Quelques considérations spécifiques sur la psychanalyse dans ses relations avec le « divin » ou plus trivialement avec la morale chrétienne
« La psychanalyse, art extrêmement délicat, puisqu’il vise à modifier la personnalité humaine dans ses relations morales avec autrui : famille, milieu culturel et société, doit être réservée à une élite de praticiens »
Considérations générales sur la psychanalyse
Les stades de développement libidinal/
Fonctions de Complexe d’Oedipe
Dans l'évolution de l'activité libidinale la psychanalyse, distingue des périodes ou stades de développement.
l) Le stade oral: Premier stade de l'évolution libidinale, le plaisir sexuel est alors lié de façon prédominante à 1'excitation de la cavité buccale et des lèvres. L'activité de nutrition fournit les significations électives par lesquelles s'exprime et s'organise la relation d'objet, par exemple la relation d'amour à la mère sera marquée par les significations manger, être mangé.
2) Le stade sadique anal: Deuxième stade de l'évolution libidinale, qu’on peut approximativement situer entre deux et quatre ans ; il est caractérisé par une organisation de la libido sous le primat de la zone érogène anale; la relation d'objet est imprégnée de significations liées à la fonction de défécation (expulsion rétention) et à la valeur symbolique des fèces. On y voit s'affirmer le sado-masochisme en relation avec le développement de la maîtrise musculaire.
3} Le stade phallique:Stade d'organisation infantile de la libido venant après le stade oral et anal et caractérisé par une unification des pulsions partielles sous le primat des organes génitaux ; mais 1'enfant, garçon ou fille, ne connaît à ce stade qu'un seul organe génital, l'organe mâle, et l'opposition des sexes est équivalente à l'opposition phallique, châtré. Le stade phallique correspond au moment culminant et au déclin du complexe d'Oedipe; le complexe de castration y est prévalent.
4) Le stade génital: Stade du développement psycho sexuel caractérisé par 1'organisation des pulsions partielles sous le primat des zones génitales ; il comporte deux temps séparés par la période de latence ; la phase phallique et l'organisation génitale proprement dite qui s'institue à la puberté. (19)
Pour Hesnard : l’intérêt sexuel socialisé fait naître le désir du but sexuel adulte, l’acte sexuel (pénétration active chez l’homme, passive chez la femme), et de l’objet sexuel adulte, le partenaire du sexe opposé
La mère, par la nourriture, le sein qu’elle donne à l’enfant, par les soins qu’elle lui prodigue, par l’amour qu’elle lui manifeste, éveille l’enfant au désir, et sera toujours l’objet idéalisé dans tous les choix d’objets, le paradis perdu à jamais, parce que désir auquel il faut renoncer.
Chez le garçon, le désir est à son apogée dans le désir de l’inceste, désir impossible, désir qui doit être judicieusement contrecarré par le père, qui doit signifier à son fils, parfois rappeler à sa femme, dans la mesure où l’enfant est pour elle un objet sexuel exclusif, le nécessaire interdit de l’inceste
Pour la psychanalyse, le complexe d'Oedipe joue donc un rôle fondamental dans la structuration de la personnalité et dans 1'orientation du désir humain. Chez les garçons le désir est à son apogée dans le désir de 1'inceste, désir qui doit être contrecarré par le père. Le complexe d'Oedipe du garçon sombre sous 1'effet du complexe de castration qui introduit le garçon dans la reconnaissance de la Loi du Père.
Si chez le garçon la menace de la castration est déterminante, le complexe de castration (prise de conscience du manque de pénis) introduit 1'Oedipe chez la fille qui désire avoir le pénis du père. La femme adulte et « normale » doit renoncer à 1'envie du pénis et accepter d'être pénétrée par le pénis de 1'autre sexe. (20)
Pour Freud, l’envie du pénis chez la femme ou le comportement de protestation masculine (Freud fait allusion aux mouvements féministes) est une névrose en général. Avoir un enfant de quelqu’un d’autre que son père, est pour la psychanalyse, la réalisation substitutive du désir de la femme d’avoir un pénis.
