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Billet de blog 12 septembre 2011

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Justice: combien d'Outreau?

Alors que le film Présumé coupable relatant la tragédie judiciaire de l'affaire d'Outreau sort dans les salles, il convient de s'interroger sur ce drame et ce qu'il nous renseigne de l'institution judiciaire.

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Alors que le film Présumé coupable relatant la tragédie judiciaire de l'affaire d'Outreau sort dans les salles, il convient de s'interroger sur ce drame et ce qu'il nous renseigne de l'institution judiciaire.

Car enfin , Outreau est une erreur judiciaire constatée judiciairement...Mais combien y a t-il d'erreurs judiciaires qui n'ont pas bénéficié d'une telle issue ?

Bien évidemment il n'y a pas de chiffre à ce sujet, bien que l'on connaisse le nombre de révisions de procès ou d'indemnisation des détentions injustifiées... Il reste cette chiffre impossible a connaître d'innocents poursuivis et condamnés....

En quelques sorte...quid de l'erreur judiciaire...Celle ci est le fruit amère de l'organisation de l'administration judiciaire et de travail des juges, mais aussi d'une pression politique, médiatique, sociétale.

L'erreur judiciaire et administration judiciaire.

La justice n'est pas une vertu, c'est une administration. Tout est dit dans cette assertion, car pour le justiciable il va falloir faire appel à la conscience de cette vertu, de ce rapport moral, chez chacun des intervenants à l'acte de justice pour éviter de se faire broyer par la machine administrative.... D'autant plus qu'il arrive parfois des solutions juridiques iniques donc injustes du fait de l'application de lois injustes ou plus simplement de l'application de règles de procédures pointillistes...Le droit ne se confond pas complètement avec le juste.

Dans l'acte de juger l'erreur est une alternative sérieuse aux multiples solutions qui s'offrent au juge, de manière totalement inconsciente parfois, ou d'autre fois par l'application d'une routine...

Dans ces cas le juge n'intervient pas seul. Normalement, la procédure doit suppléer ses carences de raisonnements inductifs ou déductifs . Il est en dialogue avec les avocats, avec le parquet ( au pénal), avec divers intervenants judiciaires ( enquêteurs sociaux, policiers et gendarmes, experts divers) et sa décision peut être réexaminée en appel.

Ce qui a fait défaut dans l'affaire Outreau c'est certes le juge d'instruction mais il n'a pas été le seull .C'est une longue suite d'intervenants qui ont déraillés. Cet aspect a été que très peu explicité par les médias, même s'il a été évoqué par la commission parlementaire:

- quid des enquêteurs, qui n'ont jamais envisagé d'autres postulats que celui de la culpabilité

- quid des experts divers et variés qui sont intervenus

-quid de la Cour d'Appel, des procureurs qui sont intervenus etc....

En réalité, il faudrait détailler chaque fonctionnement de ces maillons judiciaires, mais il est exact de dire qu'il ont fonctionné....normalement....et c'est bien là le drame... C'est à dire que le La de la culpabilité ayant été donné..il s'agissait de conforter cette hypothèse...Et les remparts construits contre l'erreur judiciaire ont tous sautés petit à petit, voire même l'erreur de l'un justifiait l'erreur de l'autre ....

Les expertises: Pour se défendre, un expert psychologue avait lancé : " "Quand on paye des expertises au tarif d'une femme de ménage, on a des expertises de femme de ménage" ... Il est facile de lui répondre que personne ne l'obligeait a accepter sa mission et puis, in fine, la recherche de la vérité est elle conditionnée par l'argent ? Par contre, il est vrai que le nombre réduit d'experts dans beaucoup de disciplines et aussi l'absence de tarifs attractifs conduit à la mise en place de routines professionnelles...La situation actuelle des frais de justice est même paroxystique puisque bon nombre d'experts ne sont plus payés ou avec un retard d'un an et plus ce qui arrête les plus motivés ...

Les procédures d'appels et regards extérieurs:

La chambre d'appel, les divers procureurs qui se penchent sur un dossier pourraient trouver à y redire, voire infirmer la décision... cela arrive souvent mais là encore, ils ont les mêmes difficultés que le juge de première instance de se départir d'a priori ou de raisonnements circulaires: exemple: si l'individu s'est rétracté, c'est qu'il est de mauvaise foi....La religion de l'aveu est toujours une religion judiciaire sans que l'on se pose la questions du contexte psychologique et physique de ces aveux...De même l'on va induire d'un mensonge secondaire, le caractère permanent du mis en examen qui sera qualifié de menteur professionnel .... etc. ...

