Oral du Bac sous un crucifix au Havre
C'est la mésaventure qu'ont eu à affronter une professeure de mathématiques du Lycée public Jeanne d'Arc de Rouen et les candidats à l'oral de rattrapage le lundi 9 juillet dans les locaus du Lycée privé Saint-Joseph du Havre. Voici le témoignage de la professeure concernée suivie de sa lettre au Recteur du 12 juillet.
Catherine DUMONT
Professeure de Mathématiques
Lycée public Jeanne d'Arc, Rouen
Contacts : catherine.dumont2@ac-rouen.fr
tel 06 78 43 38 23
Bonjour,
J'ai été convoquée cette année au lycée privé confessionnel Saint-Joseph du Havre pour faire passer le bac.
J'ai écrit, le 30 mai 2012, une lettre à Madame le Recteur de l'Académie de Rouen, pour lui demander de me convoquer dans un établissement public (cf. fichier "1ère lettre Recteur").
Je n'ai reçu aucune réponse écrite de sa part et c'est seulement en téléphonant au service des examens que j'ai appris que ma demande avait été refusée.
Je me suis rendue au lycée Saint-Joseph le jeudi 5 juillet pour la délibération du 1er groupe : je n'ai vu aucun signe religieux, ni dans la salle de délibération, ni dans les couloirs que j'ai parcourus.
Cela n'a pas été le cas le lundi 9 juillet pour les oraux du 2nd groupe : dans la salle où j'interrogeais, un crucifix était accroché au-dessus du tableau.
J'ai demandé qu'il soit enlevé ou qu'on m'attribue une autre salle : le Chef d'établissement a refusé.
J'ai alors contacté la Division des Examens et Concours de l'Académie ainsi que mon syndicat, le SNES, qui est intervenu plusieurs fois dans la matinée auprès du Rectorat.
En début d'après-midi, j'ai appris que les services du Rectorat avaient décidé de ne pas demander au chef d'établissement de me changer de salle.
J'ai fini par enlever moi-même le crucifix pour terminer les oraux.
J'ai adressé, jeudi 12 juillet, un nouveau courrier à Madame le Recteur (cf. fichier "2ème lettre Recteur"), dans lequel vous trouverez le récit détaillé de ma journée du 9 juillet (conversations avec le Chef d'établissement, réactions du Rectorat…).
Me fondant sur la réponse de Luc Chatel à une question d'un sénateur sur le Respect du principe de laïcité lors de l'organisation des examens (en pièce jointe également), je demande dans ce courrier que le lycée Saint-Joseph ne soit plus centre d'examen à l'avenir (tout en maintenant mon souhait que les examens soient organisés uniquement dans des établissements publics).
Comme indiqué dans ma 2ème lettre au Recteur, j'ai transmis tous ces éléments à Vincent PEILLON en lui demandant de prendre des dispositions pour que de tels manquements à la laïcité ne puissent plus se reproduire.
En espérant pouvoir compter sur votre soutien, je vous adresse mes salutations syndicalistes et laïques.
Catherine DUMONT
Madame DUMONT Catherine
Certifiée de Mathématiques
Lycée public Jeanne d'Arc
Rouen
à
Madame le Recteur de l'Académie de Rouen
s/c de Madame le Proviseur du lycée Jeanne d'Arc
Objet
: Oraux du Baccalauréat
en présence d'un crucifix
Madame le Recteur,
Mon courrier en date du 30 mai 2012 (dont vous trouverez une copie en pièce jointe), relatif à ma
convocation pour la session de juin 2012 du Baccalauréat ES, au
lycée Saint-Joseph du Havre,
établissement privé confessionnel
, n'a reçu aucune réponse de votre part.
Ce n'est qu'en téléphonant quelques semaines plus tard à Madame NEVEU, responsable de mon
dossier à la Direction des Examens et Concours du Rectorat, que j'ai appris que vous aviez refusé de me
convoquer dans un établissement public. Madame NEVEU, à qui je précisais que j'attendais donc votre
courrier, m'a répondu que je n'en aurais pas, que mon ordre de mission était maintenu puisque je n'en
recevrais pas d'autre et que je ne serais prévenue que par mon chef d'établissement.