Pour Freud :"Une première opposition apparaît avec le choix d'objet qui, en effet, présuppose sujet et objet. Au stade de l'organisation prégénitale sadique anale il n'est pas encore question de masculin et de féminin, l'opposition entre actif et passif est celle qui domine. Au stade suivant, celui de 1'organisation génitale infantile, il y a bien un masculin mais pas de féminin; 1'opposition s'énonce ici : organe génital masculin ou châtré. C'est seulement quand le développement, à 1'époque de la puberté, s'achève, que la polarité sexuelle coïncide avec masculin et féminin. Le masculin rassemble le sujet, 1'activité et la possession du pénis ; la féminité perpétue 1'objet et la passivité. Le vagin prend maintenant valeur comme logis du pénis, il recueille 1'héritage du sein maternel."
Pour la psychanalyse, parents et éducateurs doivent imposer à l'enfant les "frustrations nécessaires" qui établissent chez le sujet un équilibre entre le "principe du plaisir" et le "principe de réalité". Pour la psychanalyse le vrai plaisir est la résolution efficace et adaptée des tensions provoquées par le "manque", c'est le "repos du guerrier" .L'enfant doit apprendre que tout se "paye", que tout se "conquiert" par le travail et le renoncement aux plaisirs immédiats...
Pour Freud:"Cette incapacité de la pulsion sexuelle à se procurer la satisfaction complète, dès qu'elle est soumise aux premières exigences de la civilisation, devient la source des oeuvres culturelles les plus grandioses qui sont accomplies par une sublimation toujours plus poussée de ses composantes pulsionnelles. Quel motif les hommes auraient-ils pour utiliser autrement les forces d'impulsion sexuelles si elles pouvaient se procurer, par une répartition quelconque, une satisfaction donnant un plaisir complet? Ils ne se détacheraient plus jamais de ce plaisir et n'accompliraient plus aucun progrès...Puisque le pénis - pour suivre Ferenczi - doit son investissement narcissique extraordinairement élevé à la signification organique qu'il a pour la continuation de l'espèce, on peut considérer que la catastrophe que subit le complexe d'Oedipe (détournement de l'inceste et instauration d’une conscience morale) comme une victoire de la race sur l'individu."
Pour la normalité et l’équilibre psychique de l’enfant et de l’adulte de demain, les parents doivent être à la fois objet désirable mais aussi savoir imposer la Loi du Père, tenir le désir de l’enfant à distance pour éviter les fixations incestueuses, mais en même temps éveiller l’enfant au désir :
Pour Freud : « L’affection de l’enfant pour ses parents laisse les impression s les plus profondes peut-être, qui renouvelées pendant la puberté commanderont la direction du choix des objets… Les querelles des parents entre eux, un mariage malheureux, entraînent comme suite de lourdes prédispositions à des troubles du développement sexuel ou à des névroses chez leurs enfants. » (21)
Les parents doivent donc imposer à l’enfant les frustrations nécessaires, ni trop, ni trop peu pour que l’enfant aboutisse à un certain renoncement aux instincts pour qu’advienne, selon la psychanalyse, le nécessaire équilibre entre le principe de plaisir et le principe de réalité.
 Le vrai plaisir ne peut être, pour un adulte normal et civilisé, que la résolution efficace et adaptée, admise par la « culture » des tensions provoquées par le « manque », les frustrations et renoncements qui s’imposent quotidiennement. Le plaisir de l’homme civilisé la fin d’une tension, la récompense d’un effort, « le repos du guerrier ».
L’enfant doit apprendre que rien n’est donné gratuitement, que tout « se paye », que les bienfaits de la civilisation sont le résultat d’un travail pas toujours marrant, d’un dur labeur.
 La seule recherche du plaisir, la satisfaction immédiate et totale des pulsions signifierait le retour à « l’ancienne loi de la jungle » des débuts de l’humanité, le retour à la barbarie de l’homme « primitif »
De ce fait : « La psychanalyse, art extrêmement délicat, puisqu’il vise à modifier la personnalité humaine dans ses relations morales avec autrui : famille, milieu culturel et société, doit être réservée à une élite de praticiens »
Même si certains psychanalystes se démarquent d'un psychologisme simpliste, s'ils s'interrogent sur la finalité de la psychanalyse, ils reviennent toujours sur la nécessité de faire face à la castration.