Et puis il y a pression....non celle d'une quelqueconque autorité mais celle de chiffre;; Finalement un bon magistrat, n'est pas celui qui fait un travail de qualité , un bon juge , celui qui aura ses 12 % de primes de rendement est celui qui évacue...et parfois de manière un peu automatique ...Celui là justement s'il accepte de changer de poste tous les deux ans ( c'est à dire qu'il ne conduit que très peu d'affaires à terme, ) celui là avancera, sa carrière sera brillante ...

A ce propos, un dicton est même susurré dans les couloirs des palais de justice, comme dans d'autres administrations, " tout temps perdu au travail, est un temps perdu pour la carrière"...

Eh oui, les juges ne sont pas au dessus de la mêlée, ce sont des hommes ( plutôt des femmes d'ailleurs, étant une profession féminine) comme les autres: il y a la même proportion d'intrigants, de faibles, mais de courageux ou d'indépendant d'esprit...aussi.

L'affaire Outreau couvre toute cette gamme non exhaustive de dysfonctionnements.. Mais, il reste à savoir qui donne de La, l'ambiance générale qui va transformer l'erreur en une vérité intangible....

L'erreur judiciaire et la commande politique

La justice n'est pas une bulle à l'abris des pressions de l'opinion et des politiques...

Rappelez vous la période d'Outreau....Il n'était pas un moment où il ne fallait démanteler de réseaux pédophiles. Il y avait eu l'affaire belge Dutroux et autres...Les médias découvraient l'existence de ces crimes sexuels et bientôt les politiques s'emparaient de ces événements pour édicter un certains nombres de textes de lois en ce sens ...

La chasse était ouverte aux réseaux pédophiles.. Précipitation n'est jamais synonyme d'une bonne justice. Il faut d'ailleurs s'arrêter quelques instants sur l'histoire d'une expression " la loi de Lynch".

"Un certain Charles Lynch (1736-1796), « patriote » de l'État de Virginie, décida de « réformer » la façon dont la justice était appliquée dans sa région . Juge de paix, il instaura des procès expéditifs menant parfois à des exécutions sommaires à l'encontre des défenseurs de la couronne britannique. Il réunissait la cour , recrutait les jurés et présidait à l exécution. Quand la cour devait ajourner, le prisonnier était exécuté. La « loi de Lynch » se répandit dans les territoires de l'Ouest américain et s'y développa jusqu'à l'établissement et la consolidation de l'Etat de droit. Ses méthodes expéditives et les erreurs judiciaires furent couvertes par la Cour Suprême. Lynch devint par la suite sénateur".

Ce bref aperçu historique nous explique bien les rapports entre un populisme sécuritaire, l'aval des politiques et l'affaissement de l'Etat de droit....Cette situation émane d'interférences graves entre la justice et son contexte politique...Cette situation peut s'aggraver lorsque l'échelon politique débride tout à la fois les pulsons de la vengeance privée et une machine bureaucratique qui ne devient que comptable de son chiffre de production statistique.. D'autres pays ont eu a connaître ce type de débordement notamment la Russie stalinienne.

Nous n'en sommes pas à la loi de lynch, toutefois l'actuelle politique de Tolérance zéro est le sous produit techno de cette démarche.

Tout poursuivre pénalement, oublier toute circonstance atténuante ( loi sur la récidive) , voire édicter des peines automatiques ( peines planchers), réduire au minimum l'intervention d'un défenseur, fixer des objectifs a atteindre aux services de police ( ex nombre d'étrangers interpellées, nombres d'affaires élucidées etc ..), developer la prime au mérite chez tous les agents ( magistrat, fonctionnaires policier). Voilà qui ne va pas dans le sens d'un combat contre l'erreur judiciaire... A cela il faut ajouter le developpement de la visio justice, c'est à dire juger quelqu'un par l'intermédiaire d'un écran: le prévenu restant en prison et le juge au tribunal...L'erreur judiciaire devient une possibilité virtuelle...

Dans le même temps, réduire, rançonner tout budget au service public

Cette politique développée ouvertement depuis 2002 a été comme surprise par l'affaire Outreau en 2004...mais la majorité parlementaire d'alors a bien vite enterré les résolutions de réforme de le justice visant a en augmenter les garanties pour le citoyen...

A cela s'ajoute une volonté effrénée de victimisation et son importation dans les processus judiciaires. Non pas pour améliorer le sort de la victime mais pour lui faire endosser le discours idéologique de répression..

Flatter la vengeance privée au détriment de la justice de la République..

Aussi, combien d'Outreau dissimulés....Le chiffre reste inconnu, mais il existe, certains, comme moi, ont la conviction qu'il augmente car tous les ingrédients de tels débordements sont présents.

Gilles Sainati

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