J’ai pris connaissance de la création de Nouvelle Donne par Médiapart. L'article qui en rendait compte a été rudement commenté par les lecteurs dont beaucoup ont vu dans cette initiative une diversion qui affaiblie la gauche et l'expression d'ambitions personnelles, cependant que quelques autres s'enthousiasmaient sans mesure pour quelque chose qu'ils «attendaient depuis longtemps».
Ces deux attitudes, refus d'apporter du crédit ou adhésion non critique sont pareillement dommageables à une entreprise de renouvellement dont la nécessité n’échappe à personne, indépendamment de qui la porte. Elles ont en commun d'émaner de personnes qui semblent parfaitement savoir ce qu'il faut faire pour obtenir une «meilleure justice sociale» pour éviter de dire une «politique de gauche», tant ce dernier mot, sali, encombré, méconnaissable, est devenu inemployable. Ils savent quel individu est apte ou non à porter un tel projet.
Ceux qui tiennent des discours si marqués sont ils nés depuis moins de dix ans ? Ont-ils respiré l'histoire ? Et s'ils distinguent au premier coup d'œil un traître d'un honnête homme, que savent ils des pressions, certaines exercées par des crapules, et des freins qui provoquent la parturition géante par laquelle une société en met une autre au monde ?
Contrairement à ce que semble enseigner l'expérience, il faut croire, par principe, la parole d’un homme tant que la preuve n'est pas apporté qu'il s'agit d'un menteur. C'est un moyen d'empêcher un éventuel menteur de se révéler, de le contraindre à croire lui-même en sa parole.
Il faut prendre Nouvelle Donne au mot. Cette appellation est à la fois un programme et un constat. Elle appelle à redistribuer les cartes, elle désigne des évolutions dont il faut tenir compte. Elle ne manque pas d'ambiguïtés. Redistribuer les cartes peut s'opérer entre les joueurs actuels et la complexité, abusivement invoquée, justifier une confiscation du savoir et de l’action au profit des experts.
Révéler ces ambiguïtés, proposer des moyens pour qu’elles ne dressent pas les barrières secrètes qui brisent nos élans, est la tâche que je voudrais faire mienne en adhérant pour la première fois de ma vie (qui s'écoule depuis un peu plus de 60 ans) à un parti politique ou, pour la séquence actuelle, à un projet de parti politique. Cela suppose un vrai débat vivant dont les formes sont, elles aussi, à inventer. Ce n’est pas fait, tant la force du souci de soi complique la réflexion collective. Je ne m'engage pas pour rire, ce qui ne m'empêche pas de croire que nous avons grand besoin d'humour pour compenser le sérieux et l'air de maîtrise avec lesquels nous parlons de choses qui nous échappent presque entièrement. Si nous nous prenions moins au sérieux nous ferions du meilleur travail, nous raccourcirions les délais que notre quant à soi nous imposent pour constater et corriger nos erreurs. Je m'engage pour parler avec d'autres et pour être loyal. Le projet est une Nouvelle Donne, il ne trouvera pas tout de suite sa manière, s'il la trouve jamais. Rien n'empêche d' y être fidèle même s'il parait insatisfaisant, d'attendre qu'il rencontre les écueils formateurs, et pendant ce temps de rester en compagnie de ceux qui font vivre cette formulation nécessaire des enjeux politiques.
Mes objections et propositions ont peu de chance de rencontrer d'écho, toutefois c'est un endroit où il parait possible de les mettre en débat. Si ce n'est pas possible, c'est que j'aurai tord, la vérité est trop obscure pour imaginer qu'on la détient, elle est trop étrangère aux croyances pour venir facilement à nous. Elle est affaire de foi. Or notre société est pétrie par les croyances et par l'absence de foi. Ce texte me servira de carte de visite à l'entrée de Nouvelle Donne. S'il s'agit vraiment d'un laboratoire d'idées, ses travaux ont intérêt à être public, c'est une des conditions pour combattre le sentiment répandu de "cuisine interne".
La présentation des vingt propositions ne se départit pas d'un ton technocratique qui ne semble pas propre à entraîner des foules de citoyens. Le texte est émaillé des inévitables graphiques à courbes descendantes que l’échelle variable rend aussi plongeantes que possible. La technicité est utile, elle doit résulter d'un mouvement qui en fait sa figure de proue, mais ce mouvement lui-même doit être obtenu par des moyens qui parlent plus directement aux cœurs des hommes, qui les relie plus directement au prodige d'être vivant, conscient, actif et peut être acteur. La manie de tout mettre en chiffres, de tout comparer, est, sous ses dehors rationnels et rassurants, un détour du regard, un abandon de responsabilité. Elle revient à traiter les hommes sur le seul registre quantitatif, à en faire des pourvoyeurs de statistiques et de sondages, à faire que les chiffres parlent et les hommes se taisent. Il est vrai que les statistiques et les sondages nous apprennent beaucoup, il n'y a guère que l'essentiel qui leur échappe. L'essentiel qui, précisément, consiste à proposer aux hommes de nouvelles donnes, c'est le rôle des acteurs politiques, et non à les conforter dans le renoncement.