Pour Serge Leclaire:"Assumer la castration c'est, sinon regarder la réalité en face tout au moins tenir compte de 1'impossible mesure de la jouissance....La démarche psychanalytique tend à travers le déchiffrement du réseau oedipien à conduire celui qui s'y engage à faire face à la castration, c'est à dire considérer le manque sans s'en détourner aussitôt. Le concept de castration désigne l'opération par laquelle le manque réel, irréversible, insupportable et véritablement historique s'articule avec le jeu et la règle des différences... Faire face à la castration, c'est ayant reconnu qu'à l'impossible chacun se trouve tenu, savoir que s'engager dans les voies du possible, consiste à marcher comme il se doit en boitant." (22).
Psychanalyse : éducation sexuelle et morale chrétienne
Dans les années soixante, 1’éducation sexuelle des enfants est devenue une "ardente obligation". Parents "informés", éducateurs "avertis", médecins et psychologues, sont appelés à prendre en charge, conjointement et de façon continue, ce germe précieux et périlleux, dangereux et en danger, qu'est le sexe de l'enfant: "Devant le danger préjudiciable à 1'épanouissement de 1'être humain et de la famille dans sa liberté et sa dignité, il faut développer rapidement éducation et information sexuelle pour permettre aux individus d'assumer sainement la promotion à la liberté de procréation, sinon 1'ampleur même de cette évolution risque de perturber à la fois les individus et la collectivité qui auraient abandonné d'anciennes structures sans avoir su préparer de nouvelles libertés."
Le livre :"La vérité sur 1 'amour" de Marie-Claude Monchaux, dont nous citons quelques extraits hautement significatifs, nous a paru bien représentatif de 1'orientation de cette éducation sexuelle moralisante et chrétienne d'inspiration psychanalytique :"La sexualité est un don magnifique que la vie fait à chacun de nous .C'est aussi un don redoutable si 1 ' on en fait un mauvais usage... La masturbation est un égoïsme et nul bonheur réel ne peut jamais venir d'un égoïsme..".
Si 1'adolescent atteint physiologiquement la maturité sexuelle il doit se maîtriser:"La nature fait se chercher les garçons et les filles, et les rend amoureux...C'est un piège...Tous les adolescents qui se lancent dans le flirt doivent savoir que cette attirance physique peut devenir très forte et les entraîner loin, quelques fois plus loin qu'ils n'ont le droit d'aller... Le désir physique est un appel impérieux. Ils ne doivent pas y succomber parce que leur propre bonheur physique est en cause. La première responsabilité consiste pour les adolescents à se garder." La relation sexuelle idéale est la relation vécue par un couple adulte :"L'amour physique pour atteindre à la plénitude doit être vécu par des adultes en pleine possession de leur caractère et de leurs facultés de tendresse...Autrement il n'est qu'une pauvre satisfaction personnelle coupée de toute sa richesse la plus grande... Le bonheur suprême pour le couple est dans et par leur relation la naissance d'un enfant."(23)
Avec Marc Oraison, prêtre et psychanalyste, nous atteignons les "hautes sphères" de la morale chrétienne et des discours théologiques avec lesquels le pape Jean-Paul II et ses évêques nous gavent encore aujourd'hui : :"Les problèmes sexuels, s'ils ne sont pas bien éclairés et mis en place, risquent fort de devenir une gêne et parfois un obstacle à une attitude religieuse vraie...Puissance d'amour relationnel et de procréation, la sexualité est, dans la créature rationnelle une participation analogique lointaine mais très directe au mystère de Dieu, "Dieu créa 1 ' homme à son image, à 1 ' image de Dieu il les créa. (Gn 1. 27.) Sous cette perspective, la jouissance affective et physique ne peut se concevoir, en valeur, que dans la signification à la fois d'amour personnel et de génération qu'elle comporte dans le plan de Dieu; autrement elle devient littéralement monstrueuse, comme un désordre vital et une trahison dégradante. En toute logique chrétienne, la réalisation sexuelle ne peut se concevoir comme juste positivement bonne que dans une relation conjugale de deux personnes unies par un couple définitif."(24}
Si dans son ouvrage: "L'Avenir d'une Illusion" Freud procède à une critique sans complaisance, comme nous 1'avons vu plus haut, des dogmes de la religion,il ne reste pas moins vrai qu'entre les préceptes fondamentaux de la morale chrétienne et la psychanalyse, qui inscrit la répression des désirs,la soumission à la Loi du Père, l'acceptation de la "castration" dans son enseignement,et estime que la révolte est une "vanité",la révolution un danger même pour 1'humanité, il y a une étonnante convergence.
