Jean-Laurent Bourquin, Senior Manager au CIO donne son avis sur sa vision du surf et la perspective d'intégrer cette discipline au programme des Jeux Olympiques. Première !
Interview de Jean-Laurent Bourquin, Senior manager au CIO
La Fédération Internationale de Surf, l’ISA, a été reconnue par le CIO en 1997. Cette décision est-elle liée au fait que le surf dispose d’une excellente image auprès des jeunes ou plutôt de l’évolution de la fédération internationale ?
Il est vrai que l’un des objectifs majeurs du CIO est de concerner la jeunesse. Cependant, au moment d’étudier l’octroi du statut de Fédération internationale reconnue, le CIO se base sur des critères tels que l’universalité (nombre de licenciés par continent, nombre de championnats nationaux organisés pour les hommes, les femmes et les juniors, nombre de fédérations nationales participant aux Championnats du monde, répartition des médailles, provenance des juges et arbitres, etc.), existence d’une Commission des athlètes (et notamment étude de son rôle et de ses responsabilités), d’un Plan stratégique à moyen-long terme (programmes de développement, actions auprès des jeunes, lutte contre le dopage, mise en place de systèmes de jugement objectifs et transparents, etc..), mise en oeuvre du Code mondial anti-dopage, reconnaissance du Tribunal arbitral du sport, etc. Il faut donc voir l’acte de 1997 comme la garantie que l’ISA répondait favorablement aux conditions d’éligibilité fixées par le CIO ; cependant l’ISA ne s’est pas seulement contentée de ce statut, elle a encore bien évolué au cours de la dernière décennie.
Le CIO est également sensible et attentif au monde du sport dans son ensemble, notamment en tant que phénomène social. La mission et les valeurs du CIO lui permettent également de s’adapter à un monde en constante évolution et les reconnaissances récentes de la Fédération d’escalade sportive ou de Unihockey en atteste. Nous constatons également cette adaptation au travers du programme des Jeux olympiques avec l’apparition du BMX aux Jeux olympiques d’été et du snowboard ou du ski cross aux Jeux olympiques d’hiver.
Quel regard extérieur portez-vous sur le surf et ses valeurs ? Ne pensez-vous pas que le succès du surf, notamment auprès des jeunes, est révélateur des mutations d’une société dans laquelle les individus s’engagent dans de nouvelles pratiques en rupture avec les organisations sportives traditionnelles ?
Le surf attire de nombreux jeunes en quête d’un autre style de vie ou de nouvelles valeurs contemporaines auxquelles ils souhaitent s’identifier ou être identifiés. Moins de frontières, rythme de vie en symbiose avec l’environnement, prise de distance vis-à-vis d’une société stressée et stressante, ambiance légère et atmosphère détendue, etc… Bref, un art de vivre d’un type différent et spécifique à la fois. À partir du moment où vous avez accès aux vagues, le surf devient une activité qui nécessite peu d’infrastructures et d’aménagements.
Une forme de liberté évidente se dessine également rapidement dans la mesure où le surf peut se pratiquer sans contrainte organisationnelle lourde. Quel bonheur d’avoir la nature comme terrain de jeu ! Je ne parlerais cependant pas de rupture avec les sports que vous qualifiez de « traditionnels » ; il convient plutôt d’identifier le surf à un mode d’organisation différent étant donné qu’il dépend essentiellement des vagues et qu’il s’agit d’un sport exclusivement individuel. Ainsi, les surfeurs se préoccupent davantage de savoir où et quand ils pourront surfer (qualité des vagues et emploi du temps), plutôt que de la vie de leur club ou fédération. En ce qui concerne cette dernière, son rôle est essentiel pour tout ce qui a trait à l’aspect compétitif ( règlements, désignation des officiels, titres décernés, etc…) mais également,et surtout, pour faciliter et encourager l’accès du plus grand nombre au surf et la promotion de ses valeurs.
À peu près 0,6 % des surfeurs sont licenciés au sein de leur fédération nationale. Comment expliquez-vous ce faible taux ?
J’y vois deux explications principales : d’une part, le statut de licencié n’est nécessaire que pour ceux qui participent à des compétitions et, d’autre part, les pratiquants n’ont pas absolument besoin d’une structure qui organise la pratique de leur activité ; comme tous les sports de nature. En surf, la structure d’un club oud’une fédération ne représente pas une condition indispensable pour garantir le bon déroulement de ces sports de glisse. Il est donc d’autant plus important pour les organisations sportives impliquées dans le surf d’apporter autre chose que l’aspect strictement compétitif.
Fédérer l’ensemble des pratiquants au-delà des seuls compétiteurs pourrait s’avérer un objectif stratégique majeur des instances dirigeantes du surf.
On constate également en surf une faible implication des bénévoles au sein des structures associatives et une forte concurrence du secteur professionnel...
