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Billet de blog 2 avril 2011

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Tri sélectif des étrangers à Bobigny et ailleurs

Comment obtenir une vague "incontrôlée" de migrants à partir d'un flux donné? Il suffit de les empêcher d'accéder aux services compétents en imposant des tris sans cesse répétés et des quotas minuscules. Le désir de vivre en règle les ramènera toujours gonfler les interminables files d'attente. Jusqu'à quand l'accepterons-nous, jusqu'à quand l'accepteront-ils?

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Comment obtenir une vague "incontrôlée" de migrants à partir d'un flux donné? Il suffit de les empêcher d'accéder aux services compétents en imposant des tris sans cesse répétés et des quotas minuscules. Le désir de vivre en règle les ramènera toujours gonfler les interminables files d'attente. Jusqu'à quand l'accepterons-nous, jusqu'à quand l'accepteront-ils?

La préfecture de Seine Saint Denis est sise à Bobigny, Esplanade Jean Moulin, du nom du préfet de Chartres qui refusa d'obéir aux instructions du gouvernement de Vichy et devint en 1943 l'unificateur de la Résistance. Le bâtiment du service des étrangers porte le nom de René Cassin, le père de la déclaration universelle des droits de l'homme, prix Nobel de la Paix en 1968. Les centaines d'étrangers qui, chaque jour, tentent de se rapprocher de la légalité française, ne peuvent imaginer que c'est sous la protection de ces prestigieux symboles qu'ils subissent la brutalité préfectorale.

Nous avons relaté leur révolte du 3 mars 2011 contre la sélection policière arbitraire pour l'accès aux guichets; révolte soutenue par celle du personnel préfectoral chargé de l'accueil, de l'autre côté de ces guichets. Le 7 mars au matin, le personnel d'accueil coupable d'insoumission était muté et remplacé, semble-t-il, par du personnel de la cantine.

Quelque temps plus tard, le personnel d'accueil sera ramené derrière ses guichets. Mais les conditions d'accueil ne font que s'aggraver, comme en témoignent quelques récits de personnes accompagnant des étrangers dans leur démarche.

8 mars 2011. "J'accompagnais un homme algérien, Monsieur G., pour retirer le formulaire de première demande de titre de séjour. Il était arrivé vers 7 heures. J'arrive moi-meme vers 8h30, il y a environ 200 personnes devant la porte 1.

Ouverture à 8h40, un vigile d'une société extérieure laisse passer par petits groupes, un peu plus loin deux fonctionaires de la préfecture (pas des policiers) demandent les papiers d'identité et la raison pour laquelle nous sommes là - premiere demande ou renouvellement - et donnent des tickets pour les guichets.

A 9h30 c'est à Monsieur G d'arriver à la porte d'entrée : il n'y a plus de tickets pour les premières demandes ! La fonctionnaire m'indique qu'elle avait 200 tickets dont 20 pour les premières demandes, les autres pour les renouvellements. Veuillez revenir une autre fois !

Conclusion : inutile de déranger des policiers pour faire un tri, il suffit de mettre un système de tickets ... et de refuser d'en délivrer ! Elémentaire, mais il fallait y penser. Il ne s'agit pourtant que de retirer aux guichet un formulaire de quatre pages et une feuille cartonnée à signer, pour ensuite les renvoyer en lettre recommandée avec accusé de réception avec le reste du dossier. "

29 mars 2010. "Entendu à la préfecture de Bobigny, à l’entrée réservée aux personnes prioritaires (femmes enceintes, handicapés) :

Une jeune femme se présente.

L’agent « d’accueil » : Pourquoi vous êtes là ?

- Je suis enceinte

- Ouvrez votre manteau .

Commentaire à voix haute à son collègue : y’en a qui mettent des coussins pour passer devant.

Un monsieur âgé avec un papier à la main.

L'agent : c’est pas valable, faites la queue.

Commentaire : un certificat de complaisance, les médecins font n’importe quoi.

Un homme : vous venez de faire entrer ma femme, je voudrais la rejoindre.

Réponse : il fallait passer ensemble, on n’est pas au supermarché ici. Faites la queue.

