L’immigration choisie idéale, import/export de main d’œuvre adaptée aux besoins de la France à l’instant t, laisse mécaniquement sur le bord de la route bien de ces étrangers qui ont choisi de vivre ici parmi les autochtones : étudier, travailler, se loger, envoyer les enfants à l’école. Voici trois exemples du fonctionnement de cette mécanique, pris dans le fil de la semaine.
Une famille, comprenant le père, la mère et des enfants scolarisées, est présente en France depuis 10 ans, ce qui ouvre au préfet la possibilité de régulariser leur séjour, après passage devant une Commission du Titre de Séjour (CTS), qui examine la réalité de l’insertion sociale du candidat. Dans le message ci-dessous, émanant d’une ‘’aidante’’ du Réseau Education Sans Frontières (RESF), il s’agit de la démarche de régularisation de la mère, qui a déjà bénéficié de plusieurs Autorisations Provisoires de Séjour (APS).
‘’[…]la mère parle très bien français désormais, a eu plusieurs APS (sans autorisation de travailler) et une convocation fin juin devant la CTS. Lui prend des cours intensifs et commence à répondre à des questions basiques, mais avec grande difficulté.
[A la préfecture], la personne du guichet m'a fait comprendre la dernière fois qu'elle aurait plus de chance (et même toutes les chances) d'avoir un titre de séjour sans lui qu'avec lui. Bref, qu'il était un poids... Ce qui crée des tensions dans le couple (et avec les filles, qui reprochent à leur père, qui travaille tous les jours, de ne pas parler français) et c'est assez affreux.
Nous le faisons "répéter" actuellement, en tentant de le déstresser au maximum. On a quand même l'impression d'être dans une mauvaise pièce de théâtre. Diviser pour mieux régner? Je vous tiendrai au courant de la suite...
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Une autre famille, ou plutôt un couple. Monsieur T. travaillait sans papiers dans un restaurant du 10ème arrondissement de Paris et louait à son patron, contre 400 € mensuels, une chambre où il vivait avec sa compagne. Superficie de la chambre : six (6) mètres carrés. Dernièrement, le jeune homme se met en grève avec son collègue pour obtenir la régularisation de son séjour en tant que travailleur (carte ‘’salarié’’ soumise à renouvellement annuel). Sa compagne, enceinte, est hospitalisée à domicile car sa grossesse ne se passe pas bien. Hier matin, 27 mai, il a été arrêté à son domicile, fort probablement sur dénonciation de son patron. Lequel a expulsé la compagne et vidé le local dans la foulée. Concert de protestations et d’interventions auprès des autorités. Et le 28 mai, nouveau message : ‘’Monsieur T. a été libéré hier soir grâce aux pressions. Merci donc pour les appels, fax, mels, ... Les affaires de la famille sont gardées dans un local CGT, la femme de monsieur T. a été accompagnée toute la journée par Marie-Thérèse Eychart, adjointe communiste au maire du 10ème; elle a porté plainte pour l'expulsion du "logement" puis elle a été hospitalisée.’’ La lutte continue, comme on le comprendra.
[Ajout du 31 mai] Monsieur T. a trouvé un hébergement et son recours a été déposé au tribunal; sa compagne est hospitalisée mais elle va bien; le patron a été mis en garde à vue.
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Cette fois il s’agit d’un jeune majeur isolé, amené par son professeur à une permanence du RESF fin avril 2009: ‘’Amadou est né en Guinée, à Konakry ; il y a 17 ans. Il est isolé, entré en France en janvier 2009 par Marseille, sans passeport et sans visa. Son frère a été tué en 2007 pendant les grèves en Guinée, sa mère et sa petite soeur ont fui le village et lui s'est enfui de Guinée. Le 115 [service de logement d’urgence], à son arrivée, l’a orienté vers l’ASE [Aide Sociale à l’Enfance]. L’ASE l’a logé dans un hôtel. Mais ce jeune garçon est aujourd’hui lâché par l’ASE, suite à un test osseux réalisé vendredi 24 avril, qui indique qu'il a plus de 18 ans!
Amadou a fait venir par fax au lycée, son extrait d’acte de naissance de Guinée. Ce document confirme la date qu’il nous a déclarée à la permanence : il est né en février 1992, c'est-à-dire qu’il a dix-sept ans. Le procureur a donné prééminence au test osseux sur l’extrait d’acte de naissance (prétexte : il n’y a pas de photo !!!) Il n'a aucun autre papier. Nous allons entamer sa demande d’asile dont personne ne lui avait encore signalé la possibilité. Nous avons un modèle de saisine du juge des enfants et une feuille de route pour entreprendre différentes démarches mais cela peut prendre du temps et il est à la rue.
La démarche auprès du juge des enfants est maintenant en cours. L’ASE ne reprendra pas Amadou avant que le jugement ne soit prononcé. Le délai se compte en semaines, semble-t-il. En attendant, Amadou poursuit ses études et survit grâce à la générosité de quelques intellectuels tordus.
Martine et Jean-Claude Vernier
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