Sans doute, sous l'influence du christianisme, la soumission à la Loi du Père n'apparaît plus comme une obéissance aveugle et sans une certaine contrepartie, qui est l’amour, la « reconnaissance » promis à ceux qui se soumettent, d’ailleurs cette soumission librement consentie s'est inscrite dans nos mentalités comme étant la seule voie d’accès à la liberté.
Après avoir condamné la psychanalyse, 1'Eglise lui accorde une sympathie critique de bon aloi, confortée par une certaine convergence des enseignements et des pratiques de la psychanalyse
De fait, bon nombre de psychanalystes ont montré que les enseignements de la psychanalyse non seulement ne s'opposaient pas à la religion chrétienne, mais pouvaient apporter un éclairage nouveau dans la lecture de la Sainte Bible.
Par exemple, Françoise Dolto, dans son livre:"Les Evangiles et la foi au risque de la psychanalyse des Evangiles" fait des commentaires originaux et bien éclairants qui soulignent bien cette proximité entre la figure, la personnalité du Christ, et 1'idéal humain tel qu'il est conçu par la psychanalyse. (25)
« Jésus lui-même a été jusqu’au bout de son désir : faire ce que le Père voulait. Il n’a aucune pensée de vengeance contre ceux qui le torturaient et lui donnaient injustement la mort, il n’a eu ni dérobade ni esquive devant cette mort malgré les tourments de l’angoisse au Jardin des Oliviers. Son être tout entier volontairement acceptait de servir le désir inconnaissable qui, par lui, devait s’accomplir pour sauver tous les humains des angoisses de leur désir masqué de l’horreur du péché, terrifié par la mort physique.
Nous sommes des êtres de chair, nous cherchons la satisfaction de notre désir, le jouir dans la chair. Mais jamais cette chair et les plaisirs qu’elle nous procure ne nous suffisent ni ne nous comble. Jésus ressuscité nous enseigne que si nous cherchons en esprit et en vérité, en affrontant le doute et son épreuve, si nous dépassons la chair sans en bannir les plaisirs partagés, sans faire l’économie des risques pour notre corps, par-delà la mort, nous trouverons l’épanouissement de notre désir….
Après la mort, nous nous éveillons donc, comme le dit l’Evangile pour le Christ, à une vie autre. Le spirituel n’étant pas de la consommation charnelle, apportera une joie indicible avec nos mots actuels, car le plaisir dans la jouissance du corps n’est qu’une métaphore, une analogie. Nous découvrirons alors le désir de l’esprit effleuré, pressenti seulement dans l’amour de maintenant. Oui, nous pourrons en esprit connaître la vérité de l’amour et, je le crois, une jouissance dont nous n’avons aucune notion avant d’être passé par la mort.
Au delà de notre père et de notre mère et de tous les autres, jésus nous appelle à oser être authentique, à tenter d’être sincère en vivant, à son exemple, notre désir unique et disponible à chaque instant. « Celui qui mange ma chair dit Jésus, vivra. ». C’est, traduit dans le domaine spirituel, la transformation que vit sur le plan affectif chaque humain avec ses parents et ses amis. Le pain partagé et le vin bu ensemble sont témoins de vie donnée, celle de Jésus incandescence d’amour.
