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Billet de blog 10 février 2009

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Qu'est-ce qu'être de gauche ? (Suite et fin ?)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Pour poursuivre le débat de manière plus fluide, je vous propose, comme cela m'a été suggéré, de poursuivre le débat ici. Nous en étions à la question du débat égalité/équité et nous en venions à celle de l'individualisme et de l'école.

Contribution de virgil Brill sur une conception de l'individu non instancié sur la marchandise pour ré-inventer un imaginaire de gauche :

Jean-Claude Charrié m'a demandé hier d'apporter quelques précisions. Excusez moi d'avoir tardé, cela ne tient pas seulement à une cascade d'obligations mais aussi je dois l'avouer au fait que je manque de sommeil et ne suis pas très sûr d'arriver à être clair.
En fait ce retard a du bon car j'ai pu lire l'échange si riche et si lucide entre Melchior et Farid, complété par les remarques de Fantie et Vincent. Ainsi que la fine mise au point de Grain de sel qui me déblaie le terrain et que j'utilise sans vergogne comme introduction. C'est bien sûr dans le premier niveau de questionnement que je me situe quand je parle dela (re)constitution d'un imaginaire de gauche, c'est à dire non instancié sur la marchandise et l'individu, mais irrigué par la culture du soi et la convivialité [qui] doit nécessairement accompagner, voire inspirer l'indispensable et urgente reconstruction théorico-politique.
Jean-Claude estime que ça touche juste mais fait deux réserves et demande des éclaircissements.
1) Il lui semble incohérent de vouloir fonder la revigoration d'un imaginaire de gauche à la fois sur la culture du soi et le refus de l'individu. Simple problème de définitions. L’individu comme objet, comme unité quantitative, considéré isolément, avec un perspective de “réussite”. La personne, le soi, comme sujet singulier avec un projet d’épanouissement.

Je refuse d'être considéré simplement comme individu isolé, comme un client, un justiciable, un contribuable, toutes données quantitatives et objectivables.
C'est bien à cette condition quasiment réifiée que tend à nous réduire le fonctionnement sociétal fondé sur le profit. Nous sommes tous des unités économiques définies avant tout par une quantité de profit. On appelle ça la réussite, la pauvreté, ce genre de choses.
C'est bien l'affaire de l'individu de s'en sortir, proclame la droite. C'est bien à la collectivité d'agencer une transformation sociale visant à l'émancipation, affirme la gauche. Emancipation, certes, Quelle émancipation ?
Emancipation de l'individu, ce client qui voudrait pouvoir acheter plus de "belles" choses vues à la télé, dans la pub, les séries ? Faisant le jeu du mercantilisme qui propose un rêve de bonheur fondé sur l'acquisition marchande?
Ou émancipation de la personne, enfin en mesure de rêver ses propres rêves, d'imaginer ses propres fins, d'explorer ses propres profondeurs et de s'intéresser à celles de ses semblables ? Ces valeurs auxquelles je fais des allusions insuffisantes ne sont pas à proprement parler des valeurs de gauche "en soi"mais il me semble qu'un imaginaire de gauche qui ne les intègrerait pas serait bien pauvre et n'aurait que des revendications quantitatives comme indépassable horizon, faisant en cela le jeu du capitalisme mercantile.
A partir d'un socle minimum défini par le Préambule de la Constitution et dont l'insuffisance prolongée (et même en train de s'aggraver) est un scandale de plus en plus insupportable dont seul un mouvement social puissant pourra venir à bout, il est mentalement et humainement indigent de projeter son désir sur l’avoir tel qu’il nous est dicté par la mythologie marchande, comme signe d’excellence de l’individu et comme substitut du soi. De plus cette misère morale est politiquement contre-productive.

2) je ne crois pas que l’imaginaire de gauche se soit historiquement et soit encore « instancié sur la marchandise » ; je pense pour ma part qu’il l’est d’abord sur le travail et la croissance nous dit encore Jean-Claude.
Ce n’est pas que l’imaginaire de gauche soit en tant que tel instancié sur la marchandise. Mais il l’est par défaut. Nous sommes TOUS assiégés par les rêves de droite, les rêves de marchandise, de réussite sociale individuelle. Cette mythologie marchande et atomisante baigne la société en permanence et procède insidieusement. C’est je crois un des agents de ce que jpylg appelle le formatage de l’opinion, d’autant plus redoutablement efficace que cela n’agit pas de façon rationnelle mais par imprégnation inconsciente et intériorisation de modèles directeurs d’autant mieux suivis qu’ils paraissent “tout naturels”. Qu’on soit de gauche ou non. Combien de gens de gauche s’abstiennent de regarder la téloche ou la regardent d’un œil distancié et critique ? Pas de quoi faire des multitudes. Comprenez moi bien: je ne parle pas ici des “buts de guerre” de la gauche, je parle de l’imaginaire des gens.Je crains que la Starac’ n’y tienne plus de place que “le Temps des cerises”.

Quand nous chanterons le temps des cerises,
Et gai rossignol, et merle moqueur
Seront tous en fête.
Les belles auront la folie en tête
Et les amoureux du soleil au coeur...
Quand nous chanterons le temps des cerises,
Sifflera bien mieux le merle moqueur.

PS 1 Pardonnez moi d’avoir été à la fois aussi sommaire et aussi prolixe. J’ai trouvé moins discourtois de vous livrer ce galimatias que de vous faire attendre encore. Je suis prêt à essayer d’éclaircir ce qu’il y a de fumeux et de compléter les criantes lacunes en répondant à vos questions.

