de notre dossier, déterminés à faire front devant une offensive de diversion qui s'en prend au messager de la mauvaise nouvelle plutôt qu'à la réalité dont il a témoigné.
Nous le sommes d'autant plus que vos soutiens nous accompagnent. Depuis que nous vous avons invité à la solidarité, à la fois morale et matérielle, notre Appel des 77 a reçu près de 8.000 signatures en ligne, de tous horizons professionnels et intellectuels. Et vous vous êtes engagés pour près de 50.000 euros de dons afin de faire face aux frais de procédure et d'avocat – dont actuellement la moitié nous est parvenue sous forme de chèques.
De cette large mobilisation témoigne enfin le communiqué diffusé lundi 25 mai par le collectif "Pas touche au Livret A!", collectif qui regroupe un large éventail d'organisations, associations et syndicats. Leur texte que je reproduis ci-dessous, tant il se passe de commentaires, souligne combien ce procès pose la question, vitale en ces temps de crise, de la liberté d'information sur tout ce qui concerne nos vies et leurs profits, notre travail et leurs privilèges, nos biens collectifs et leurs privatisations abusives. En d'autres termes, du Livret A à la presse libre, de l'épargne populaire au droit à l'information, c'est la même question fondamentale qui est posée, liant indissolublement idéaux démocratiques et exigences sociales comme l'explique notre récent Manifeste (à découvrir ici).
Voici donc le texte de soutien, dont nous le remercions vivement, du collectif "Pas touche au Livret A", intitulé Procès en diffamation des Caisses d'épargne contre Mediapart, notre Collectif prend position:
Mediapart, sous la plume de Laurent Mauduit, a consacré une longue série d'articles aux dérives du groupe Caisses d'Epargne. Les dirigeants de ce groupe ont pris la décision de poursuivre ce journal en ligne, financièrement fragile, à travers 11 plaintes en diffamation.
Notre Collectif tient à souligner que les articles incriminés constituent un compte rendu fidèle et une analyse particulièrement rigoureuse de ces dérives qui se sont révélées au travers d'une croissance externe aventureuse et ruineuse, d'une trahison du pacte séculaire avec la Caisse des dépôts et consignations, de la création de Natixis qui a perdu, aujourd'hui, l'essentiel de sa valeur, et enfin du renoncement manifeste aux valeurs et à l'éthique mutualiste qui ont fondé et animé les Caisses d'Epargne depuis leur création.
Les dirigeants des Caisses d'Epargne en portent l'entière responsabilité. Responsabilité jamais assumée.
C'est ainsi qu'ils ont fait collectivement le choix, il y a quelques mois, de ne pas démettre entièrement de ses fonctions Charles Milhaud, ancien président du directoire de la Caisse d'épargne et premier responsable de ces dérives, en lui confiant la présidence, très convoitée, du conseil de surveillance d'OCEOR, filiale de la Caisse d'Epargne qui porte les participations en banque commerciale sur l'outre-mer et le développement international.
Par leur politique délibérée de diversification tous azimuts – dont on mesure aujourd'hui les résultats catastrophiques tant du point de vue des résultats financiers que des suppressions d'emplois envisagées – intitulée, selon leurs propres termes, politique de "désensibilisation" au Livret A, ils ont volontairement ouvert la voie à la banalisation du Livret, premier instrument de financement du logement social et de lutte contre l'exclusion bancaire et cela sans aucune considération pour l'intérêt général.
Notre Collectif et les organisations qui le composent n'ont cessé de dénoncer ces dérives, depuis des années, que ce soit devant les personnels, devant l'opinion publique à travers la presse, devant la représentation nationale en audition auprès des groupes parlementaires ou encore, en 2008, devant la Commission des Finances de l'Assemblée nationale à l'occasion des débats préparatoires à la loi de modernisation de l'économie qui a consacré la banalisation du Livret A.
Nous n'avons jamais été poursuivis en diffamation par les dirigeants des Caisses d'Epargne.
Les 11 plaintes déposées contre Mediapart apparaissent bien comme une tentative d'intimidation adressée à l'ensemble de la presse par un des groupes financiers les plus puissants du pays.
Nous attendons de la Justice qu'elle consacre la rigueur journalistique du travail d'investigation mené par Médiapart dont nous partageons, pour l'essentiel, les analyses et les conclusions.
Le Collectif « Pas touche au Livret A ! » rassemble les organisations, associations et syndicats suivants:
Intersyndicale du secteur semi-public économique et financier : CAISSE DES DEPOTS ET CONSIGNATIONS (CFDT, CGT, FO) - CAISSES D'EPARGNE (CFDT, CGT, SUD, FO) - LA POSTE (FEDERATION SUD PTT) - IXIS (CGT) - CAISSE NATIONALE DE PREVOYANCE (CGT) - BANQUE PALATINE (CGT) - CREDIT FONCIER (CFDT, CFE/CGC, CGT, FO, SUD) - BANQUE DE FRANCE (CFDT, CGT, FO, SIC, SNABF SOLIDAIRES) - IEDOM ET IEOM (CGT) - AGENCE FRANCAISE DE DEVELOPPEMENT (CFDT, CGT) - OSEO (CGT) - UBIFRANCE (CGT) – NATIXIS CGT)
AC !! - AC le feu - AFOC - AITEC.IPAM - ANECR - APEIS - Association Française des Victimes du Saturnisme (AFVS) - ATTAC - AutreMonde - CGT Crédit Lyonnais Ile de France - Collectifs Anti Libéraux - Collectif LBO - Collectif SDF Alsace - Comité Actions Logement - Confédération Paysanne - Coordination Anti Démolition des Quartiers Populaires - Comité des Sans Logis (CDSL) - Confédération Nationale du Logement (CNL) - Droit au Logement (DAL) - Droits Devant !! - Fédération CGT Finances - Fédération Nationale des Collectifs de Défense des Services Publics - Euromarches - Fondation Copernic - FSU - Indecosa/CGT - Jeudi Noir - Ligue des Droits de l'Homme (LDH) - Ministère de la Crise du Logement - Mouvement National des Chômeurs et Précaires - Réseau Alerte Inégalités - Résistance Sociale - SNP-FO - SNUP-CDC - UNEF - Union Syndicale Solidaires