Quatre textes écrits en 2012 et janvier 2015 qui complètent "Intégration", celui que je viens d'écrire.
Bien que les meurtres et cambriolages aient diminué, le nombre de détenus a augmenté de 50 % entre 2002 et 2012, parce qu'on enferme pour des délits de plus en plus véniels et plus longtemps. Mettre hors d'état de nuire de dangereux criminels est bien naturel. Mais beaucoup sont incarcérés par ex. pour défaut d'assurance, conduite sans permis, possession d'un peu de cannabis ou pour avoir répondu à un policier... Par contre, les enfermements pour infractions à la législation financière ont baissé de 1⁄3.
La prison arrête-t-elle au moins les parcours délinquants ? Non. En fait elle les entérine, parfois vécue comme une consécration : on s'enorgueillit d'être regardé comme un « dur », un initié. Loin de rien corriger, aussi absurde que ce soit, la prison est l'école du crime.
Quand la Justice sévit, on s'attendrait à ce que le malfaiteur égaré soit recadré là où la justice est enfin respectée, les institutions pénitentiaires donnant un exemple irréprochable. La déception est de taille ! Le monde carcéral concentre et amplifie les inégalités, les violences dont les passages à tabac, l'abjection, les abus et les frustrations que l'on peut rencontrer à l'extérieur. Celui qui sort meilleur qu'il n'est entré - cela arrive - montre qu'un être humain peut trouver en lui des ressources admirables.
Le bon sens voudrait qu'un condamné soit d'abord astreint, autant que faire se peut, à réparer les torts qu'ils a causés à autrui, et qu'on lui donne les moyens de réparer ses propres lacunes et de pouvoir à sa sortie intégrer le clan des honnêtes hommes. Cela suppose que la société offre une bonne place à tout un chacun, et nous savons bien que ce n'est pas le cas. Combien ont actuellement du mal à trouver du travail ? Alors, imaginez un séjour en prison sur le curriculum vitae !
La prison est punitive. Un détenu dit communément qu'il « paye » sa « dette » à la société. Vocabulaire typique de la transaction financière ! En quoi condamner de pauvres bougres à mourir d'impuissance, d'humiliations permanentes et d'ennui rémunère-t-il qui que ce soit ? Des détenus incarcérés pour des broutilles risquent de se durcir dans des cercles vicieux calamiteux parce que la société ne nous offre pas à tous la vraie sécurité dont nous avons besoin.
La prison est surpeuplée aujourd'hui à 170 %. Les cellules (9 m²) disponibles en maison d'arrêt sont occupées par 2 ou 3 détenus, avec 1.065 matelas ajoutés au sol, ce qui est illégal depuis... 140 ans. C'est un lieu de promiscuités dégradantes, où le bruit interdit la concentration, où l'on se fait violer, où règne la loi de la force brute des uns sur les autres et en particulier des caïds, ou de gurus, sur les plus démunis.
Être en prison, c'est voir son intimité fouillée, exposée, et endurer la privation presque totale de relations humaines sinon avec ses codétenus. Et de quoi donc parler si ce n'est des hauts faits de chacun, des peines encourues, d'avocats, de juges et de jugements, de sexe, de ce qu'on fera une fois dehors ? S'il y a une formation en prison, c'est celle que les détenus se donnent entre eux. Car la vie s'y écoule lentement dans une attente perpétuelle : des parloirs, des visites de la famille, de l'avocat, du courrier, du procès, des séances de sport, de l'heure de classe, de la queue pour la bibliothèque, des rendez-vous avec le psychiatre, l'infirmière, le travailleur social, le dentiste, ou l'aumônier, des passages à la douche. Le tout accessible de manière extrêmement restrictive et inégalitaire. Les détenus sont souvent animés d'un formidable appétit de vivre, qui se heurte sans cesse aux barreaux.Nombreux sont ceux qui sont drogués aux psychotropes tout à fait officiellement, sans compter les drogues illicites qui circulent en prison.
La télé en prison ? A condition de payer 25 à 40 €/mois/personne à l'AP (administration pénitentiaire). La cantine fonctionne par l'intermédiaire de l'AP à des prix de 30 % à 2 fois plus chers que les prix normaux, l'AP gardant un pourcentage. En fait le détenu doit tout acheter, de la nourriture, les produits d'hygiène et même les médicaments qui lui sont prescrits. Que l'argent soit ou non issu de la délinquance, il vaut mieux être riche en prison. Il permet d'adoucir sa peine et il pose son homme ! Malheur à l'indigent !
Ils n'ont qu'à travailler ? Là encore, le travail semble un privilège. Moins de 40 % des écroués peuvent travailler, à des emplois répétitifs, sous-payés 45 % du SMIC pour les emplois du privé et 20 à 30 % au service général. L'AP prélève 30 % du salaire net pour frais d'entretien, 10 % sont retenus pour « indemniser » les victimes, 10 % pour le pécule de libération. En 2000 le revenu moyen annuel était de 1.950 €, avec de grandes disparités.
Rien d'efficace n'est organisé pour la réinsertion des détenus. Qu'est-il permis d'espérer à une personne sans moyens si ses liens familiaux n'ont pas résisté ? On oublie qu'en règle très générale les prisonniers seront libérés un jour. Dans quel état ?
Gdalia Roulin, 24 janvier 2015.