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Enseignant-chercheur à l'Université de Bordeaux, co-animateur du département d'économie de l'institut La Boétie, membre des économistes atterrés

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Billet de blog 15 janvier 2014

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Monsieur le Président, l'offre ne crée pas la demande

Monsieur le Président,Vous aviez annoncé, lors de votre cérémonie des vœux le 31 décembre dernier, votre volonté de faire des entreprises et du patronat vos partenaires privilégiés. Sans grande surprise, vous avez confirmé ce souhait lors de votre conférence de presse du 14 janvier.

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Monsieur le Président,

Vous aviez annoncé, lors de votre cérémonie des vœux le 31 décembre dernier, votre volonté de faire des entreprises et du patronat vos partenaires privilégiés. Sans grande surprise, vous avez confirmé ce souhait lors de votre conférence de presse du 14 janvier. Fini le discours enflammé du Bourget, dont on constate a posteriori qu’il n’était destiné qu’à attirer les suffrages des nombreux citoyens martyrisés par cinq années de sarkozysme. L’heure est au « réalisme », donc si je vous suis bien, à l’intensification des politiques néo-libérales – ces fameuses politiques de l’offre – qui sont imposées depuis le début des années 1980 dans la majorité des pays en développement et aujourd’hui dans les pays dits développés, avec des résultats pour le moins mitigés. Monsieur le Président, avez-vous oublié les analyses de Thomas Piketty montrant le caractère dangereux d’inégalités, de revenu et de patrimoine, devenues beaucoup trop importantes et la nécessité d’une fiscalité progressive ? Ne voyez-vous pas que ces inégalités criantes sapent les fondations de notre République ? Au lieu de cela, vous offrez au MEDEF l’arrêt des cotisations familiales versées par les entreprises à l’horizon 2017 (30 milliards d’euros), ce qui devra bien être financé par d’autres catégories de la population, tout comme les suites de la crise de 2008 sont financées principalement par ceux qui n’y sont pour rien, les ménages.

En considérant que « l’offre crée la demande », reprenant en cela la célèbre formule de l’économiste libéral du 19e siècle Jean-Baptiste Say, vous avez définitivement tourné le dos aux idéaux de la gauche, dont vous vous vantez pourtant d’être le garant. Si l’offre crée la demande, pourquoi la politique de l’offre consistant à subventionner à hauteur de 43 milliards d’euros le Rafale est-elle si inefficace ? Pourquoi ce fleuron de l’industrie guerrière, produit par un industriel au dessus de tout soupçon (sic), ne trouve-t-il pas d’acheteur autre que l’armée française ? Il est vrai qu’en matière de politique d’offre, vous ne faites que poursuivre la politique de votre prédécesseur qui lui, entre autres choses, réduisait la TVA dans le secteur de la restauration dans le but de favoriser l’emploi tandis que les restaurateurs eux augmentaient leurs marges... sans embaucher.

Monsieur le Président, plutôt que de vous égarer en flattant les instincts les plus égoïstes du patronat, vous auriez pu relire les travaux du célèbre économiste anglais John Maynard Keynes. Si les économistes libéraux ont tenté au cours des trente dernières années de ranger sa pensée au rayon des idéologies surannées, vous devriez vous rappeler que ce sont bel et bien des politiques keynésiennes, soutenant la demande, qui ont été à la base des trente glorieuses. Peut-être pourraient-elles nous inspirer quand trente ans de politiques de l’offre ont simplement permis aux plus riches de s’enrichir et aux plus pauvres de s’appauvrir ? Quoiqu’il en soit, Keynes nous a également montré qu’aucune politique économique ne peut réussir en l’absence d’un ingrédient essentiel : la confiance. Celle-là même qui vous fait défaut depuis que vous avez affiché votre « réalisme ».

Monsieur le Président, vous devriez vous rappeler que vous occupez le poste qui est le votre par la seule volonté du peuple français qui vous a accordé son soutien sur la base d’un programme, que vous avez renié immédiatement après avoir été élu. Tout ceci n’est pas de nature à restaurer la confiance de nos concitoyens. Vous pourrez donc faire tous les « cadeaux » que vous voudrez aux entreprises, la confiance en votre action et la légitimité de votre fonction ne pourront être garanties si vous persévérez dans ces politiques de l’offre et oubliez les politiques de demande, celles qui assurent une meilleure cohésion sociale et améliorent le bien être de la population.

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