J'avoue être un sceptique de Mr Nicolas Hulot. J'ai très mal digéré qu'il ne prenne pas position aux dernières élections présidentielles pour le programme du parti socialiste qui était noté bien supérieurement au programme de l'UMP en terme d'écologie, terrain sur lequel il estimait pouvoir s'exprimer. Je lui en ai voulu de proposer trois candidats de droite et une candidate des verts pour le grand ministère de l'écologie qu'il défendait. Je lui trouve un manque de cohérence dans son action quand j'apprends qu'il se déplace en 4x4 le long des pentes des montagnes corses.
On peut discuter des mécènes de sa fondation. Néanmoins, il ne serait pas le premier à faire preuve de pragmatisme en allant chercher l'argent où il est pour défendre sa cause. Mais j'avoue que reprocher à Mr Hulot d'avoir pollué la planète en se déplaçant aux quatre coins du monde pour réaliser ses émissions me semble déplacé. Dans ses émissions aux images magnifiques, il a su montrer la beauté et la magie de la nature et en tant que documentariste/cinématographe tel qu'à pu l'être un Jacques-Yves Cousteau, il a participé à l'élaboration de la conscience écologique de la société. Il me semble qu'il a toujours pris le parti de dénoncer la détérioration de la nature et a su parler des effets de la mondialisation sur les sociétés les plus reculées.
En tant qu'adolescent, en quête d'îcones, je m'étais penché sur ces écrits qui éclairent sur le personnage. Dans son premier livre, « les chemins de traverse », il donne les clés de sa première phase de vie. Lors d'un Noël, à l'age de 18 ans (de mémoire), il découvre le corps de son frère, sensé être parti en voyage, enroulé dans un tapis avec ce mot « La vie ne vaut la peine d'être vécue ». Il est devenu un boulimique de la vie. Il va partout, utlise tous les moyens de transport, multiplie les sports à sensation forte, comme pour se droguer aux émotions. Au fil de ses ouvrages, ses réflexions s'affinent, il rencontre les sages de notre époque, il est curieux et poursuit une quête. J'avoue avoir ensuite décroché pour diverses raisons et je le retrouve lors de la précédente élection présidentielle au cours de laquelle il me décoit dans ses prises de position.
Et il nous revient en ce mois d'Avril avec ce discours d'investiture. Et ce discours est admirable de clairvoyance. J'invite tout ceux qui ne l'ont pas écouté ou lu à le faire. On y retrouve une qualité de texte digne du fameux discours de Johannesbourg. Peut-être par manque d'historisation politique, il aura mis du temps à se rendre compte que le discours et les actes sont deux choses différentes et que les actes des uns et des autres renseignent sur qui ils sont. Il aura également mis un certain temps à mettre ses questionnements, que je pense sincères, en cohérence. Mais encore une fois son discours démontre de manière magistrale qu'il y est enfin parvenu.
Il commence par tenter de définir les préoccupations de ceux à qui il s'adresse « Les hommes et les femmes de ce temps sont désemparés. Ils craignent pour leur emploi, leur sécurité, leur environnement, leur santé et l'avenir de leurs enfants ». Il ajoute « La volonté, les compétences, la citoyenneté, la générosité, l'envie d'agir et le désir de changer sont partout ». A ce niveau, on peut dire qu'il ratisse large et que sa cible est la même que celle de tout bon politicien. Dans une phrase intermédiaire, il annonce que « La marche triomphante du progrès prend les allures d'un immense malentendu ». Il prend donc un parti loin d'être consensuel. Il associe progrès et malentendu. Dans ce monde où on ne cesse de nous répéter que le capitalisme c'est le progrès qui profite au plus grand nombre, il nous avertit déjà. Continuons …