Cela n'a pas non plus été le cas puisque, là encore, ce n'est qu'après avoir posé moi-même la question
quelques jours plus tard à la secrétaire de Madame PETIT, Proviseur du lycée Jeanne d'Arc, que
Monsieur RUAULT, Proviseur Adjoint, m'a dit avoir reçu un appel de Madame NEVEU juste après la
conversation que j'avais eue avec elle.
Je regrette d'autant plus que vous n'ayez pas jugé utile de répondre à mon courrier que les
possibilités d'atteinte à la laïcité que j'y évoquais se sont hélas révélées bien réelles.
En effet, si la délibération du jury 118 s'est passée sans problème le jeudi 5 juillet, ce fut loin d'être le
cas des oraux du second groupe du lundi 9 juillet.
A 8h30, j'ai fait entrer la première candidate, je lui ai fait choisir un sujet, puis je me suis assise au
bureau. Probablement rendue moins méfiante par mon premier contact avec le lycée Saint-Joseph, ce n'est
qu'à ce moment-là que
j'ai constaté qu'un crucifix était accroché derrière moi, au-dessus du tableau.
Tout en continuant à surveiller l'élève en cours de préparation, j'ai alerté la secrétaire du jury qui se
trouvait dans le couloir pour lui demander de faire enlever ce crucifix.
Elle m'a proposé une autre possibilité : interroger dans une salle sans crucifix ; je lui ai répondu que
cette solution me convenait parfaitement.
Très peu de temps après, s'est présenté
"Monsieur DEMEILLERS, Directeur de l'établissement", que je
n'avais pas rencontré lors de la délibération du 1
er groupe, alors que j'étais pourtant vice-présidente du jury.
Il m'a interpellé en ces termes :
"Vous voulez qu'on enlève le crucifix ? Ça fait longtemps qu'on ne
m'avait pas fait ce coup-là ! Il y a encore des enseignants qui font ça ?"
.
Je lui ai dit qu'effectivement je considérais qu'interroger sous un crucifix était contraire à la laïcité et
qu'il ne devait pas y avoir de signe religieux dans les salles d'examen.
Il m'a répondu :
"Je ne le ferai pas enlever et je ne vous changerai pas de salle. Madame Le Recteur
m'a confié le soin de faire passer le bac, je suis le Chef de centre, je suis dans mon établissement et j'y
fait ce que je veux".
J'ai alors pris une décision dont je lui ai fait part : faire passer l'oral à la 1
ère candidate qui arrivait au
bout de ses 20 minutes de préparation, ne pas faire rentrer la 2
ème et appeler le Rectorat. "Faites, faites,
appelez le Rectorat"
, m'a-t-il lancé avant de s'en aller.
J'ai alors expliqué à la 2
ème candidate que je ne pouvais pas la faire rentrer immédiatement parce que je
devais appeler le Rectorat, mais qu'elle ne s'inquiète pas car elle ne serait en aucune façon pénalisée de
mon différend avec l'administration.
Rouen, le 12 juillet 2012
A 9h15 environ, j'ai appelé Madame NEVEU et je lui ai expliqué la situation ; elle m'a alors fait
patienter quelques minutes puis m'a passé sa
"chef de service". Celle-ci m'a dit que "je perturbais le
déroulement des épreuves et que je devais reprendre les oraux"
. J'ai rétorqué que ce n'était pas moi qui
créais ce dysfonctionnement mais le Chef d'établissement qui ne voulait pas accéder à ma demande.
Comme elle plaidait en faveur des candidats dont
"j'aggravais le stress", je lui ai assuré que je me
comporterais avec les élèves avec la plus grande bienveillance, comme à mon habitude, et que je les
rassurerais si leur oral devait être légèrement décalé.
