Ce billet exceptionnellement long est un essai pour donner en partage un petit reportage sur la vie des trottoirs d’un quartier parisien.
Il y a quelques jours, un samedi, j’avais photographié une famille Rrom qui s’était « posée » entre la bouche de métro Chemin Vert et la cabine téléphonique. Depuis le billet que j’avais posté sous le titre « Bien mal abris », je m’étais donné le projet d’un reportage sur ces récentes « installations ».
http://blogs.mediapart.fr/blog/gilles-walusinski/020912/bien-mal-abris
Un ami, m’ayant encouragé, m’avait signalé le chantier de la place de la République et la présence de plusieurs familles.
Après avoir avalé un petit en cas au comptoir, un voyage en métro me conduisait de la porte de Saint-Cloud à la République.
Le voyage est longuet. J’avais emporté un petit appareil que je souhaitais discret. L’idée me vint de quelques portraits « en pieds ». Faire des pieds et des mains des sujets, des évocations dont les couleurs donneraient « de la jambe » aux photographies…
Sorti du métro, je me trouvais devant la République emballée, les platanes empalissadés, et les pavés en tas.
Une « nouvelle place pour tous » dit un panneau de la com’ unicipale. Panneaux roses d’une municipalité rose pour nous faire voir en rose une réduction de l’emprise automobile et ne pas insister sur l’objectif de mieux contrôler les manifestations fréquentes sur cette place emblématique.
Enfin je n’étais pas mécontent de retrouver le quartier de ma petite enfance et les souvenirs attachés aux promenades parisiennes, tenant la main de ma mère. Nous habitions au 32 rue de la Fontaine au Roi. C’était avant la guerre d’Algérie. Les bistrots étaient des bougnats, les livreurs de charbon et de pains de glace déchargeaient encore des voitures à chevaux.
Quittant la place, je m’engageais Faubourg du Temple, sur le trottoir de gauche. On ne se refait pas…
Une femme et ses petits enfants endormis sur un matelas. Une poussette contre le mur de la caserne du Château d’Eau, maintenant Jean Vérine, résistant.
Arrivé au carrefour de la rue de Maltes, j’attrape la conjonction d’une grosse moto se faisant le trottoir, d’un aveugle qui ne pouvait pas percevoir la famille qui profitait des encoignures offrant un léger retrait, abri de fortune ou signe de pauvreté offert par le magasin Go sport local. La pub du skate concourt au petit miracle qui peut donner au photographe l’illusion que la conjonction de plusieurs détails lui permet de raconter quelque chose.
Au coin de la rue de Maltes, un homme aussi endormi qu’emmitouflé profite d’une entrée de magasin condamnée. Derrière les vitres le rayon bicyclette fait face aux Vélib’.
De la rue du Faubourg du Temple, commerçante sept jours sur sept, j’arrive au canal. Aux péniches qui faisaient le spectacle de mon enfance au passage de l’écluse ont succédé des barques à touristes.
Un mât de vidéosurveillance guette, pour le prévenir, l’envahissement des sans abris. Un banc public ayant résisté à la campagne d’éradication qui sévit dans les beaux quartiers permet le repos d’un esse des effes. Dans son sommeil sa main pointe un pack de jus d’orange, une lecture interrompue comme le melon entamé, témoins de la confiance que l’homme accorde à ce lieu longeant le sas de l’écluse.
Je poursuis mon chemin alternant d’une rive à l’autre, d’une passerelle au pont tournant.
J’évite la rue Dieu pour rencontrer rue de Marseille, devant le bureau de poste, une jeune femme de cuir vêtue portant un lourd sac à dos, trainant un caddy chargé de son nécessaire et de celui de ses trois chiens. Son errance s’explique par l’espérance d’un RSA promis qui tarde à venir et par l’attente de son compagnon hospitalisé après qu’un automobiliste l’ait renversé. Elle me confie venir d’Avignon où le soleil ne serait pas meilleur que la bourgeoisie locale pour l’aider à améliorer sa condition.
Imprévu dans l’inventaire de Prévert, un banc peint de rose et de bleu, une borne jaune, un vieux chinois à l’écoute et deux complices pratiquant une informatique subaquatique.
Un candélabre a rougi des tags apposés sur l’assainissement parisien face à la rue de Vinaigriers. Les Garibaldiens s’échinent toujours à célébrer ceux qui donnent leur vie pour la liberté. Mon appareil a la mémoire qui flanche après avoir digéré la fusion d’un pignon peint et d’un graphe sans aucun doute gothique…
Retour forcé à la République à la recherche d’une mémoire vierge. La famille est toujours dans la même situation devant la vitrine Go sport. La femme a posé son ballet rose après un coup de propre sur le trottoir.
Je contourne la place et c’est une autre famille Rrom qui « profite » d’un chantier de bistrot et d’un auvent de banque pour abriter trois enfants, très jeunes, à l’angle du boulevard Magenta. Trois petites photos et je m’en vais prendre le boulevard Saint Martin où j’ai la surprise de retrouver la boutique de farces et attrapes qui était un passage obligé lors des promenades avec ma mère pour honorer l’automate clown qui me faisait signe de sa main mobile. L’automate actuel a grandi en vulgarité.
Avant d’aller reprendre le métro à la station Strasbourg Saint Denis je saisis la conjonction d’une dame à l’écureuil et d’une publicité aguicheuse. C’est juste là, au balcon du trottoir supérieur que mon père s’était acheté son Foca « universel » dans un magasin aujourd’hui disparu. Ses moyens ne lui permettaient pas l’achat d’un Leica dont la réputation était déjà établie.
Enfin rien de mieux que de terminer ce reportage par un hommage aux marronniers !
Note: pour rappel en cliquant sur les photos elles apparaissent agrandies