Un angolais expédié en moins de deux… au Congo! C’est bon pour le chiffre. Interpellations: +1. Gardes à vue: +1. Expulsions: +1. Le retour de l’intéressé refoulé par un pays qui n’est pas le sien n’a pas à être comptabilisé. Récit d’un aller-retour express, en neuf séquences.
Mimi et Romano vivent en famille en Seine et Marne, avec leur fils de 22 mois et les deux enfants nés d’une première union de Mimi, une fille de 5 ans et un garçon de 6 ans. Mimi est congolaise (RDC) en situation régulière. Romano vit en France depuis 2000. Il est angolais, en situation irrégulière.
Séquence 1. Soirée du 18 mars, chez Mimi et Romano
Mimi a un geste malheureux : énervée par le bruit des enfants dans le studio où s’entasse la famille, elle donne un violent coup de balai à sa fille… Elle appelle aussitôt les secours qui, eux-mêmes appellent la police. L’enfant est hospitalisée.
Séquence 2. A la gendarmerie
La gendarmerie place la mère en garde à vue, avec ses deux autres enfants.
Séquence 3. A l’hôpital
Informé, Romano quitte son travail et se rend à l’hôpital auprès de la fillette. Les gendarmes lui demandent de venir chercher les enfants. Mais, coincé à l’hôpital, il ne peut s’exécuter immédiatement. Les gendarmes se déplacent à l’hôpital, … et l’arrêtent. On apprendra plus tard que Mimi aurait exprimé devant les policiers la crainte qu’il ne « soustraie » sa belle fille, ce qu’elle dément formellement. Mais du point de vue des policiers soumis à la pression des objectifs chiffrés, il est tellement plus satisfaisant d’expulser des voyous que des honnêtes gens…
Séquence 4. Au centre de rétention de Roissy
Romano se retrouve au Centre de Rétention Administrative (CRA) du Mesnil-Amelot qui ‘’dessert’’ l’aéroport de Roissy.
Séquence 5. Chez la grand-mère
Les deux enfants précédemment que la gendarmerie avait semblé vouloir confier à leur père sont finalement réfugiés chez leur grand-mère, leur mère restant en garde à vue.
Séquence 6. Matin du 21 mars, devant le Juge des libertés et de la détention (JLD)
En conformité à la loi, après 48 h de rétention, Romano devait être présenté au JLD. Sa compagne, libérée entre temps, ses enfants et des militants du réseau éducation sans frontières (RESF) l’y attendent. Coup de théâtre : Romano, qui a toujours son téléphone, les informe qu’il est en cours d’embarquement pour Kinshasa.
La minute de droit. Pour pouvoir être ‘’reconduit à la frontière’’, il faut avoir un passeport. A défaut de quoi les forces de l’ordre doivent vous présenter au consulat de votre pays pour obtenir un laissez-passer consulaire (LPC) qui permettra la réadmission dans le pays visé. Or, Romano n’a pas de passeport, la police a vainement perquisitionné chez la grand-mère des enfants et chez la belle sœur. Il n’a été présenté à aucun consulat et il a été expulsé vers la RDC avec un ancien laissez-passer. Il faut aussi un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (APRF), que l’intéressé a 48 heures pour contester devant le tribunal administratif (TA).
Séquence 7. A l’aéroport de Kinshasa (RDC)
Arrivé à Kinshasa avec son escorte mais sans passeport et avec un vieux laissez-passer, Romano, ressortissant angolais n’a pas été admis sur le territoire congolais. Tout le monde a été remis dans l’avion à destination de Paris.
Séquence 8. Le 22 mars au petit matin, terminal 2C de l’aéroport Charles De Gaulle
La compagne de Romano et les militants du RESF sont sur place depuis 6 heures du matin. Ils ont alerté la presse. Mais ils ne trouvent aucun interlocuteur pendant plusieurs heures. Impossible de savoir si Romano était en France, et quel était son sort. Sous la pression de la loi, qui stipule que les familles doivent être informées de ce qu’il advient à leurs proches, et, surtout, soumise aussi aux questions de la presse mobilisée par ce cas étonnant, la préfecture de Seine-et-Marne finit pas avouer vers 10 heures que Romano a bien été ramené en France, qu’il est en garde à vue et sera jugé en comparution immédiate.
Séquence 9. Le 22 mars vers midi, aéroport Charles De Gaulle
Nouveau coup de théâtre : l’avocate de Romano apprend de la police de l’air et des frontières (PAF) qu’il vient d’être libéré, sans son téléphone et sans un sou. Mais libéré quand même et, apprenait-on ensuite, sans qu’aucune poursuite soit engagée contre lui. De son côté, la préfecture de Seine et Marne le menace de nouveau d’une mesure d’expulsion.
Laissons la parole au RESF: "Ce brillant résultat est le produit direct de l’inepte politique du chiffre initiée par M. Sarkozy alors ministre de l’Intérieur. Chaque préfecture reçoit un nombre d’expulsions à faire, fixé annuellement, à l’unité près. La pression se répercute tout au long de la chaîne hiérarchique. Chaque unité a son objectif à atteindre. Résultat : le chiffre prime tout. Et tant pis s’il faut procéder à des rafles au faciès ou à des arrestations à l’hôpital, ou s’il faut décider que tel est congolais parce que c’est plus commode qu’angolais.
Précisons qu’il n’est, dans cette affaire, pas question d’erreurs commises par des subalternes. Le cabinet du ministre a été informé et a justifié la décision d’expulser Romano bien qu’il soit père d’un enfant né en France, beau-père de deux autres nés en France eux aussi, qu’il vive ici depuis bientôt 10 ans.
(…) Cette affaire illustre ce que le gouvernement appelle le cas par cas. L’expression est censée évoquer un examen attentif de la situation de chacun. En réalité, il n’en est rien et l’affaire de Romano le prouve : quand personne n’en parlait, Romano était un quasi gibier de potence, tout juste bon à expulser dans n’importe quelles conditions vers n’importe quelle destination. Du jour où la mobilisation fait que son cas est médiatisé et devient emblématique, il est ramené en France, puis libéré en catimini. "A chacun de tirer ses conclusions de l’aventure.
Martine et Jean-Claude Vernier
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