
par Armelle Parion sur www.frituremag.info
Des équipes de Médecins du Monde vont à la rencontre des Roms dans les squats. Cette mission spécifique milite pour l’insertion de cette population, dont les conditions de vie se sont dégradées depuis le discours de Grenoble prononcé en juillet 2010 par Nicolas Sarkozy.
Médecins du Monde intervient depuis quinze ans auprès des populations roms, installées à la périphérie des grandes villes. A Toulouse, une équipe se développe, et prévoit de passer sur les sites une fois par mois pour améliorer le suivi et l’orientation de cette population, essentiellement roumaine, estimée à 500 personnes. Mais seul le plus grand terrain, à Purpan, bénéficie de la venue hebdomadaire d’un bénévole. « Nous avons peu de moyens humains. Notre but est d’améliorer l’accès aux soins de cette population », souligne le docteur Geneviève Molina, responsable du centre de soins de Toulouse.
En 2007, le centre de soins de Bordeaux avait mis en place à la demande de la population rom elle-même la première mission dédiée dans le Sud-Ouest. L’équipe de bénévoles se déplace une fois par semaine dans les huit squats de l’agglomération, pour assurer le suivi des pathologies chroniques ou organiser des échanges sur la sexualité et la prévention, en partenariat avec le CHU.
Moins dans l’assistanat

« Avant, on donnait seulement des médicaments. Nous avons décidé d’organiser des consultations et un vrai travail de veille sanitaire. Etre moins dans l’assistanat nous semble propice à créer une dynamique d’intégration des familles », explique Laurent Seban, jeune pédiatre, coresponsable de la mission Rom de Bordeaux.
Selon Médecins du Monde et le réseau associatif bordelais (dont RESF et Procom font partie), environ 600 Roms vivraient sur la communauté urbaine, parmi lesquels une grande majorité de Bulgares, installés dans des immeubles vacants, des maisons abandonnées, ou encore sous des tentes. « Il s’agit de populations très hétérogènes, avec des cultures, des projets de vie et des degrés de maturation différents », souligne le docteur Seban. « Quelques-uns viennent pour le travail saisonnier, mais la plupart d’entre eux veut s’intégrer. Il leur faut donc un accompagnement social ».
MDM milite pour l’accès des Roms aux soins, mais aussi à l’eau ou à l’électricité. Mais l’association doit faire face à l’urgence d’une situation sanitaire devenue catastrophique. L’équipe qui compte cinq médecins, trois infirmières et deux sages femmes, s’occupe en priorité de santé materno-infantile, en lien avec les PMI.
Multiplication des expulsions
Depuis le discours de Grenoble prononcé en juillet 2010 par Nicolas Sarkozy pour encourager l’expulsion massive des Roms, la pression s’est accentuée. « Les contrôles de police sont devenus plus systématiques. La police passe plusieurs fois par mois sur les camps pour des contrôles d’identité. Alors qu’entre 2007 et 2009, ils bénéficiaient d’une relative stabilité, depuis quelques mois les expulsions s’intensifient », soulignait la mission bordelaise en juillet dernier.
En juin 2011, une quarantaine de Roms bulgares a dû quitter un stade de l’agglomération. Ils avaient été expulsés quelques jours auparavant d’un terrain privé à Villenave d’Ornon. Les associations se sont insurgées contre le manque de concertation avant l’expulsion. Un comité de réflexion a été mis en place avec la municipalité pour envisager une médiation sanitaire et sociale. Mais la préfecture a poursuivi les expulsions. Le 30 août dernier, une trentaine de Roms installés quai des Queyries, rive droite à Bordeaux, ont été évacués. Quelques jours plus tard, 120 Roms du hangar Thiers ont reçu une obligation de quitter le territoire, en raison de l’insalubrité du lieu. L’autre moitié des occupants a été déplacée dans des gymnases ou incitée au retour. Médecins du Monde souligne la dégradation de la santé mentale de cette population, liée au stress. L’hypertension, les maladies dermatologiques, les infarctus, et les douleurs musculaires sont monnaie courante dans les squats. « Ces expulsions augmentent les risques sanitaires et renforcent l’économie parallèle, au prétexte de régler les problèmes de sécurité », déplore Laurent Seban.

MDM
Après le discours de Grenoble, Alain Juppé, maire de Bordeaux, s’est positionné contre les expulsions systématiques. Le renouvellement, avec l’Etat, de la maîtrise d’œuvre urbaine et sociale votée en janvier 2010, a permis à 18 familles d’obtenir des cartes de séjour, un travail et un logement.
Deux médiateurs à la mairie
Insuffisant, selon les associations. Qui reconnaissent cependant quelques avancées positives, comme la signature d’un protocole sur la scolarisation des enfants, et la construction de 20 chalets avenue Thiers qui a permis de reloger 140 personnes. La ville de Bordeaux vient également de financer deux postes de médiateurs vacataires, issus du milieu associatif, pour aider à la scolarisation des enfants, à la gestion des besoins de la vie courante, comme les déchets. « Cela va changer complètement la donne, et nous mettre en face de notre responsabilité politique, assure Alexandra Siarri, ajointe aux précarités à la mairie. « Jusqu’ici, il n’y avait pas de permanence d’écoute ni de véritable accompagnement social ». L’élue souligne aussi le budget de plusieurs centaines de milliers d’euros investi par la CUB dans le relogement, même si elle reconnaît que « le résultat est bien en deçà des besoins ». « Nous avançons par rapport aux institutions, mais nous sommes toujours dans un rapport de force, souligne Laurent Seban. Nous aimerions qu’elles reprennent nos actions à leur compte ».
- L’intégralité du reportage est à consulter dans le magazine papier sorti le 16 novembre
Embauchés au noir par la CUB
L’histoire de l’arrivée des Bulgares, et donc des Roms, à Bordeaux témoigne de la responsabilité qu’ont les pouvoirs publics dans la formation de cette communauté. Quelques Bulgares sont arrivés dès 1995, suite à la chute du mur de Berlin et au désastre économique qui a suivi dans les pays de l’ex-URSS. Mais c’est surtout entre 2000 et 2003 que la population bulgare s’est développée. A cause du retard pris dans les travaux du tramway, les entreprises mandatées par la Communauté urbaine de Bordeaux ont embauché des Bulgares au noir. Aujourd’hui, la population bulgare de Bordeaux serait originaire à 75% de deux villages, situés à 150 Km de Sofia, la capitale. Les familles se sont regroupées, ont investi des squats. Mais leurs ressources se sont taries à la fin des travaux du tramway. « La police a cru à un trafic. Mais nous leur avons expliqué que le réseau s’était construit après la migration », raconte Laurent Seban, de Médecins du Monde.
A Toulouse, une partie de la population Rom s’est constituée suite à la crise espagnole. Des employés, presque tous originaires du village roumain de Blaj, et de la campagne environnante, se sont retrouvés au chômage en 2009. Ils ont migré à Toulouse, d’abord près de la médiathèque. Les squats se redistribuent au niveau local, au fil des expulsions.
Parmi les trois principaux de la CUB, celui de la rue de la Faïencerie, rive gauche à Bordeaux, compte jusqu’à 200 personnes. Avant son évacuation début septembre, le squat du hangar Thiers était le plus important. Sa population avait doublé en un an et demie suite à plusieurs expulsions, notamment à Floirac.