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Billet de blog 18 mars 2011

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La molette qu'on a dans le dos...

Allez, ma pauvre fille, arrête, regarde toi ! Tu as vu la tête que tu as ? Il serait temps que tu te reprennes en mains…. Depuis le temps qu’on te le dit : prendre les choses moins à cœur, moins t’impliquer, prendre du recul. On te l'aura pourtant dit et répété ! Mieux vaudrait pisser dans un violon, oui ! Mais aujourd’hui, regarde où tu en es.

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Illustration 1
cholet

Allez, ma pauvre fille, arrête, regarde toi ! Tu as vu la tête que tu as ? Il serait temps que tu te reprennes en mains…. Depuis le temps qu’on te le dit : prendre les choses moins à cœur, moins t’impliquer, prendre du recul. On te l'aura pourtant dit et répété ! Mieux vaudrait pisser dans un violon, oui ! Mais aujourd’hui, regarde où tu en es. Tu regardes simplement le JT ou écoutes France Info le matin devant ton bol de café et les larmes se mettent à couler. Ça rime à quoi ? Et ça sert à quoi, surtout ? Non, les tsunamis de tes amis ne sont pas forcément tes tsunamis à toi. Et non, ce qui se passe en Lybie ne te concerne pas…. Tu connais des Lybiens, toi ? Comme demandait, il n’y a pas si longtemps, quelqu’un (pour lequel tu vas peut-être finalement être obligée de voter, qui sait ?) à propos des Lithuaniens…. Qu’est ce que tu en as à battre des Lybiens (ou des Lithuaniens, d’ailleurs), en quoi méritent-ils tes pleurs ? Qu'est ce que tu dis ? Les Ivoiriens ? Mais tout le monde s'en fout, des Ivoiriens ! Ça suffit, reprends toi ! C’est bien gentil de te laisser irradier de « douleur », de « compassion », de « solidarité » ou de je ne sais lequel des grands mots que tu as à la bouche, mais bon, tu ne vis pas non plus dans une centrale nucléaire ! Alors où est le problème…. Personne ne te demande de jouer les kamikaze ! Et si ton ancien patron te l’avait demandé, tu l’aurais fait ? Alors, tu vois bien….

Personne ne te demande rien, d’ailleurs. Et ce serait bien que tu te rendes comptes par la même occasion, que ton ancien métier, tu serais désormais bien en peine de l’exercer. Tu n’as plus ni la distance, ni le recul nécessaire. Et je ne parle pas même de recherche d’un minimum de neutralité. Tu en serais incapable. Tu t’enflammes pour un oui pour un non. Tu es trop véhémente, trop émotive, trop pas-comme-il-faut, quoi…. Ils s’en rendent bien compte, tu sais ! Non, à mon avis, il vaudrait mieux que tu changes ton fusil d’épaule et que tu tentes un recyclage complet ! Quoi ? Oui je sais, à ton âge ce n’est pas facile…. Mais bon, ce n’est pas non plus en restant là, comme une baleine échouée, à pleurer comme une Madeleine que les choses vont s’arranger ! Les larmes, ça finit par creuser des ravines sous les yeux, tu sais ! Et quoiqu’on en dise, ça, aucune crème ne sait le réparer…. On ne remonte pas le temps, ma fille ! Sans compter que si on ne sourit pas assez, l’ovale aussi finit par s’affaisser. Et l’ovale, c’est ce que tu avais de mieux. Et tu le sais. Tu n’auras qu’à t’en prendre à toi si bientôt il ne sera plus cequ’il était.

Et pour le reste, c’est pareil. Es-tu obligée de te mettre à sangloter chaque fois que tu lis un bouquin et que tu as l’impression de te retrouver entre chaque ligne au point d’être persuadée, pauvre imbécile, qu’il n’a été écrit rien que pour toi ? Es-tu obligée d’entrer dans une colère incroyable chaque fois que dans la rue ou dans le métro tu vois une mère gifler son môme ou un homme donner un coup de canne à son chien ? Pourquoi te sens-tu réduite à l’état de flaque chaque fois que n’importe quel galopin ou galopine te glisse à l’oreille quelque chose de gentil ? Pourquoi fais-tu chaque fois un drame quand ta mère te dit que ton lapin aux pruneaux et au Noilly était bien mais un peu trop ceci ou trop cela, ou qu’elle émet simplement l’avis que le Noilly n’apportait rien ? Chaque fois, c’est comme si pour toi la vie s’effondrait et tu te mets à regretter d’être née, mais n’as-tu pas l’impression que c’est totalement disproportionné ? Es-tu obligée de tomber amoureuse comme une midinette chaque fois que quelqu’un te regarde un peu tendrement ? Ou de te mettre à haïr sauvagement quelqu’un d’autre (ou le même) parce que tu trouves qu’il t’aura mal parlé ? Es-tu obligée de te mettre le cœur à l'envers chaque fois que sur le site auquel tu es devenue « addict » (en plus des cigarettes et de la vodka, je dis ça, je dis rien), n’importe quel poète du dimanche pond un billet sur un souvenir d’enfance ou sur un paysage dans la brume qui t’aura particulièrement « bouleversifiée » ? Regarde dans quel état tu te mets….. C’est comme si tu te mettais une cible sur la poitrine avec écrit en gros : « Si vous voulez faire mal, c’est ici, tirez ! » Tu sais, ils seraient cons d'hésiter !

Non, ma fille, je te le dis, tu ne peux pas continuer ainsi. Il est largement temps que tu te mettes à régler la molette qu’on a dans le dos, celle qui permet de moduler le volume et le son, celle qui permet de réguler les colères, les coups de cœur, l’empathie, la répulsion, l’amour, la haine, l’humeur, bref les émotions. Chez la plupart des gens, elle est pré-réglée et nul besoin d’y toucher, mais la tienne part en quenouille et se déboussole tout le temps. C’est cyclique, chez toi, et il y a belle lurette que tu le sais. Mais tu n’as rien fait pour arranger les choses et ne m’en veuille pas si je te dis que tu ne rajeunis pas et que ça n’arrange rien. Résultat, tu es totalement en vrac et plus personne n’ose te demander « Comment ça va ? » de peur que tu te mettes à répondre vraiment.

Regarde. Je t’ai apporté des mouchoirs de Cholet. Les grands, avec des carreaux violets, comme tu les aimais. Ce sera toujours mieux que ce rouleau de Sopalin que tu trimballes de pièce en pièce ou que tu caches au fond de ton sac. Car en plus, il faut que tu le saches, ça finit par irriter les narines et provoquer des rougeurs. Alors, si l’on ajoute les ravines, tu vois le tableau…..

Allez ma fille, reprends toi. Tu me fais honte comme ça. Tu ressembles au Niagara. Il est vraiment temps que tu re-règles la molette. Ou que tu fasses remonter la clef qu’on a dans le dos. Mais tu es sûre qu’il n’y a pas des médicaments pour ça ? Regarde la tête que tu as…. Ça porte un nom, tu sais ! Et ça se soigne très bien, maintenant, il paraît….

© Illustration Mouchoirs de Cholet: Marie-Claire Maison

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