Se détourner de l'information immédiate, continue, de temps en temps, pour relire le point de départ des problèmes actuels et prendre du champ. Cet article de 2014 du Monde, par exemple, nous apprenant comment mandat a été donné par les parlementaires européens à la Commission pour négocier le traité de libre-échange TISA :
" De son côté, le Parlement européen a, avec les votes de la droite et des socio-démocrates (qui ne comprenaient visiblement pas toujours pour quoi ils votaient), accordé un mandat de négociation à la Commission. "
Des députés européens votant pour un texte auquel ils ne captent pouic, un texte qui, s'il permettait d'aboutir à un accord, pèserait pourtant sur la vie quotidienne de 500 millions d'européens : voilà qui laisse pantois ! Le logiciel périmé de nos politiques, de nos partis politiques (qui n'ont jamais représenté qu'eux-mêmes) et notre facilité, nous citoyens, à regarder du mauvais côté de la barrière n'ont pas fini de nous jouer de vilains tours. Car accorder des places éligibles sur les listes européennes à ceux de leur camp qui ont perdu une élection nationale (mais n'ont pas d'appétence particulière pour la construction européenne) est une habitude bien risquée alors que le véritable pouvoir s'est déplacé.
" L'Europe ! L'Europe ! " entend t-on à longueur de discours, pour justifier le pire ou promettre le meilleur (selon les campagnes, les orateurs et les besoins hexagonaux).
Arrêtez, messieurs-dames, d'invoquer l'Europe à tout va s'il vous plait et utilisez les mots adéquats : l'Union Européenne. Ce qui est très différent.
Pendant que nos politiciens français s'agitent chez nous - au mieux lorsqu'ils arrivent au sommet : ils gèrent le libéralisme, bon, à défaut de gouverner avec une vision claire - que se passe-t-il du côté de la Commission européenne ? Eh bien on ne sait pas.
Les négociations portant sur le TAFTA et le TISA sont secrètes ce qui, en démocratie, est tout de même embêtant.
De quoi s'agit-il ? Le TAFTA, grâce à des lanceurs d'alerte comme les ONG (Attac, les Engraineurs...), des médias comme le Monde Diplomatique, Marianne ou le site Médiapart, les citoyens commencent à mieux cerner le loup. Pour résumer, il s'agit d'un traité transatlantique, entre l'Union Européenne et les États Unis, dont le but est d'uniformiser entre eux les normes sécuritaires, sanitaires, techniques et - cerise sur le gâteau au Roundup - environnementales. La création de tribunaux spéciaux pouvant condamner lourdement les états faisant preuve de protectionnisme au nom de leurs intérêts supérieurs (par rapport aux produits Monsanto par exemple) fait partie du traité. Il semble donc créé sur mesure et orienté avant tout pour servir les intérêts financiers de firmes déjà milliardaires et qui ne doivent, elles, de comptes à aucun électeur.
Sympathique, non ?
Les Américains et leurs poulets au chlore, leurs bœufs aux hormones et leurs OGM à tout va souhaitant pénétrer sans entrave (puisque les éventuelles amendes colossales seront de fait dissuasives) notre marché.
Comment ne pas rire (jaune) face au barnum médiatique de la COP21 qui arrive ? Médiatique mais totalement en contradiction avec ce traité de dérégulation à la hache.
Son petit frère, tout aussi terrifiant, se nomme TISA et étend lui son appétit sur l'UE, les USA mais aussi le Canada et l'Australie. L'idée est la même : déréguler, déréguler, déréguler, faire tomber les barrières de protection, et permettre à un pays A d'introduire ses activités dans un pays B sans contestation possible mais dans le domaine des services, cette fois-ci. Par 'barrières', ces adeptes des conciliabules entendent : les quotas nationaux, les marchés publics réservés, voir les monopoles, ou les normes protectrices. Rien de moins. Par 'services', entendons : le transport maritime, les technologies de l'information et de la communication, l'e-commerce, les services informatiques, le courrier et la livraison, les services financiers et les monopoles publics. Pour commencer. On poursuit ensuite avec l'Education ou, comment ?
