Le Frisbee n'est guère plus pratiqué sur nos plages. Vous vous souvenez de ce disque rond en plastique souple que l'on lance et qui peut vous revenir dans la figure tel un boomerang. Il reste cependant pratiqué par certains hommes politiques désireux de paraître en période estivale...
L'exécution des peines et "l'affaire de Dreux"
Fin juillet 2013 "éclatait" ce que l'on nomme "l'affaire de Dreux".
Quel scandale ! Des condamnés, semble-t-il à quelques mois d'emprisonnement, étaient arrêtés par des policiers puis relâchés sur instructions du parquet !
Des explications étaient immédiatement demandées à Mme Taubira, notre garde des Sceaux. Il y avait enfin là, pour certains, l'occasion de poursuivre contre elle le procès en sorcellerie qui lui est fait depuis le premier jour de sa nomination. L'on notera à cet égard qu'elle fait partie de ces personnes à qui rien n'est épargné et qui n'aura jamais droit à la moindre erreur.
La lecture des commentaires, toujours anonymes, mis en ligne à la suite des articles de presse reste ici édifiante.
L'effet était atteint. L'on parvenait ainsi à démontrer que notre garde des Sceaux était laxiste.
Pourtant l'exacte réalité sautait aux yeux des professionnels de la justice.
Tout n'était ici que très banal.
Revenons un peu en arrière.
Il y a une vingtaine d'années un condamné à trois mois d'emprisonnement savait que tôt ou tard il devrait rentrer en prison pour exécuter sa peine sous réserve bien entendu d'une réduction de peine de quelques jours.
C'est ce que pensent encore aujourd'hui nos concitoyens qui ignorent malheuresement tout des procédures qui sont applicables.
De même et dans le but prétendu de lutter contre la récidive les précédents gouvernements ont jugé utile d'instituer des "peines plancher."
Cela permettait d'annoncer à l'opinion publique que c'en était fini du laxisme de nos juges et de la récidive dont ils étaient indirectement rendus responsables.
Voilà pour les effets d'annonce. Cela était clair et terriblement efficace.
Mais l'on ne rappelait pas au bon peuple l'essentiel :
1. Les sanctions les plus lourdes prononcées en matière criminelle le sont par des cours d'assises composées en majorité par un jury populaire ;
2. Une peine plancher n'est pas incompatible avec le prononcé d'un sursis simple ou même d'un sursis avec mise à l'épreuve (pour un condamné ayant déjà bénéficié d'un sursis simple) ;
3. L'exécution des peines est confiée à un juge d'application des peines qui doit s'attacher à aménager la sanction ainsi que la loi lui en fait l'obligation. Mme Dati, précédente garde des Sceaux, est d'ailleurs à l'origine d'une loi pénitentiaire permettant d'aménager une peine ferme jusqu'à 2 ans (1 an pour un récidiviste). En pratique à l'exception des prévenus condamnés dans le cadre d'une procédure de comparution immédiate il est rare qu'un condamné devant purger jusqu'à 2 ans d'emprisonnement soit incarcéré.
Ces règles sont issues de lois votées par les précédents gouvernements.
Je n'évoquerai pas ici celles ayant mis en place la procédure de comparution sur reconnaissance de culpabilité (CRPC) qui aboutit à une peine au rabais ou qui permettent d'obtenir une ristourne de 20% de l'amende si celle-ci est payée dans le mois de la décision.
Tout ceci relève tout simplement d'une subtile communication politique :
1. L'on annonce à l'opinion publique : "le récidiviste sera sévèrement condamné par une peine plancher" ;
2. Parallèlement l'on met en place un dispositif complexe et en tout cas incompréhensible pour le citoyen afin d'en paralyser immédiatement les effets. Nos prisons sont saturées et la réduction de la dépense publique interdit que l'on en augmente les capacités.
Par conséquent lorsqu'en en plein mois de juillet, un magistrat du parquet, enseveli sous une multitude de procédures à traiter en urgence au moment même où ses effectifs sont réduits, demande à un policier de relâcher trois condamnés qui purgeront ultérieurement leur peine il ne fait alors qu'appliquer la loi.