Il disait de baptiser, c’est à dire de plonger le monde entier dans un tourbillon d’amour fluide et circula. Il se sentait être ce tourbillon, ardeur de désir de communication, passion d’amour créateur. »
Jésus veut initier chacun à vivre dans l’amour. Voilà la clé de la vie voilà la victoire sur le péché, sur le sentiment de culpabilité né de l’orgueil des humains qui deviennent dépressifs après l’échec de leurs projets ou de leurs entreprises. L’amour ne remâche ni les blessures, ni les échecs, ni les désespérances. L’amour mise et risque sur l’avenir .L’amour espère tout. Jésus nous initie au fait que la mort physique n’est pas un scandale. C’est une nécessité (25)
Dans sa pénétrante "Histoire de la Sexualité", Michel Foucault montre bien que la psychanalyse participe à la mise en place d'un ordre moral qui se situe dans la perspective chrétienne du XVIII0 siècle:
"On se moquera du reproche de pansexualisme qui fut un moment objecté à Freud et à la psychanalyse. Mais ceux qui paraîtront aveugles seront moins ceux qui 1 ' on formulé que ceux qui 1 ' on écarté d’un revers de main, comme s'il traduisait seulement les frayeurs d'une vieille pudibonderie. Car les premiers, après tout, ont été seulement surpris par un processus qui avait commencé depuis bien longtemps et dont ils n'avaient pas vu qu'il les entourait déjà de toutes parts ; ils avaient seulement attribué au mauvais génie de Freud ce qui avait été préparé de longue main; ils s'étaient trompés de date quant à la mise en place dans notre société, d'un dispositif général de sexualité. Mais les seconds, eux, ont fait erreur sur la nature du processus; ils ont cru que Freud restituait enfin au sexe la part qui lui était due et qui lui avait été si longtemps contestée; ils n'ont pas vu que le bon génie de Freud l'avait placé en un des points décisifs marqués depuis le XVIII0 siècle par les stratégies de savoir et de pouvoir; et qu'il relançait ainsi avec une efficacité admirable, digne des plus grands spirituels et directeurs de 1'époque classique, 1'injonction séculaire d'avoir à connaître le sexe et à le mettre en discours .On évoque souvent les innombrables procédés par lesquels le christianisme ancien nous avait fait détester le corps; mais songeons un peu a toutes ces ruses par lesquelles, depuis plusieurs siècles, on nous a fait aimer le sexe,par lesquelles on nous a rendu désirable de le connaître, et précieux tout ce qui s'en dit; par lesquelles aussi on nous a incités à déployer toutes nos habiletés pour le surprendre, et attachés au devoir d'en extraire la vérité;par lesquelles on nous a culpabilisés de 1'avoir si longtemps méconnu...Ironie de ce dispositif: il nous fait croire qu'il y va de notre "libération"." (26)
Le refus de la Loi du Père est un "péché contre l'Esprit" pour la religion (nous y reviendrons plus loin) ; dans nos démocraties « ce refus » est considéré comme la manifestation d'un "anarchisme destructif", et pour la psychologie il est, tout simplement, symptôme du délire
Pour Jacques Lacan :(27) "« C’est dans le nom du père qu’il nous faut reconnaître de la fonction symbolique qui, depuis l’orée des temps historiques, identifie sa personne à la loi ».
Lacan reconnaît bien volontiers que la place essentielle qu’occupe le Nom du Père vient bien de la religion : « L’attribution de la procréation au père ne peut être que l’effet du pur signifiant, d’une reconnaissance non pas du père réel, mais de ce que la religion nous a appris à invoque comme le le Nom du Père »
La religion chrétienne qui lui attribue la fonction de procréation, l’enfantement de la Vierge Marie est bien l’œuvre de L’Esprit Saint, et la place qu’a pu prendre la Vierge Marie au début du 20ième corrobore bien ce « constat » établit par Lacan, qui reconnaît bien cette convergence de la « vraie religion » c’est à dire du Christianisme avec la psychanalyse, et il ne souhaite pas moins une « nécessaire » émancipation de la psychanalyse à l’endroit de la religion qu’il épingle de bien belle manière à la fin des Ecrits
« Peut-on espérer que la religion prenne dans la science un statut un peu plus franc ? Car depuis quelque temps, il est d’étranges philosophes à y donner de leurs rapports la définition la plus molle, foncièrement à les tenir pour se déployer dans le même monde, où la religion dès lors a la position enveloppante Pour nous, sur ce point délicat, où certains entendraient nous prévenir de la neutralité analytique, nous faisons prévaloir ce principe que d’être ami de tout le monde ne suffit ps de préserver la place d’où l’on a à opérer… L’analyse à partir de sujet de la science conduit à y faire apparaître les mécanismes que nous connaissons de la névrose obsessionnelle. Freud les a aperçus dans une fulgurance qui leur donne une portée dépassant toute critique traditionnelle. Prétendre y calibrer la religion, ne saurait être inadéquat …
Disons que le religieux laisse à Dieu la charge de la cause, mais qu’il coupe là son propre accès à la vérité. Aussi est-il amené à remettre à Dieu la cause de son désir, ce qui est proprement l’objet su sacrifice. Sa demande est soumise au désir supposé d’un Dieu qu’il faut séduire. Le jeu de l’amour entre par là. Le religieux installe la vérité en un statut de culpabilité. Il en résulte une méfiance à l’endroit du savoir, d’autant plus sensible dans les Pères de l’Eglise, qu’ils se montrent plus dominants en matière de raison. La vérité y est renvoyée à ce qu’on appelle des fins eschatologiques… d’où le relent d’obscurantisme qui s’en reporte à tout usage scientifique de la finalité
.