Tout ceci dans la logique, bien sûr, de la 'libre concurrence' mondiale.
Le MEDEF, via Veolia Environnement et Orange, est impliqué dans les négociations. De là à faire un lien sur les sorties de Mr Gattaz ou celles de Mr Macron sur les fonctionnaires, il n'y a qu'un pas... Le contenu de ce traité en cours de discussion (via la Commission européenne, donc, et non nos ministres) et l'avancée des discussions ne sont partiellement connus que grâce à WikiLeaks et à ses publications indiscrètes cet été.
Quelle surprise de voir que le traité était censé rester secret auprès des citoyens, après son éventuelle signature, cinq ans après sa mise en place ! " Cinq ans après sa mise en place " !
S'il ne s'agit pas d'attaques directes contre nos démocraties, trouvez-moi un meilleur mot ! Nous parlons bien ici d'un changement complet, absolu, de nos sociétés européennes ! " Pas de panique, pas de paranoïa, ça va être bon pour notre croissance ! " lancent les optimistes (les mêmes qui ont voté au Parlement, sans lire ce pour quoi ils votaient ?) Certes, la Commission tient sa légitimité du pouvoir délégué par le Parlement (qui lui-même la tient de la délégation par les états-souverains). Mais à force de déléguer, pourrait-on dire, bien malin qui comprend qui décide de quoi ! Concernant la Commission, le Corporate Europe Observatory, observatoire européen des lobbys, vient de révéler que neuf anciens commissaires viennent de retourner dans le privé, plus exactement dans des multinationales qui ont pour habitude de faire du lobbying à... Bruxelles (Canard Enchaîné du 28 oct. 2015). L'ancien commissaire au Commerce, par exemple, Mr De Gucht, pantoufle dorénavant chez CVC Capital, 6ème plus gros fond d'investissement au monde. L'ancien commissaire à l'Environnement, lui, chez Syngenta, leader mondial des... pesticides. Sidérant, non ? Si les traités étaient signés, ils devraient être ratifiés par chaque parlement national. Espérons que nos députés sont mieux renseignés que leurs collègues du Parlement européen et qu'ils seront moins sensibles aux lobbys industriels.
Espérons, car à la lecture de ces faits que même un auteur de SF n'aurait pas eu l'audace d'imaginer (celui de Star Wars, éventuellement), je ne peux m'empêcher de m'interroger : de quoi cette UE est-elle vraiment le nom ?
On nous l'a vendue pour éviter de nouvelles guerres mais il ne faut pas s'appeler Pythie pour prévoir de nouvelles révoltes populaires si elle se laisse phagocyter avec une telle facilité par les forces de l'ultra-libéralisme. Je n'évoque même pas la Grèce, traitée comme un pays colonisé, le Portugal qui annonce un prochain bras de fer démocratique, ni même le traité de Lisbonne sorti par la porte revenu par la fenêtre.
Le silence (ignorance ?) de nos politiques sur ces sujets est terrifiant. Le mot 'souveraineté', désormais officiellement synonyme d'extrémiste, exclu du débat (mrs Chevènement et Séguin l'auraient donc été ?) Alors, citoyens : renseignez-vous, laissez tomber le théâtre d'ombres qu'est devenue la politique française (au mieux ils appliquent les traités signés) et tournez vos yeux vers Bruxelles, vite ! Sans pression populaire, ils semblent désormais prendre bien des aises avec notre futur à tous. Je ne sais pas vous mais moi, mon futur, je ne le délègue à personne et surtout pas à des marchands de soupe.
Elle paraît bien loin, "l'Europe des peuples." On s'approche plus, à vrai dire, de l'Europe des gogos.
Nota Bene : les négociateurs se sont eux-mêmes surnommés " les bons amis des services. " Aucun doute : le cynisme est bien le seul roi, chez ces gens-là.
Frédéric L'Helgoualch est l'auteur de 'Deci-Delà (puisque rien ne se passe comme prévu)' aux éd. du Net et de 'Pierre Guerot & I' (ed H&O) en collaboration avec Pierre Guerot

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