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Billet de blog 12 février 2013

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Nikolai Lugansky, deuxième épisode

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Lundi soir, à vingt heures et quelques vingt minutes, le concert a changé de nature.

Nikolai Lugansky avait joué Dans les brumes de Janacek, une œuvre complexe, aux savantes influences, interprétation magnifique à bien des égards, et pourtant le public avait semblé distant. Même le Premier impromptu de Schubert avait suscité la politesse. Il arrive que le public manque de concentration: les enfants qui font des siennes, un petit chef insupportable, une fin de mois qui vient vite...on en connaît de ces motifs qui vous empêchent d’écouter. Mais, fort heureusement, l’alchimie s’est réalisée, là, durant le Deuxième impromptu : l’artiste a ressenti qu’il était enfin compris. Sa main droite, jusque-là presque timide, a recouvré l’éclat qui signe les virtuoses et Nikolai Lugansky n’a plus lâché le talisman. De Schubert, il a offert une interprétation colorée mais tenue, joyeuse et classique au meilleur sens du terme, avant de plonger pour toute la soirée dans l’océan Rachmaninov.

« Pendant un concert, il arrive que l’on joue comme par formalité, d’une manière obligatoire et puis, comme par magie, la musique devient vivante, elle se transforme en toute autre chose, explique le soliste. Il ya deux mémoires : la mémoire musicale et la mémoire physiologique. La seconde est médiocre chez moi. Je dois donc changer telle ou telle nuance au cours de mon interprétation, suivant l’acoustique, le piano, l’humeur enfin ».

Lundi, ce tempérament collectif a pris les allures d’une fête incandescente. Nikolai Lugansky fait partie des pianistes capables de jouer très fort et, quand on croit qu’ils vont se calmer, de jouer plus fort encore; enfin, passées trois phrases telluriques, de glisser un pianissimo de toute beauté. Quand on lui propose le constat de Rimbaud : « Moi qui  me suis dit mage ou ange, dispensé de toute morale, je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à étreindre ! Paysan ! », le pianiste accepte volontiers. Le regard un peu rêveur, il admet: « Nous devons être des magiciens mais ne jamais perdre de vue qu'il nous faut tracer le sillon ».

Le déluge formidable que Nikolai Lugansky peut convoquer fait penser qu’Horowitz a désormais son héritier. Tandis qu’ébloui s’écoulait le public à l’issue du concert, le billettiste se souvenait d'avoir demandé, la veille, à Nikolai Lugansky s’il faisait régulièrement des gammes. Il ne faut jamais s’interdire une question stupide. A condition de ne pas en abuser.

A suivre…

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