PS 2 Ces géniales considérations doivent beaucoup à Mona Chollet (la Tyrannie de la réalité, Rêves de droite – Miguel Benasayag, viré de France Culture par l’exquise Laure Adler (le Mythe de l’individu) François Flahaut (le Paradoxe de Robinson)
et Gabriel Tarde, tel que cité et commenté par Bruno Latour et quelqu’un d’autre (l’Economie, science des intérêts passionnés).
Ne leur en veuillez pas : ils valent la peine que vous les lisiez vous-mêmes.

10/02/2009 17:27Par Virgil Brill

Intervention de Jean-Claude Charrié sur la vision et le projet de la gauche, suivie d'un commentaire prémonitoire de fantie B..

Bonsoir, j'ai repris le déroulé de ce fil juqu'à votre échange d'aujourd'hui, la question éducative a souvent été effleurée, elle est très souvent sousjacente et j'en viens à considérer qu'elle est en réalité centrale.

Je reprends depuis cette proposition de Vincent : "Vous dites également : la droite postule que les individus ont les moyens de leur autonomie (ou de leur individualisme entendu comme l'autonomie par rapport à son groupe social) alors que la gauche devrait, à mon sens, armer les individus pour l'individualisme.
Mais alors, si la gauche atteint son objectif, ne devient-elle pas la droite?"
Nous en arrivons bien me semble-t-il au fondement de la pensée politique de gauche : « armer les individus pour l'individualisme » n’étant qu’une reformulation actualisée de l’engagement pour l’émancipation.
Soit : à gauche postulat de l’égalité en droits, posée en réalité comme but, et projection politique volontariste comme moyen de l’atteindre par l’équité, contre interprétation de l’égalité en droits posée comme état ou don originel, et projection politique fataliste comme organisation de la liberté d’exercice de ce don à droite (sans égard pour la notion d’équité).

10/02/2009 19:03Par Jean-Claude Charrié

Oui, je crois que la question des "dons" de l'individu va bientôt se poser.
La droite ne postule-t-elle pas l'inégalité intrinsèque des individus, de par leurs "dons", leur héritage inné etc ? L'individu ne devrait là sa valeur qu'à son "lignage", ou à lui-même (sa volonté).
Tandis que la gauche postulerait que le contexte dans leqquel l'individu naît et grandit a une énorme importance pour le développement de ses compétences.
( j'ajouterai pour ma part : et aussi, pour le développement de sa volonté).

Contribution de Pierre Fayollat sur l'importance de la question éducative, entendue au sens large, et qui s'articule de mon point de vue au commentaire de Jean-Claude plus bas.

Il me semble que transformation sociale est trop neutre. Je préfère, et de loin, la justice sociale dans la démocratie pour vivre bien tous ensemble.
Comme le souligne fort justement Jacques Rigaudiat, justice sociale c'est mieux qu'égalité des chances.
Et pour réduire les déterminismes sociaux, il faudra peut-être s'intéresser à la famille : un tout petit d'une faille ballotée par la précarité, sans jouet ni livre, bercé par la télé ou les "cassettes du bled" du matin au soir et qu'on fesse pour le corriger ne sera pas à égalité avec un enfant entouré de parents s'exprimant bien, sans grave problèmes économiques et sociaux, affectueux et attentifs, lisant des histoires tous les soirs, chantant des comptines, proposant des jouets et jouant avec l'enfant etc. Ça se voit dès la maternelle. La maternelle et l'école corrigent un peu. Si peu qu'au collège c'est déjà fini pour beaucoup : ces ados y vont car c'est un lieu de socialisation mais plus un lieu d'apprentissage de connaissances. Il sont largués.
Et donc, la justice sociale dans la démocratie pour vivre bien tous ensemble ne sera possible qu'en remettant en cause profondément la manière d'élever les enfants uniquement sur le modèle familial notamment dans la toute petite enfance. C'est bien sûr un exemple parmi d'autres.
Pour réduire les déterminismes sociaux, il faut aussi s'attaquer au néo-colonialisme qui exploite les pays du sud et y favorise des économies rentières et des régimes anti-démocratiques. Ce néo-colonialisme est indispensable au maintien de ressources bon marché pour alimenter le productivisme et la croissance. Or la conséquence, c'est la montée de la misère au sud qui tente d'y échapper en venant chez nous et dont on retrouve les enfants dans nos écoles avec toutes les difficultés que l'on connait. Chance pour nous, cela crée un brassage culturel à terme profitable et la France est ainsi moins uniforme et morose que les pays trop repliés, voire.
Et donc, la la justice sociale dans la démocratie pour vivre bien tous ensemble ne sera possible qu'en remettant en cause profondément la manière d'élever les enfants et aussi qu'en cessant l'exploitation capitaliste.
Nous ne sommes plus là dans la régulation polie et policée mais dans la révolution qui n'est pas celle du "capitalisme vert" bien tempéré, car le capitalisme, c'est les inégalités, la crise et le désastre écologique. Ça fait suffisamment longtemps que ça dure pour qu'on s'en aperçoive.

Ce n'est pas une synthèse mais un point d'étape. Pour éviter d'être taxé de partialité par Etoile 66, comme elle le fait plus bas dans le fil où elle parle d'un "résumé", je précise qu'elle considère que nous sommes prisonnier d'une idéologie, de notre univers qui ne dépasse pas nos frontières (comme le nuage...), et que nous pensons en tiroir.

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