A voir la situation actuelle à travers ces dernières réflexions nous en sommes bien loin, et certaines craintes exprimées sur un éventuel consensus mou entre la religion et la psychanalyse.
Si pour Françoise Dolto: La mort du Christ sur la croix qui a pour corollaire sa résurrection est exemplaire parce qu'elle est accomplissement de l'être, épanouissement du désir. Le désir ne peut se réaliser que dans l'accomplissement de la Volonté du Père :" Jésus a été jusqu'au bout de son désir : faire ce que le Père voulait.». Mais il se pourrait bien que Jacques Lacan se renfrogne dans sa tombe, en lisant le dernier ouvrage de Françoise Dolto, et lui fasse « des reproches assez sarcastiques» sur son idée que le désir ne puisse se réaliser pleinement que par l’accomplissement de la volonté du Père, pour la raison, toute simple et d’une flagrante évidence, qu’il y a un certain hiatus, une contradiction essentielle entre la soumission à la Loi du Père et l’accomplissement du désir. Jacques Lacan écrit bien quelque part dans Ecrits quelque chose qui nous paraît essentiel, et pointe les contradictions dans lesquelles, ce « grand Monsieur » pouvait se mouvoir avec une certaine aisance.
Il reconnaît, certes, que : « Le délire est forclusion du Nom du Père, le Nom du Père soutient la structure du désir avec celle de la loi."… Mais « Quand la loi est vraiment là, le désir ne tient pas, mais c’est pour la raison que la loi et le désir refoulé sont une seule et même chose. »
En dernier lieu, il nous a paru intéressant de relever cette réponse, hautement significative, à une question posée par une journaliste, Ruth Grorichard à un éminent psychanalyste, Moustafa Safwan, elle apporte une dernière touche bien « savoureuse » aux rapports actuels entre psychanalyse et religion
Question :Freud n’y voyait-il pas une “illusion”, une névrose obsessionnelle collective qui à la fois soulage et entretient la culpabilité inconsciente éprouvée par chaque individu, coupable selon lui d’avoir désiré dans sa petite enfance la mort du père ? Mais Freud pensait aussi que le progrès de l’esprit scientifique devrait finir par dissiper cette illusion qu’est pour lui la religion
Réponse : Oui, mais cette thèse est aujourd’hui dépassée. Le psychanalyste Jacques Lacan pense au contraire que la religion a de l’avenir, parce qu’elle donne sens à un monde de plus en plus soumis au déchaînement aveugle de la technique. La croyance, inéliminable, est la forme première de la pensée, et, comme l’a montré Lévi-Strauss, les lois originelles auxquelles sont soumis les êtres parlants sont les lois du langage. Dès la naissance, nous sommes tous inconsciemment assujettis au langage que Lacan appelle le grand Autre. Dans les religions primitives, cet Autre était incarné par l’ancêtre mythique, le totem, les dieux de la cité antique, avant de devenir le Dieu unique des religions monothéistes, révélant sa Loi par l’intermédiaire de ses prophètes ».