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Billet de blog 23 avril 2009

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Huit ans de malheur

Après huit ans de galère du Congo au Maroc puis au Danemark, une famille francophone frappe à la porte de la France. En vain depuis plus de quatre ans.

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Après huit ans de galère du Congo au Maroc puis au Danemark, une famille francophone frappe à la porte de la France. En vain depuis plus de quatre ans.

Monsieur et madame C. ont grandi en République Démocratique du Congo (RDC). Ils y ont effectué leur formation professionnelle, en partie en université. Tout cela en français. Ils y ont exercé leur métier pendant une quinzaine d’années. En janvier 2001, l’adversité fond sur eux : Laurent Désiré Kabila est assassiné. Se trouvant gravement menacés, molestés et violentés, ils doivent fuir leur pays, emmenant leurs quatre enfants (2 ans, 5 ans, 7 ans et 13 ans).

Après un long périple à travers l’Afrique de l’Ouest ils atteignent le Maroc, où le Haut Comité aux Réfugiés de l’ONU (HCR) leur octroie le statut de réfugié, en application de la Convention de Genève. Mais, entre temps, dans les violences des persécutions anti-noirs, les trois plus jeunes enfants se trouvent brutalement séparés de leurs parents. Grâce à des contacts entre églises évangéliques, un ‘’passeur’’ bénévole réussit à les amener en France en août 2004, et les confie à leur tante vivant à Paris. Dès la rentrée de septembre, ils sont à l’école. Du Maroc, leurs parents sollicitent le transfert en France de leur protection, afin de reconstituer la famille auprès de la sœur de Micheline, en pays francophone. Les persécutions s’intensifiant et la France se montrant avare du droit d’asile, ils sont expédiés… dans le Danemark profond, au nord du Jutland, où ils débarquent une nuit de septembre 2006.

Le Danemark, c’est l’Europe, mais si le droit au séjour dans un pays de l’Union Européenne (UE) permet à un ‘’extra-communautaire’’ de visiter un autre pays de l’UE, il n’est pas question de s’y installer ! Dès décembre 2006, les voilà donc à Paris, où ils sollicitent de la préfecture de police le titre de séjour qui leur permettrait d’obtenir la protection de la France. Réponse le 29 mars 2007: ‘’si vous souhaitez vous établir en France, il vous appartient de regagner le territoire danois et de solliciter auprès des autorités consulaires françaises un visa de long séjour.’’ De recours en relance sans résultat, l’année scolaire se termine. En août, monsieur et madame C. repartent pour le Danemark avec les trois plus jeunes enfants. L’aîné, qui a alors 18 ans, reste à Paris et intègre un lycée professionnel.

La famille se reconstitue donc au Danemark. Le jour même de leur arrivée l’année précédente, ils avaient été prévenus qu’ils pouvaient oublier leur métier d’infirmiers: aucune mère danoise n’acceptera qu’un noir touche son enfant. Car le Danemark, pays donné en exemple de réussite d’une société solidaire, est aussi fermé à ce qui vient de l’extérieur, ce qui entraîne un racisme endémique, naturel en quelque sorte. C’est ce que le fils aîné avait très vite compris. Alors qu’il demandait à étudier, on l’avait immédiatement affecté à des travaux d’entretien dans les parcs publics. C’est pourquoi il avait ensuite décidé de rester en France. Et les mauvais traitements se poursuivront pour les autres : discrimination et insultes au travail, à l’école, dans la rue, dans les bus, etc, jusqu’à une salve d’inscriptions nazies et racistes sur l’école des enfants le 23 octobre 2008, sans réaction de la part des responsables scolaires. Leur peau est noire, ils parlent français, ils aiment la France, ils savent qu’ils ont des droits à faire valoir. Pouah !

Voyant le sombre avenir réservé à leurs enfants, monsieur et madame C. ont déposé en avril 2008 auprès des autorités consulaires françaises la demande de visa de long séjour préconisée par la préfecture de police. Le dossier est instruit au ministère de l’immigration, et la réponse arrive après plus de six mois d’attente, le 13 novembre 2008 : ‘’… votre demande de visa de long séjour est rejetée ; en effet, votre famille a obtenu le statut de réfugié au Danemark, où il n’existe pas de craintes de persécutions ou de mauvais traitement.’’. Pour faire bonne mesure, le 21 décembre suivant, l’église locale luthérienne ferme sans explication le local qu’elle louait depuis un an aux réfugiés africains, pour y célébrer leur culte dominical sous la direction de monsieur C., qui est aussi pasteur.

Fin décembre 2008, retour à Paris pour tout le monde. Les trois jeunes reprennent l’école et le collège, où ils s’intègrent sans tarder. Ils avaient entre temps travaillé avec le Centre National d’Enseignement à Distance (CNED). Bardés de conseils juridiques, les parents réussissent cette fois à obtenir de la préfecture de police la possibilité de présenter à l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) une demande d’asile pour persécutions au Danemark. L’entretien, d’une durée de quatre heures, se déroule le 2 avril 2009. L’officier de protection explique que la justification de la demande ne fait aucun doute à ses yeux, mais il y a un hic juridique : il n’y a pas de persécutions racistes dans un pays de l’Union Européenne ! Il existe pourtant un protocole ‘’Aznar’’ qui permet, au-delà de cette position de principe, de prendre en compte la réalité des faits. Mais la réponse arrive sans tarder, en date du 8 avril : ‘’il vous appartient de vous adresser à la Préfecture de votre domicile, avisée (…) par nos soins, afin d’y solliciter un titre de long séjour.’’ Retour à la case départ.

Ils ne sont pas sans papiers, mais ils n’ont pas le droit de travailler. Ils pourraient être logés par le Centre d’Accueil des Demandeurs d’Asile (CADA), qui est mis en avant par le ministre pour célébrer la générosité de la France : on leur a proposé un hôtel à Cergy, en bout de ligne du RER dans la direction du Nord-Ouest, sans défraiement des transports alors que l’école et le collège des enfants sont dans le sud de la ville de Paris : ‘’aucune importance, vous les changerez d’école !’’. Leur expérience de 2007 les a instruits : logés un temps à Bobigny (Seine Saint Denis), ils ont été déplacés un beau jour à Sarcelles (Val d’Oise) pour laisser la place à un groupe de vacanciers. Et dans l’hôtel qui avait précédé celui de Bobigny, un jour de grosse pluie, le plafond leur était tombé dessus. Dans un pays qui a négligé la construction de logements accessibles aux personnes aux ressources modestes, il ne reste pas grand-chose à offrir généreusement aux demandeurs d’asile.

Ce couple francophone, dont la profession est très demandée, dont les enfants poursuivent une scolarité française depuis 2004, est en galère depuis maintenant huit ans. Ils frappent à la porte de la France depuis près de cinq ans. Ils sont actuellement hébergés en dépannage par des ‘aidants’. Les administrations se renvoient la balle. Mais la balle, c’est six personnes de bonne volonté, juste des humains.

Martine et Jean-Claude Vernier

P.S. Le 18 juin, ce trop long épisode a enfin été conclu par l'octroi du titre de réfugiés à la famille C.

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