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Billet de blog 30 mai 2010

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L'ombre de Bruno

Le 12 juillet 2009, le Congolais Denis Sassou-Nguesso, qui règne sur le pays de manière quasi-ininterrompue depuis 1979, était réélu avec plus de 78% des suffrages à l’élection présidentielle du Congo-Brazzaville.

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Le 12 juillet 2009, le Congolais Denis Sassou-Nguesso, qui règne sur le pays de manière quasi-ininterrompue depuis 1979, était réélu avec plus de 78% des suffrages à l’élection présidentielle du Congo-Brazzaville.

Le 21 janvier, un incendie se déclarait dans la maison du journaliste et blogueur Bruno Ossébi-Jacquet, faisant trois victimes : sa compagne et les deux enfants de cette dernière. Bruno Ossébi, brûlé au second degré, sera transporté à l’hôpital. Dix jours plus tard, alors qu’il devait être rapatrié le lendemain en France, le journaliste, âgé de 44 ans, décède brutalement. Les médecins parlent d’arrêt cardiaque. Un parlementaire de l’opposition, préférant garder l’anonymat, remarquera cependant : “Je lui ai rendu visite deux jours après l’incendie. Il n’avait pas l’air mourant du tout. Je ne comprends pas”.

Le 9 juillet, Reporters sans frontières publiait un rapport mettant en doute les circonstances officielles de la mort d’Ossébi et évoquant “un possible attentat”. Au cours de ses recherches, l’organisation avait par exemple constaté qu’aucune autopsie ou recherche sérieuse des causes du décès n’avaient été mises en oeuvre.

Le 25 mars 2009, le president de la République française Nicolas Sarkozy se rendait au Congo. Sept organisations, dont Transparency International, lui avaient demandé d’exiger la lumière sur l’affaire Ossébi. Officiellement aucun mot ne fut échangé à ce sujet entre le président français et son homologue congolais Sassou-Nguesso.

Journaliste engagé, Bruno Ossébi n’hésitait pas à dénoncer certaines affaires de corruption affectant son pays. Peu de temps avant son décès, il avait publié sur le site de la diaspora congolaise en France Mwinda un article dans lequel il relatait une demande de credit de 100 millions de dollars, effectuée par la Société Nationale de Pétrole du Congo (SNPC), dirigée par un fils du président congolais, auprès de la banque BNP-Paribas. Ossébi parlait “d’insolvabilité de façade”. Suite à la publication de l’article, la banque aurait rejeté la demande de crédit.

Bruno Ossébi avait aussi decidé de s’associer à une plainte déposée en France contre cinq chefs d’Etat africains, dont le Congolais Sassou-Nguesso, pour “biens mal acquis”, et conduite par l’avocat français William Bourdon. “La France ne peut pas éternellement servir de refuge pour l’argent volé aux Africains”, avait declaré ce dernier. Une enquête préliminaire, ouverte en 2007 suite à une première plainte se révélait particulièrement accablante pour Omar Bongo, feu le président du Gabon, avec, entre autres, voitures de luxe et appartements «dans des quartiers à forte valeur marchande». Mais le président congolais Sassou-Nguesso était aussi fortement impliqué. D’après le dossier, onze membres de sa famille possédaient plus de 18 villas de luxe en France et 112 comptes en banque avaient été identifiés à leurs noms. Estimant l’infraction «non caractérisée», le parquet de Paris avait cependant classé la plainte sans suite.

Pour relancer la machine judiciaire, Bourdon avait fait appel fin 2008 à des plaignants originaires des pays concernés. Au Gabon, c’est l’intellectuel Gregory Ngbwa Mintsa qui s’engage. Il est rapidement menacé par la “Fondation Omar Bongo pour la Paix”, sorte de porte-voix du gouvernement qui l’accuse de “diffamation”. Le 30 décembre 2008, il est arrêté par la police qui le relâche trois jours plus tard, dans l’attente de son procès.

La femme de l’oppositionnel congolais Benjamin Toungamani qui vit en France, Béatrice Miakakela-Toungamani, faisait aussi partie des plaignants de cette deuxième plainte. La nuit de la mort d’Ossébi, un feu se déclarait dans la maison de Toungamani, dans la ville de Saint-Ay. Peu de temps auparavant, Béatrice Miakakela-Toungamani avait retiré sa plainte suite à des menaces.

La troisième personne qui souhaitait s’associer à la plainte était donc Bruno Ossébi. Enfant d’un couple franco-congolais, et petit-fils du célèbre diplomate et écrivain Henri Lopes, Ossébi pensait que sa nationalité française le protègerait. Il semble qu’il se trompait.

Les 31 mai et 1er juin, le sommet France-Afrique se tiendra à Nice. Parmi les propriètés immobilières concernées par la plainte pour “biens mal acquis”, un grand nombre se trouvent dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Toujours le 31 mai, le président Nicolas Sarkozy et le maire de la ville de Nice, Christian Estrosi, inaugueront la sculpture de Bernar Venet, près de la promenade des Anglais. On annonce un très beau temps pour ce lundi. Juste un nuage dans le splendide ciel azuréen : l’ombre de Bruno Ossébi.

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