Faisant preuve de beaucoup de bonne volonté,
je lui ai proposé de faire passer les deux derniers
candidats de la matinée, lui laissant ainsi le temps de régler le problème avant 13h30, heure à laquelle je
devais reprendre les interrogations.
Elle a alors promis de me rappeler en fin de matinée et, en tous cas, avant 13h30.
Après avoir interrogé les deux dernières candidates de la matinée, j'ai rencontré dans le hall du lycée le
Chef d'établissement qui m'a invitée à le suivre dans son bureau, ce que j'ai fait. La conversation a
commencé par un narquois :
"Alors, vous voulez faire enlever tous les crucifix de St-Jo ?", auquel j'ai
répondu que je demandais uniquement que ce signe religieux soit enlevé de ma salle d'interrogation ou
qu'on me change de salle.
"Il n'y a que vous que cela gêne"
, m'a-t-il rétorqué. Comme je lui faisais remarquer que cela pouvait
aussi perturber des élèves, il s'est emporté en disant :
"De quel droit parlez-vous au nom des élèves ?".
J'ai répondu que je n'étais pas leur porte-parole mais que j'en connaissais que la présence d'un symbole
religieux pendant une épreuve pouvait mettre mal à l'aise.
Chacun restant sur ses positions, la conversation a très vite tourné court.
Vers 10h45, j'ai alerté mon syndicat, le SNES, qui est aussitôt intervenu auprès de vos services.
Régulièrement tenue au courant par le SNES des démarches effectuées, j'ai su qu'avaient été informés du
problème, en plus de Madame BOUHELIER (Chef de la DEC), Monsieur LACROIX (Secrétaire Général du
Rectorat),MonsieurMARIE (Directeur du Cabinet) ainsi queMonsieurMACÉ (IA-IPR deMathématiques).
Profitant de la pose déjeuner, j'ai regardé si les autres salles où se déroulaient les oraux étaient elles
aussi ornées de crucifix : dans le couloir où je me trouvais, une seule - en plus de la mienne - en avait un
et les trois autres salles utilisées n'en comportaient pas. Par ailleurs, je n'en pas vu non plus - autant que
j'ai pu en juger en regardant par le hublot - dans les salles de l'autre côté du couloir, des salles de sciences
principalement. Il aurait donc été particulièrement simple de m'attribuer l'une d'elles.
Madame BOUHELIER
m'a rappelée vers 13h20 pour m'informer que la décision avait été prise de ne
pas demander au Chef d'établissement de me changer de salle
, en conséquence de quoi je devais
continuer les oraux dans la salle qui m'avait été attribuée. Et de conclure :
"à vous de prendre vos
responsabilités"
. Elle m'a informée que Monsieur MACÉ devait lui aussi me contacter mais je n'ai pas reçu
d'appel de sa part ce jour-là
(1).
J'ai par ailleurs appris par le SNES qu'en accord avec Monsieur MACÉ, un autre professeur de
Mathématiques avait été sollicité pour me remplacer l'après-midi au cas où je déciderais de ne pas
poursuivre les interrogations. Solution qui m'a semblé tout à fait insatisfaisante pour deux raisons : cela
aurait retardé les épreuves - bien plus longtemps qu'en changeant de salle - et décalé d'autant la délibération
du second groupe ; et surtout, cela ne réglait en rien le problème du non respect de la laïcité puisque les
élèves auraient été interrogés dans une salle comportant un symbole religieux.
J'ai alors décidé de poursuivre les oraux après avoir soustrait moi-même le crucifix au regard des
candidats. J'ai constaté qu'il pouvait être très facilement décroché, ce que j'ai donc fait.
Je vous écrivais dans mon courrier du 30 mai :
"Je ne doute pas que vous aurez à coeur de rappeler aux
chefs d'établissement des lycées concernés leur obligation de respecter strictement les principes de neutralité
confessionnelle, notamment en supprimant tout symbole religieux des couloirs et des salles d'examen"
.