Ce constat n’est pas spécifique au surf. Mais les bénévoles représentent le maillon le plus important de la réussite de tout événement ; aussi il convient de ne jamais l’oublier et de toujours les remercier. Cela étant dit, l’un des principaux défis du mouvement sportif relève de la capacité à trouver le juste équilibre entre l’implication des bénévoles et la professionnalisation, notamment dans le secteur événementiel fortement dépendant de partenaires économiques qui investissent des sommes parfois très importantes. Le surf de compétition, comme le skateboard d’ailleurs, véhicule depuis longtemps une image professionnelle autour d’un circuit rémunéré où la culture du bénévolat ne semble pas vraiment associée. Mais la particularité du monde du surf provient peut-être du fait qu’il s’agit d’un sport jeune dont les structures et l’organisation se mettent progressivement en place. Une transmission classique entre diverses générations de pratiquants n’a pas encore pu s’opérer. Ainsi, le surf ne peut pas encores’appuyer sur un vivier de bénévoles plus anciens ni sur une jeune génération plus encline à privilégier son temps libre à consommer des loisirs qu’à s’impliquer bénévolement dans les associations. À cet égard, l’ISA a devant elle un chantier intéressant pour mettre en place les conditions incitant certains profils de bénévoles à s’engager au service du mouvement associatif. Elle pourrait imaginer des pistes nouvelles, susceptibles de favoriser la participation de« nouveaux bénévoles », en s’orientant par exemple vers le Web 2.0 qui offre des possibilités différentes et plus de flexibilité pour s’organiser en réseau et s’impliquer à tout moment en fonction d’un temps choisi.
Ne pensez-vous pas qu’on pourrait assister à une scission au sein du mouvement sportif entre des activités sportives qui motivent les jeunes et mobilisent l’intérêt des acteurs du monde économique et médiatique et celles maintenues sous oxygène qui relèveraient d’un temps révolu ?
Je ne pense pas qu’on puisse parler de scission, mais plutôt d’évolution. Et comme dans tous les domaines, celle-ci est toujours saine. L’évolution est un processus naturel inéluctable, ralenti parfois par des contraintes temporelles ou procédurales. Il est par contre difficile de se projeter dans le futur pour être en mesure d’anticiper à quel moment ce phénomène évolutif touchera quel niveau de la pyramide des pratiques et événements sportifs. L’apparition de nouvelles activités sportives ou l’accessibilité plus aisée à des sports existants jouera aussi un rôle. Une des préoccupations du mouvement sportif n’est cependant pas de savoir dans quel sens évoluera tel ou tel sport, mais plutôt de tout mettre en oeuvre pour que les jeunes continuent à pratiquer et à s’intéresser aux activités sportives. En ce sens, il convient de ne pas placer certains sports en compétition avec d’autres, mais plutôt de soutenir l’attractivité et l’intérêt porté au sport par les jeunes afin que ces derniers ne passent pas la majorité de leur temps derrière des écrans (TV, jeux vidéo, internet, etc…). L’autre aspect à mentionner dans le cadre de votre question est lié à l’importance des valeurs véhiculées par chaque sport – qu’il soit dans l’une ou l’autre des catégories que vous établissez – étant donné qu’en plus des retombées positives liées à la pratique sportive, tout sport draine des valeurs propres et essentielles utiles à la société dans son ensemble. Un des objectifs essentiels, au travers de la grande palette sportive, vise à allier attractivité et diversité tout en préservant un sain équilibre. À ce titre, le CIO reste attentif à l’attente des jeunes et à l’évolution de leurs comportements pour apporter les ajustements qui s’imposent. Les exemples mentionnés précédemment dans le cadre du programme des Jeux olympiques en sont l’illustration.
Ces mutations n’incitent-elles pas le mouvement sportif à envisager de nouveaux modes d’organisation, de gouvernance et de management pour développer une plus grande proximité avec la base des pratiquants?
Pour répondre à cette question, il est essentiel de rappeler qu'il a la possibilité d’oeuvrer dans le sens que vous préconisez. À cet effet, la Charte olympique, en son article 26, précise que « chaque Fédération internationale conserve son indépendanceet son autonomie dans l’administration de son sport ». Il revient donc à chaque Fédération internationale de définir, pour son sport, de quelle manière développer une proximité avec la base de ses pratiquants. Cela relève de la stratégie de chaque fédération internationale. Au vu du faible taux de licenciés(0,6 % des pratiquants) référencés par les fédérations nationales et donc par l’ISA, il semble évident que les organisations sportives du surf n’ont pas une structure suffisante pour être en contact avec la base des pratiquants. Si tel est leur souhait, elles savent qu’en repensant le système des licences, il existe un formidable potentiel pour mobiliser les clubs et toucher la base. Le Web 2.0 offre aujourd’hui une excellente opportunité pour développer des communautés d’intérêt. De plus, explorer la possibilité de créer un lien entre les organisateurs de compétitions, les structures fédératives et plus globalement l’ensemble des acteurs du surf aurait aussi pour effet collatéral de donner une plus forte légitimité aux fédérations nationales.
