Les étrangers en attente de régularisation de leur séjour en France n’en poursuivent pas moins une vie normale : ils travaillent, déclarent leurs revenus, mettent leurs enfants à l’école, se pacsent ou se marient, comme tout le monde. Mais souvent, ils se heurtent à ce qui semble être une politique de déni d’accès aux droits…Tribunal d’instance de S. Un couple attend à la porte. Elle est Française, il est Tunisien en séjour irrégulier en France, ils m’ont demandé de les accompagner : ils veulent conclure un PACS et ils ont peur d’affronter l’administration. Nous entrons dans le Tribunal et allons vers la porte du PACS. La porte est encore ouverte. A l’intérieur, trois dames enfilent leur manteau. L’une d’elles s’approche :
- C’est pour quoi ? Remarquez, c’est sans importance, revenez demain, c’est fermé !
- Ce Monsieur et cette dame voulaient conclure un PACS…
- Madame la Greffière ! De la porte du fond, une dame sort, le manteau à la main :
- C’est pour un PACS !
- Je pars, je ne peux plus…
- Je comprends Madame, que votre journée est terminée, mais je pense que vous ne pouvez pas empêcher ces gens de faire leur vie ensemble ? Elle s’approche et, à voix forte :
- Revenez demain, je m’occuperai de vous ! A voix presque inaudible :
- Attendez-moi dans le couloir, je vais vous appeler ! Nous sortons, les trois dames sur nos talons La porte s’ouvre et la greffière nous fait signe d’entrer, en mettant son doigt sur la bouche comme pour un complot, elle nous ouvre la porte, enlève son manteau déjà enfilé, nous conduit à son bureau, allume un ordinateur avec son imprimante et, au couple : Votre dossier est complet, avec vos papiers ? La jeune femme tend une pile de papiers puis une autre en disant « les photocopies ! » La greffière jette un coup d’œil aux deux amoureux, esquisse un sourire et tape, tape… On entend crépiter l’imprimante… Elle en retire deux feuilles qu’elle tend au couple :
- Voilà, signez, tous les deux. Sans regarder, ils signent…
- C’est fait ! dit-elle à haute voix. Un large sourire illumine son visage... La jeune femme, incrédule :
- Qu’est-ce qui est fait, on n’est pas pacsés quand même…
- Je ne peux pas porter d’écharpe tricolore, mais j’affirme au nom des pouvoirs qui me sont conférés, Monsieur, que vous pouvez embrasser la pacsée ! Le jeune Tunisien embrasse la Française avec ferveur puis, la voix un peu émue :
- Madame la Greffière, notre vie commence grâce à vous !
- N’exagérons rien, mais aujourd’hui j’ai dû passer mon temps à refuser des PACS pour atteindre le nombre de refus qu’on m’impose, comme si j’étais une employée de commissariat, alors qu’ici je ne dépend que de la Justice ! Donc, vous venez de me rendre service en me permettant de LEUR DIRE NON ! Puis elle enfile son manteau, le boutonne et nous abandonne dans son bureau en disant :
- Tirez la porte derrière vous, elle se bloquera toute seule ! Cette histoire qui finit bien illustre un phénomène auquel se heurtent souvent les étrangers ayant à faire aux administrations quand ils sont en situation irrégulière. Il s’agit ici d’empêcher une personne de nationalité française de se pacser avec un-e étranger-e. Quant aux mairies, nombreuses sont celles qui leur refusent l’accès au mariage, quand elles ne les signalent pas au Parquet. Et l’on a vu en octobre 2008 un employé de mairie dénoncer à la police une mère à l’occasion de l’inscription de son enfant à l’école. Cette histoire aussi finit bien, grâce à la mobilisation du Collectif de vigilance Paris 12 pour les droits des étrangers, du RESF, de la Ligue des droits de l’homme (www.collectif12.com/spip.php?article65). Dans le cas des préfectures, il s’agit d’une politique rationnelle, avec des objectifs chiffrés, comme l’expliquait David Dufresne dans un article de Mediapart le 28 mai 2008 : Sans-papiers: «objectif 64 reconduites hebdomadaires» en 2008 (reproduit en fichier attaché). Dans Accueillir ou reconduire – Enquête sur les guichets de l’immigration (Raisons d’agir éditions, octobre 2008), Alexis Spire témoigne de l’existence d’instructions semblables dans les consulats, à l’OFPRA (Office français de protection des étrangers et apatrides), dans les directions départementales du travail. Son enquête éclaire aussi la façon dont les fonctionnaires travaillent sous cette pression. Cette épidémie touche jusqu’aux étrangers en situation régulière, puisqu’il a été constaté à plusieurs reprises que des caisses d’allocations familiales mettent des obstacles illicites à l’attribution de laide au logement, ou au versement des prestations familiales pour des enfants dont les parents ont un titre de séjour. Attitude déclarée discriminatoire par la HALDE (www.halde.fr/spip.php?page=article&id_article=12617). Même en séjour irrégulier, le fait de résider en France rend obligatoire la déclaration de ses revenus aux services fiscaux. Nombre d’étrangers s’acquittent de ce devoir, l’avis d’imposition retourné par l’administration constituant à la fois une preuve de volonté d’intégration et une preuve de présence en France cette année-là. On a constaté que cet avis d’imposition ne revenait pas toujours. Il semblerait que, là aussi, des instructions soient données pour leur rétention. Pour tout savoir (ou presque) sur la légalité dans les domaines de la vie courante, on peut consulter le document ‘’Sans papiers mais pas sans droits’’ mis en ligne par le GISTI (Groupe d’Information et de Soutien des Immigrés), qui considère que ‘’veiller à la promotion des droits des sans-papiers c'est agir en faveur de l'égalité de traitement et c'est promouvoir l'État de droit’’ (www.gisti.org/IMG/pdf/np_sans-pap-pas-sans-droits_4.pdf). Martine et Jean-Claude Vernier Note pour les lecteurs non abonnés à Mediapart : pour être informé par courriel de la mise en ligne des nouveaux billets de Fini de rire, on peut s’inscrire sur le site www.feedburner.com/fb/a/emailverifySubmit?feedId=2801319&loc=fr_FR.Pour consulter le sommaire du blog : Thème du blog
Billet de blog 30 décembre 2008
Sans papiers mais pas sans droits
Les étrangers en attente de régularisation de leur séjour en France n’en poursuivent pas moins une vie normale : ils travaillent, déclarent leurs revenus, mettent leurs enfants à l’école, se pacsent ou se marient, comme tout le monde. Mais souvent, ils se heurtent à ce qui semble être une politique de déni d’accès aux droits…
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