Essayons de répondre sereinement à cette interrogation légitime du secrétaire général de l’UMP, Xavier Bertrand. En effet, depuis quelques jours, on se retrouve la tête à l’envers, et le sol semble se dérober sous les pieds de certains de nos dirigeants. Dans quel monde le dirigeant du principal parti politique accuse-t’il des journalistes disposant d’une carte de presse, dont aucune des informations publiées n’a été démentie jusqu’à aujourd’hui, d’user de méthodes fascistes ? Dans quel monde un représentant d’une organisation de jeunesse, Benjamin Lancar, dresse-t’il un parallèle pour le moins hasardeux entre le journalisme d’investigation et la propagande soviétique stalinienne ? Dans quel monde des députés conservateurs hurlent-ils dans un Hémicycle « Foutez le camp ! Du balai ! » à leurs homologues, accusés par un membre du gouvernement de faire le jeu du populisme d’extrême-droite ?
Les attaques faites à la liberté de la presse sont trop nombreuses, trop haineuses, trop honteuses, pour ne plus être dénoncées avec la plus extrême urgence. Le site d’information Médiapart, et à travers lui tout la presse en ligne, sont vilipendés en place publique par les représentants de notre gouvernement et de sa majorité. Cette presse émergente est pointée du doigt pour ne recueillir que ragots et rumeurs. Faut-il qu’un syndicat de la profession, le SNJ-CGT, rappelle que ces journalistes ne font qu’accomplir le devoir d’informer et d’éclairer les citoyens sur la réalité de la situation dans laquelle nous plonge une partie de nos représentants ? La presse est dans son rôle en révélant les faits qui viennent à sa connaissance. Le tribunal de Paris a reconnu que la publication des écoutes faites au domicile de Mme Liliane Bettencourt relevait «de la publication d’informations légitimes et intéressant l’intérêt général». L’opposition est dans son rôle en interpellant le gouvernement et le président de la République sur les conséquences à donner à ces comportements choquants, qui sont bien au-delà des maladresses présentées par certains.
Albert Camus nous disait : « Un journal, c’est la conscience d’une nation. » Madame Morano préfère-t-elle Minute à Médiapart pour représenter notre République, le premier ayant l’immense avantage de paraître sur papier ? Internet est vu comme le refuge des pourfendeurs de la démocratie, de la République irréprochable promise par Nicolas Sarkozy. Or aujourd’hui, il démontre son rôle de vigie républicaine face à un gouvernement autiste qui refuse d’entendre les tremblements qui secouent notre pays.
La presse ne peut se contenter de publier au frais du contribuable des publi-reportages défendant une réforme des retraites inique, avant même qu’elle ne soit présentée en conseil des Ministres, comme si elle avait déjà force de loi. La presse doit être libre, n’en déplaise à une droite qui souhaiterait la voir docile, après avoir nommé les dirigeants de l’audiovisuel public, après avoir fait pression sur Le Monde, après avoir favorisé les grands groupes industriels propriétaires de groupes de presse privés. La presse est là pour dévoiler les coins sombres de notre monde. La presse doit nous interpeller, nous obliger à nous questionner, à faire la lumière sur les mécanismes de notre société. La presse doit faire frémir le pouvoir pour mieux l’inciter à présenter un langage de vérité et un visage de probité à ses concitoyens.
Albert Londres, ayant dénoncé le comportement de l’empire colonial français dans Terre d’Ebène, rappelait l’éthique journalistique par ces mots simples : « Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. » Notre gouvernement semble l’avoir oublié…
(tribune collective publiée sur www.letempsdesconquetes.fr)