Comme vous le savez peut-être, Mediapart a compté les manifestants mardi dernier. On en a trouvé moins que la police, ce qui a suscité un vague de commentaires indignés d'une partie de nos lecteurs. L'article est actuellement le plus lu et le plus commenté du site...
Le postulat de départ, défendu par Mathieu Magnaudeix, était pourtant simple (et sain): si l'on peut se contenter d'un écart allant du simple au triple, quand on parle de plusieurs millions de personnes dans les rues, c'est inquiétant en démocratie. Il a donc été considéré que c'était aussi le boulot des journalistes de compter les manifestants, c'est-à-dire de se confronter à ce réel là, même s'il est pénible, artisanal, fastidieux, hésitant, pour ne pas le déléguer à telle ou telle partie, dont les intérêts divergent.
La méthode utilisée par Mediapart a plusieurs fois été expliquée (ici, par exemple).
Pour information, une société espagnole a également compté les manifestants à Paris, mais par photo aérienne. Résultat: moins que la police. A Marseille, plusieurs rédactions (dont l'AFP et Radio France) ont compté les manifestants. Résultat: moins que la police. Les journalistes du Progrès à Saint-Etienne, aussi. Résultat: moins que la police.
Ce n'est pas inutile de le savoir, même si tout cela n'a aucune valeur scientifique. Car le fond l'histoire et du message, c'est bien de dire que cet audimat social est parfaitement absurde. Comme si la valeur d'une mobilisation sociale, ses enjeux et ses audaces - et Mediapart a suffisamment dénoncé les injustices de cette réforme ! - devait se jauger au nombre de personnes dans la rue, c'est-à-dire avec ce que l'idéologie capitaliste peut produire de pire: c'est la quantité qui fait la qualité.
Tout cela est alimenté par une classe gouvernante risible, qui nous dit, grosso modo, «à 4 millions, j'enlève le haut ; à 5 millions, j'enlève le bas», pour reprendre l'expression utilisée par Antoine Perraud en conférence de rédaction. Les syndicats, sans réfléchir, jouent ce jeu-là. C'est désespérant.
Et s'il y avait vraiment 3,5 millions de personnes dans les rues, la presse aurait beaucoup plus de lecteurs, les partis politiques beaucoup plus de militants et les syndicats beaucoup plus d'adhérents. Et si on arrêtait avec cette mythologie bien française pour regarder vraiement ce qui... compte ?