Dans un entretien avec le site Marianne2.fr, Emmanuel Todd tire le leçon du premier tour des cantonales et de la perception qu'ont les français de la crise économique :
Il constate tout d'abord que le vote FN a été le plus souvent mal analysé, réduit aux transferts UMP-FN, alors que sociologiquement le vote s'étend à des couches sociales peu enclines jusque là au vote extrême et dans des régions où la thématique traditionnelle du FN ne peut trouver de résonance (peu d'immigration par exemple).
Pour lui également, la crise que nous vivons depuis deux ans et demi, a fait prendre conscience aux populations de l'incompétence de leur classe dirigeante, qui en France comme en Europe défendent becs et ongles deux options obsolètes : l'euro et le libre-échange. La déroute des élites françaises est confortée par l'idéologie généralement véhiculée dans les médias dominants :
"Quand je vois Jean-Michel Aphatie face à Marine Le Pen sur le plateau de Canal +, ou quand je lis Laurent Joffrin qualifiant de lepéniste « Ce soir ou Jamais », la meilleure émission de débat du paysage audiovisuel, menacée de surcroît par l’Elysée, il s’agit moins de journalistes que d’idéologues purs qui tentent de perpétuer une vision du monde totalement archaïque.
Mais ils font partie des classes dirigeantes et particulièrement Laurent Joffrin dont les aller-retour entre le Nouvel Observateur et Libération, en tant que directeur, ont significativement contribué à la paralysie idéologique de deux grands journaux de gauche très importants et contribué à la non prise en compte par la gauche des intérêts économiques des milieux populaires".
Il souligne, que le plus important aujourd'hui n'est pas la tactique électorale, mais le renversement de l'hégémonie idéologique des concepts dominants qu'il qualifie de "zombies" (morts alors qu'ils semblent vivants). Il va plus loin en expliquant que s'il y a un problème d'identité nationale pour la France : "il réside dans sa relation à l’Allemagne et non dans ses rapports avec les Arabes. Les élites doivent accepter l’inévitabilité, si l’Allemagne refuse l’idée d’un protectionnisme européen, d’une sortie de l’euro. La réalité économique est que cette sortie poserait, certes, quelques problèmes techniques, mais ouvrirait mille possibilités de renouvellement et d’expérimentation, et des solutions originales aux problèmes posés par la dette publique, quoique peu agréables pour les détenteurs de capitaux."
Une éventuelle dévaluation du franc ne serait vraiment défavorable qu'à ceux qui possèdent beaucoup d'argent, elle doperait l'économie, et alliée à une politique protectionniste, mettrait en avant la solidarité nationale, avec le paradoxe (pour le FN) qu'elle ne pourrait se concevoir sur des bases ethniques, mais sur la notion territoriale contribuant à réconcilier toutes les classes sociales ainsi que les français de toutes origines. Il note que : "Les enfants d’immigrés seraient, autant que ceux des classes moyennes, les premiers bénéficiaires de la sortie de l’euro. Je reconnais que voir le FN en défenseur des enfants d’immigrés a quelque chose de surréaliste si l’on pense à l’ignoble proposition de préférence nationale qui fait partie du bagage idéologique du Front national. Symétriquement, des socialistes qui se battent contre la préférence nationale mais adhèrent à des politiques économiques qui détruisent en priorité les enfants d'immigrés ne sont pas des républicains sincères. En vérité, l'attachement des partis dits républicains à des concepts économiques qui détruisent la vie des Français pourrait faire bientôt du mot République un concept zombie."
Il conclut en rappelant les élites à leurs devoirs : "Je demande simplement que la méritocratie française fasse son boulot, s’occupe de la démocratie française, et justifie ainsi ce qu’a coûté leur formation à la nation. J’admire la capacité du peuple français à résister à des élites devenues irresponsables – y compris malheureusement par un vote Front national - mais je ne crois pas à la possibilité d’une démocratie sans élites. La bonne démocratie fonctionne quand une partie importante des élites prend en charge les intérêts économiques et moraux de l’ensemble de la population."