Le CIO souhaite promouvoir l’organisation d’événements sportifs et populaires internationaux au travers de ses organisations continentales comme les Youth Games, Beach Games, Indoor Games… Le surf a-t-il sa place ?
Pour être exact, le CIO n’a de droits que sur 2 événements : les Jeux olympiques et les Jeux olympiques de la jeunesse (Youth Games). Il soutient d’autres événements en leur octroyant un patronage, mais n’a pas de lien direct ou de pouvoir de décision sur les Beach Games ou les Indoor Games que vous citez. En ce qui concerne la seconde partie de votre question, le surf a indéniablement sa place aux Beach Games et j’encourage l’ISA à étudier tous les événements multisports afin d’identifier auprès desquels le surf pourrait apporter une valeur ajoutée.
Les acteurs majeurs du surf issus du monde économique comme du milieu associatif, affirment partager les mêmes valeurs que le mouvement olympique (excellence, respect, amitié) et seraient favorables à un rapprochement avec le CIO. La perspective du surf aux Jeux olympiques est-elle envisageable ?
Ce constat n’est pas surprenant étant donné que les valeurs du CIO sont universelles et que la très grande majorité des sports les partagent également.Ceci démontre bien à quel point le mouvement olympique est fédérateur. Concernant les possibilités pour le surf de figurer un jour au programme des Jeux olympiques, il faut tenir compte du fait que la gestion d’un tel événement nous a obligé à limiter le nombre de sports (maximum 28 pour les JO d’été) et d’athlètes (maximum10.500). Bien que des procédures permettent de revoir périodiquement le programme olympique, il n’est pas aisé de rajouter des sports. Ceci dit, le surf pourrait bien sûr être retenu au même titre que d’autres sports qui ne sont pas non plus au programme. Une des difficultés inhérentes au surf, réside dans le fait d’être tributaire des éléments naturels pour assurer le bon déroulement des compétitions. Ainsi, il n’est pas rare – lors d’épreuves du plus haut niveau dans votre sport – qu’il faille attendre plusieurs jours afin que les vagues correspondent aux meilleures conditions pour la pratique du surf. Or les contingences imposent un programme olympique très serré car plus de 300 épreuves sont organisées sur 2 semaines de compétition. Sans vouloir préjuger ou anticiper de quoi que ce soit, une réflexion essentielle à conduire pour que votre sport figure éventuellement au programme des JO passe par une étude technique (validée par les meilleurs surfeurs au monde et l’ISA) sur la faisabilité et la création de piscines à vagues surfables…(selon la même approche que les bassins spécifiques qui sont désormais construits pour le kayak slalom). La question sera alors de savoir si la base de vos pratiquants, représentant donc le futur de votre sport, s’identifierait à un tel changement, tant sur les plan technique que culturel ou philosophique.
En ayant un peu de recul par rapport à l’évolution du canoë-kayak on a constaté que le succès et l’intérêt pour ce sport ont fortement augmenté depuis la création de bassins artificiels car cela a facilité son exposition au public lors des J.O. Cette médiatisation a induit une explosion de la pratique en site naturel, et non pas en site artificiel comme certains le craignaient.
Ne pensez-vous pas que d’encourager les Fédérations nationales à développer des plateformes collaboratives sur le Web pourrait constituer un enjeu fédérateur majeur ?
Le Web collaboratif peut constituer un outil déterminant d’aide aux fédérations nationales (et donc internationales) qui disposent de peu de moyens financiers et humains, notamment dans les pays où les pratiquants ainsi que les structures sont éloignés les unes des autres. Une situation qui concerne essentiellement des pays où les voies de communications (réseau routier, fluvial, mer,…) sont déficientes, exigeant un temps et un coût de déplacement prohibitifs pour les habitants, et qui concerne la plupart des nombreux pays d’Amérique centrale et du Sud, d’Asie et d’Océanie avec leurs milliers d’îles isolées.
Oui, tout à fait ! Le Web collaboratif offre aujourd’hui une bonne opportunité pour dynamiser les défis qui s’ouvrent au surf, tout comme d’ailleurs, au mouvement sportif dans son ensemble. Cela ne concerne pas seulement les athlètes, mais également les bénévoles, les entraîneurs, les dirigeants, etc. Lorsque par exemple les organisateurs d’une compétition de surf cherchent à resserrer les liens entre les diverses parties prenantes, le concept de Web collaboratif permet de supprimer les distances, de travailler en réseau, d’offrir à chacun la possibilité de donner son avis et son temps selon ses propres possibilités. En outre, si vous développez ce Web collaboratif pour la famille du surf, l’outil sera peu coûteux au regard des avantages qu’il pourra apporter.
Propos recueillis par Francis Distinguin en Août 2009
Président de la Fédération Européenne de Surf de 2007 à 2009
Coordinateur de la commission de réflexion sur le surf du 21ième siècle auprès de la Fédération Internationale (ISA).