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Billet de blog 9 avril 2008

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Paris sous l'Occupation, une ville douce, tranquille et ensoleillée ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Depuis quelques jours, la polémique enfle. L’exposition « Les Parisiens sous l’Occupation », photographies couleur d’André Zucca, à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris, n’en finit pas d’inquiéter ses visiteurs.

Les faits sont simples. André Zucca, photographe français talentueux, reçoit une commande du magazine nazi Signal. On lui accorde, pour assurer ce reportage, des pellicules inversibles Agfa couleur. La firme ne les fabrique que depuis 1939. André Zucca sillonne donc Paris durant toute la guerre et constitue des images de propagande pour l’Occupant. La Bibliothèque Historique les expose aujourd’hui.

Ces images sont techniquement et plastiquement fascinantes. La couleur Agfa inversible est sublime, d'une grande densité, presque saturée, mais toujours très nette. Tout cela est charmant. Personne ne pourra le contester. André Zucca a du talent. La muséographie s’en arrête là, en menant une promenade à travers Paris, quartier par quartier.

En revanche, ces clichés traduisent une ignorance (au mieux) ou une éviction des réalités de l'Occupation. Deux étoiles jaunes floues sur plusieurs dizaines de clichés très soignés. Une file d'attente, mais pour la ration de vin (ah, ces français, toujours bons-vivants !). Des sourires. Des soldats allemands sympathiques. Mais va-t-on reprocher à un photographe, pris dans l’appareil de Collaboration, d’être aveugle aux réalités de sa ville ? Le débat n’est pas là.

La question cruciale réside dans l’absence d'appareils critique et pédagogique dans cette exposition d’une œuvre de propagande. Qui imaginerait diffuser les chroniques de Philippe Henriot pour Radio-Paris sans un minimum d’encadrement historique ? Après différentes alarmes dans la presse (Libération, Rue 89) et dans les blogs (Assouline), la Mairie de Paris a décidé de distribuer un petit avertissement sur une feuille photocopiée. L’équipe d’accueil vous la collera dans les mains quand vous achèterez votre billet. Que dit cette feuille ? Qu’André Zucca ne montre rien des files d’attente, des rafles de juifs, des actes de Résistance. Soit.

Après tant d’alarmes, j’ai visité l’exposition hier. On y tentait de rendre plus voyant le nom de Jean-Pierre Azéma, grand historien de la période d’Occupation, qui sert de caution morale par la préface qu’il a accordée au catalogue.

Entre la feuille d’avertissement et la caution Azéma, on tente un ridicule replâtrage communicationnel. La « présence au générique » de l’historien n’entame en rien l’indigence intellectuelle et historique de cette exposition. L’avertissement ne bouleverse pas sa conception. Il faut d’urgence qu’un appareil critique soit proposé au public.

Les faits sont têtus, mais la géographie aussi. La Bibliothèque Historique de la Ville de Paris se situe rue Pavée, en plein Marais, aujourd’hui parcouru par des milliers de touristes ; hier important quartier juif. Quelques visiteurs étrangers viendront voir cette exposition, en passant. Ils se diront, s’ils n’ont pas une solide culture historique : c’était tranquille Paris sous l’Occupation. Ils ne sauront pas qu’à quelques dizaines de mètres de là, la nuit du 2 au 3 octobre 1941, la petite synagogue de la rue Pavée, conçue par Guimard en 1914, a été dynamitée par une bande de collabos. Ils ne sauront pas car l’exposition ne leur en dira rien. Ils repartiront avec les couleurs chaudes et les images joyeuses d’un Paris qui sera toujours Paris.

Mai 2008.

A la suite des nombreux rebondissements de cette polémique politico-médiatico-historique, la Mairie de Paris a finalement décidé d'encadrer l'exposition de débats, de panneaux d'avertissements et surtout d'un peu plus d'attention. Les organisateurs (Directeur de la BHVP et commissaire d'exposition) ne semblent, quant à eux, toujours pas voir le problème. Puissent-ils n'être jamais appelés à réitérer.

Programme des débats, ici

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