Je ne sais si vous avez effectué ce rappel mais force est de constater que, non seulement ces principes
n'ont pas été respectés au lycée Saint-Joseph, mais que
vos services ont donné raison au Chef
d'établissement qui refusait de les appliquer
.
Pourtant, en réponse à une question écrite sur le
Respect du principe de laïcité lors de l'organisation des
examens
, posée le 31/12/2009 parMonsieur Alain FAUCONNIER (Sénateur de l'Aveyron),Monsieur Luc
CHATEL
, alors Ministre de l'Éducation Nationale, avait répondu le 10/06/2010 : "(…) En ce qui concerne
l'organisation des examens, le juge administratif a considéré qu'
« aucune disposition législative ou réglementaire
ni aucun principe général du droit n'interdit à un recteur d'utiliser, en tant que de besoin, des locaux autres que ceux des
établissements publics d'enseignement et notamment ceux d'un établissement d'enseignement privé pour organiser les
épreuves d'un examen tel que le baccalauréat; qu'une telle décision ne méconnaît par elle-même ni le principe de laïcité
ni celui de neutralité des personnels de l'éducation nationale »
(TA Bordeaux
, 4 mai 2005, n°0402516).
En conséquence, les établissements scolaires privés sous contrats d'association avec l'État sont
susceptibles, de la même façon que les établissements publics, d'accueillir les épreuves des examens organisés
par l'éducation nationale. Leur participation à cette organisation constitue en effet l'un des aspects du service
public de l'éducation.
Toutefois, afin d'assurer le respect tant du principe de neutralité que du caractère
propre reconnu aux établissements privés, il a été recommandé aux responsables de centres d'examens et
concours de demander à ces établissements d'ôter ou de masquer tout signe religieux ostensible, pendant la
durée des épreuves, dans les locaux accueillant les candidats aux examens. Seuls les établissements ayant
accepté ces consignes seront à l'avenir retenus comme centres d'examens."
Compte tenu de la gravité des faits exposés dans ce courrier, et conformément à cette réponse, je vous
demande donc qu'à l'avenir,
le lycée Saint-Joseph ne soit plus centre d'examen.
Je renouvelle cependant le souhait - exprimé dans mon premier courrier - que les examens ne soient
désormais organisés que dans des établissements publics. Je persiste en effet à penser que faire passer les
épreuves du baccalauréat dans des lycées privés contrevient à l'une des missions du service public :
accueillir l'ensemble des élèves.
Ma convocation dans un lycée privé confessionnel n'aura cependant pas été inutile puisqu'elle m'aura
permis de constater que les dysfonctionnements que je pressentais existent bel et bien.
Puisse-t-elle servir également pour que des dispositions strictes soient prises rapidement afin que de
tels manquements à la laïcité ne puissent plus se produire, au niveau de l'Académie de Rouen mais aussi
au niveau national :
c'est dans ce but que je vais transmettre cette lettre ainsi que la précédente à
Monsieur Vincent PEILLON, Ministre de l'Éducation Nationale
, ainsi qu'à la FCPE et à plusieurs
syndicats de l'Éducation.
Je vous prie de croire une nouvelle fois, Madame le Recteur, en mon dévouement au service public
et laïque de l'Éducation Nationale.
(1)
J'ai reçu un message de MonsieurMACÉ sur mon téléphone portable mercredi 11 juillet vers 11h. Il me demandait
de le rappeler, ce que j'ai fait vers 14h30. En réalité, Monsieur MACÉ avait bien essayé de me contacter pendant que
j'étais au lycée Saint-Joseph, mais son message, envoyé lundi 9 juillet à 12h53, ne m'est parvenu que le surlendemain.
Ce dysfonctionnement des technologies modernes montre qu'il est absolument nécessaire de régler ces problèmes bien
en amont et non pas dans l'urgence.
PJ n°1 :
Copie de mon courrier du 30 mai 2012.
PJ n°2 :
Question-réponse du Sénat au Ministre de l'Éducation Nationale.
NB :
Un exemplaire transmis par la voie hiérarchique et un exemplaire transmis directement.