Quand il déclare « Changer de cap, c'est d'abord s'appuyer sur le meilleur de l'humanité : la solidarité, le partage, la justice, la démocratie, la tolérance, la modération, la sobriété, la diversité, le juste échange », je suis admiratif de la puissance de si peu de mots qui sont chacun imprégné de tant de sens. Il poursuit « Changer de cap, c'est libérer la société et les esprits des diktats d'un mode de production et de consommation contaminé par l'illusion de la croissance quantitative, s'émanciper d'un monde happé par la frénésie du toujours plus et par la compétition agressive ». « L'économie, la technologie, l'argent lui même, ne sont pas des fins mais des moyens. » Il ajoute que les indices actuellement disponibles sont inadéquats pour mesurer le bien être d'une société. Comment ne pas adhérer à un tel diagnostique depuis tant d'années qu'on nous rabache les oreilles avec le PIB qui est un indice de production et de consommation sensé tout dire du bien-être d'une société et du « moral des ménages » ! Ce raccourci m'a toujours, depuis ma plus tendre enfance, tellement déconcerté. Comment peut-on associer mon bonheur à ma consommation de biens matériels. Il m'a fallu longtemps pour comprendre pourquoi ça me dérangeait. Il a fallu entre autre que je remonte à l'origine de cet indicateur qui est l'expression de la richesse telle que définie par des Adams et Malthus à la fin du 19ème siècle, incapables qu'ils étaient de faire rentrer dans la notion de richesse autre chose que l'utilité et la satisfaction des désirs individuels. Il m'a fallu également lire un Rajid Rahmena pour finir de me convaincre de la grande subjectivité de la notion de développement, de l'absurdité du seuil de 2 dollars pour définir la pauvreté et pour démontrer les valeurs inestimables que possèdent les pauvres par opposition aux miséreux. Certes un Nicolas Sarkozy a pu annoncer le même désir de voir émerger de nouveaux indicateurs dans un discours de 2008. Mais une philosophe-sociologue comme Dominique Méda a bien su en démontrer l'opportunisme sous-jacent. Et le manque de cohérence. Je pense que ces mots prennent un tout autre sens dans la bouche de Mr Hulot.
« Soyons clairs: je le dis sans dogmatisme ni agressivité, le projet d'un nouveau modèle de
développement est de mon point de vue incompatible avec les politiques que le pouvoir en place et sa majorité développent en France ». C'est dit, c'est clair. Il esquisse des débuts de programme qu'il développera dans des temps futurs « Des moyens existent pour faire décroître l'empreinte écologique, protéger la santé, soustraire les biens communs à la spéculation, remettre la finance à sa place, tisser les solidarités ici et avec les pays du Sud ». Il affiche les pierres fondatrices. Il dit vouloir maintenir un certain nombre de services publics. Il cite la santé. Si il y avait une notion relative au progrès qu'il serait difficile de contester, ne serait-ce point celle là !? Ces grandes lignes annoncent un programme inscrit dans un impératif de développement durable sans utiliser le mot qui a malheureusement été bien galvaudé.
Conscient, il annonce « Dans ce défi majeur, je sais que la France ne détient qu'une partie des solutions » et il ouvre sur une échelle potentiel pour relever le défi « Mais je sais aussi
qu'elle a les moyens de se montrer novatrice et audacieuse, notamment dans l'espace européen qui est devenu notre biotope commun ». Et il assure qu'il agit « avec modestie mais détermination ». Quoi de plus louable que la modestie dans ce monde si complexe où les politiciens se succèdent pour promettre la lune et révéler par la suite leur totale absence de maîtrise et de vision, pour ne pas dire leur incompétence. Il ne propose pas la révolution mais une « transformation progressive des activités et des comportements » qui devrait ravir les partisans des transitions sereines.
Voilà donc, malgré l'immense respect que j'ai pour Eva Joly, j'ai l'impression de ne pas avoir entendu de tel discours politique depuis bien longtemps. J'ai le sentiment dans ce monde où la télévision joue un si grand rôle qu'un candidat tel que Mr Hulot peut s'imposer. Il a des amis au centre droit (qui n'a pas d'amis d'un bord opposé au sien?), il est médiatique, il parle bien, il représente une chance. Il faudra qu'il s'explique sur les reproches qu'on peut lui faire, il faudra qu'il démontre son intégrité et son désintéressement et qu'il convainc de son souhait de porter l'intérêt commun mais pour la première fois depuis bien longtemps je me sens porté par une lueur d'espoir parce que je fais partie de « celles et à ceux qui refusent de s'abandonner à la fuite en avant productiviste et aux délires ultra libéraux, de consentir aux inégalités et à la régression sociale, de subir un endettement massif, d'exacerber les tensions entre les peuples, les cultures et les religions ».