La technocratie doit être à sa place, elle doit servir et non confisquer. Au sein du tissu de contradictions aux travers duquel nos vies et nos aspirations cheminent, le conflit entre servir et confisquer, partout à l'œuvre et partout ignoré, amplifié et cependant masqué par le triomphe de l'individualisme, mérite toute notre attention tant la frontière est ténue entre ces deux termes dont la confusion est dévastatrice pour la construction sociale.
Regarder en face cette contradiction, douloureuse à observer tant elle oblitère nos intelligences, sans jeter l'anathème sur qui que ce soit, est de première nécessité. Elle interdit d'émettre des propositions du genre "l'humain d'abord" depuis une position surplombante. L'humain d'abord c'est forcément changer d'échelle, c'est rendre chaque homme proche des décisions qui concernent et façonnent sa vie.
Ce changement d'échelle est au cœur des propositions que je souhaite mettre en débat, si la chose est possible, dans Nouvelle Donne. J’en décris sommairement un moyen éventuel dans le texte précédent sur ce même blog, intitulé «Un impératif : repenser le travail ». Il est hautement probable que ce sont des idées grotesques mais je doute, en toute modestie, qu’elles le soient au point de ne mériter aucune attention, aucune discussion. Je crois plutôt que nous sommes pétrifiés à la fois par la difficulté de la situation et par le besoin d’une agitation permanente qui empêchent la décantation de la moindre idée.
Deux mots sur ce que je propose pour modifier (et non réduire) le temps de travail. La réduction à 32 h pour tous amplifierait encore les lourdeurs de notre système et, en augmentant le coût du travail, rendrait de plus en plus séduisantes et rentables des automatisations dommageables pour le lien social.
Par ailleurs, il ne parait guère concevable de proposer une nouvelle donne sans renouveler la manière de désigner les candidats aux élections. Le désir du pouvoir ou du titre qui semble le conférer, rend fou. Il ne rend pas fou des individus corrompus, il corrompt par nature les membres d'une société composée à 99 % d'individus corruptibles, ne serait-ce que par la relation que le désir de pouvoir entretient avec le désir tout cour, ce qui le rend inextinguible. Croire appartenir au 1% non corrompu est une autre folie. Nous sommes tous corruptibles à 99 % et incorruptibles à 1% parce que nous sommes fait des autres, nous n’existons pas sans eux, sans leurs reflets en nous. Si nous sommes, à certains moments de notre vie, non corruptibles, c'est par accident ou par retranchement. Il n'empêche, c'est un des miracle de l'existence humaine : ce 1% aléatoire et fragile est la source essentiel du vivre ensemble.
Il faut découpler l'action politique de l'obtention des mandats. Deux possibilités : solliciter des personnes extérieures au parti pour constituer une liste ou tirer au sort les candidats et mieux encore mixer les deux systèmes. En plus de sa supériorité éthique, une telle procédure serait en elle-même un élément de promotion des idées que nous voudrions défendre.
Je pensais quitter Médiapart parce que je le lis peu et que la chasse aux riches et aux corrompus ne m’intéresse pas. Elle n’est plus instrument d’une utile prise de conscience, désormais largement répandue, elle nourrit un marché qui fini par nous éloigner de la vraie, la grande urgence : partir en quête de nos richesses et exploiter nos gisements à ciel ouvert.
Médiapart, comme Nouvelle Donne, mérite qu'on s'en empare pour l'orienter vers une démocratie réelle. Je vais y rester pour le moment. En fait je lis le Monde papier chaque jour et manque de temps et le goût pour lire sur écran. Dieu sait que ce journal me met en colère mais je le pratique depuis toujours, c'est ma famille, et selon l'expression commune on choisi ses amis, pas sa famille. Par exemple il n'a pas fait part dans l'édition papier de la naissance de Nouvelle Donne. C'est sans doute que le groupe BNP (Bergé, Niel, Pigasse) n'a pas besoin de nouvelle donne, la donne actuelle lui convient qui fait tomber dans son jeu un tel fleuron de la culture française. Ce petit détour par la presse car en matière d’agent double…Mais chut…Taisons nous.