Au filtrage de la file 1, une vingtaine de tickets sont distribués pour les premières demandes de régularisation. Après cela:

Une femme se présente pour une première demande :

- Revenez demain, y a plus de ticket

- Mais je fais la queue depuis 4h du matin

- Revenez demain, plus tôt. Allez circulez, vous gênez.

Un homme montre son passeport : vous avez un visa de tourisme, vous ne pouvez pas avoir une carte de séjour avec ça. Allez, n’insistez pas."

Sur le panneau lumineux dans la salle d'attente : "La Direction des étrangers est heureuse de vous accueillir". Ah bon ! "

31 mars 2011. "Ce matin, j'accompagne un jeune pasteur congolais, marié à une réfugiée et qui vient demander un titre de séjour. Le dossier de ce jeune homme est impeccable : son passeport pour prouver son identité et son attestation de logement pour que lui parvienne la convocation à l'examen de situation, dont on nous dit que c'est "une question de mois, peut-être six ou huit par les temps qui courent." A une demande de précisions, la guichetière répond qu'elle "ne peut rien dire, ça change tout le temps ! Alors, pour les précisions, demandez directement au Préfet, ha ha ha !" Il y en a au moins une que ça fait rire !

La file se résorbe et c'est notre tour d'aborder le guichet :

- Que voulez-vous Monsieur ?

- Je souhaiterais un ticket d'attente pour les guichets suivants, pour obtenir un rendez-vous.

- D'accord, donnez-moi votre ticket !

- Mais quel ticket ?

- Celui qu'on vous a donné dans la file du dehors !

- Mais je n'en ai pas eu et pourtant je suis ici depuis 3 heures du matin !

- Ah, je suis désolée, sans ticket il est impossible de faire quoi que ce soit, vous ne devriez même pas être ici ! Pour avoir un ticket, quand vous reviendrez, venez vers 11 heures du soir la veille et dormez ici ! Au revoir Monsieur !

Et comme le jeune homme reste interdit devant le guichet, elle fait un geste vers un homme portant le brassard SECURITE, qui nous raccompagne vers la sortie.

Ce jeune homme m'a raconté que, plusieurs fois dans la nuit, des gens étaient venus lui proposer de lui vendre un ticket à des tarifs croissants, la dernière fois à 300 euros ! Je lui demande de raconter cette histoire au gardien, ce qui lui attire la réponse suivante : "Il faut bien vivre !""

Un peu partout en France les étrangers sont en butte à ces barrages hautains et brutaux. Rappelons que les préfectures ont l'obligation d'examiner les demandes de titre de séjour qui leur sont soumises. Elles utilisent peu les moyens de notre temps pour gérer le flot, qui grossit du simple fait qu'il faut revenir encore et encore pour tenter de se faire entendre. L'impression de débordement ainsi créée serait-elle un objectif de la supposée incapacité à le traiter?

Les étrangers et leurs soutiens réagissent.

Ainsi, à Grenoble, où "la préfecture de l'Isère doit traiter les demandes des demandeurs d'asile de quatre départements (l'Isère, les deux Savoie et la Drôme), mais aucun personnel supplémentaire n'a été affecté au service. Aucun ? Mais si, des hôtes d'accueil vérifient les convocations, expliquent les démarches, renvoient le surplus quand le quota est atteint (généralement cinq personnes par jour), renvoient tout le monde quand, parfois, le service ne reçoit pas de nouveaux postulants, en veillant à ce qu'aucune émeute ne survienne."

Le 17 mars, des associations organisaient un petit déjeuner solidaire pour manifester leur soutien aux étrangers. Manifestation symbolique, bien relayée par la presse locale, mais de peu de poids auprès du préfet.

A Marseille, où les restrictions drastiques d'accès défient le simple bon sens, les étrangers contre-attaquent: "Huit étrangers ont déposé le 30 mars une requête en référé-suspension afin d’enjoindre au Préfet de les convoquer à un jour et une heure précis pour déposer leur demande de titre de séjour. D’autres recours seront déposés dans les semaines qui viennent jusqu’à ce que le Préfet décide de réorganiser l’accueil des étrangers en préfecture et sous-préfectures de manière satisfaisante."

Martine et Jean-Claude Vernier

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