Ce magistrat ne prononce aucune amnistie. Il ne fait que différer l'exécution d'une peine qui compte tenu de sa faible importance risque fort d'être au final aménagée par un juge d'application des peines croulant lui-même sous les dossiers.
Telle est la réalité qui reste parfaitement conforme aux textes votés par les gouvernements précédents.
Les révélations du Canard Enchaîné
Le 7 août 2013 le Canard Enchaîné révèle ce qui relève à mon sens d'un véritable effet Frisbee d'une ampleur autrement plus importante.
Dès lors qu'une peine a été prononcée elle doit être mise à exécution dans un certain délai à défaut de quoi elle est alors prescrite.
Le délai de prescription est ici très long : 20 ans pour une peine criminelle prononcée par une cour d'assises, 5 ans pour une peine correctionnelle prononcée par un tribunal correctionnel.
Il est ici acquis que M. Perben, précédent garde des Sceaux, est à l'origine de ce que l'on qualifie aujourd'hui du doux euphémisme de "bug juridique."
Que s'est-il passé ?
Le 13 décembre 2004 M. Perben signait le décret n°2004-1364 instituant l'article D. 48-5 du Code de procédure pénale aux termes duquel la prescription de la peine était interrompue par les actes et décisions du ministère public qui tendent à son exécution.
Problème. Le contenu de ce texte ne pouvait relever que de la loi, votée par le parlement, et non d'un simple décret signé par le ministre.
Une telle erreur vaudrait un zéro pointé à un étudiant en droit.
Il s'ensuit qu'il n'existait alors, dans notre droit, aucune disposition législative précisant les actes de nature à interrompre la prescription de la peine.
Et c'est là où nos trois compères, arrêtés à Dreux, et devant purger quelques mois de prison "aménageables", font ici figure d'enfants de choeur au regard de ceux concernés par les deux arrêts rendus le 26 juin 2013 par la chambre criminelle de la Cour de cassation.
Le 17 octobre 2011 Gilbert X..., alors en fuite et condamné à la peine de réclusion criminelle à perpétuité (excusez du peu), saisissait la chambre de l'instruction de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence d'une requête tendant à faire constater la prescription de cette peine prononcée le 19 mai 1989 plus de 22 ans auparavant.
Le 26 janvier 2012 ladite chambre ne pouvait que constater cette prescription en l'absence de disposition législative établissant la liste des actes de nature à interrompre la prescription.
Le garde des Sceaux d'alors, dont le nom m'échappe, sans doute alerté par le parquet général, réagissait rapidement en faisant adopter la loi n°2012-409 du 27 mars 2012 afin de régulariser cette bévue.
Il semble pour autant qu'il se gardait alors, à quelques mois des élections présidentielles, d'ébruiter ces difficultés et de recenser les détenus alors emprisonnés entre-temps en vertu de décisions prescrites.
L'on notera au passage la léthargie de l'opposition d'alors qui aurait pu s'emparer de cette difficulté...
L'avenir nous révélera le nombre de détenus concernés et les conséquences financières s'agissant de l'indemnisation qui leur sera due au titre d'une détention arbitraire...
Le 16 avril 2012 l'avocat d'André X..., condamné à la peine de réclusion criminelle à perpétuité (excusez toujours du peu), sollicitait du procureur général de la Cour d'appel de Lyon qu'il constate la prescription de cette peine prononcée le 17 janvier 1992, 20 ans auparavant.
La chambre de l'instruction, saisie de cette difficulté par ledit procureur général, constatait cette prescription.
Dans deux arrêts rendus le 26 juin 2013 (n°12-81646 et n°12-88265) la chambre criminelle de la Cour de cassation rejetait les pourvois en cassation formés contre ces deux décisions.
Je n'ose imaginer l'état de certains si M. Perben avait été alors Mme Taubira.
Attendons en toute hypothèse leur réaction.
Frisbee or not Frisbee ?