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Billet de blog 20 avril 2015

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Carnet de guerre du Yemen (3) : L’Arabie Saoudite arrose le Yemen de bombes et…de pétrodollars.

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Carnet de guerre du Yemen (3) : L’Arabie Saoudite arrose le Yemen de bombes et…de pétrodollars.

Les trois semaines de frappes aériennes de la coalition emmenée par l’Arabie Saoudite ont comme prévu semé un chaos incommensurable dans tout le pays. Outre les milliers de morts et de blessés, les infrastructures, écoles et hôpitaux détruits, des millions de gens dans le besoin et la malnutrition, les frappes ont eu comme autre résultat de faire prendre les armes à différentes tribus du Yemen qui se sont emparés de différents sites stratégiques, et, comble de l’histoire, à Al Qaida de se renforcer dans le sud, alors même que les américains continuent dans tout ce chaos à mener leurs assassinats ciblés au moyen de leurs drones en exécutant des dirigeants d’Al Qaida. En fait un grand chaos, déjà comparable au chaos libyen, lui même intervenu après une intervention armée franco-américaine.

Mais comment est-il possible de revoir apparaître un  scénario à la libyenne avec si peu de réactions hostiles occidentales à ce nouveau conflit alors que chaque jour est endeuillé par la mort de victimes en méditerranée,  fuyant les guerres d’Irak, de Syrie et de Libye ? Comment expliquer le silence de l’Europe, première destination des millions de réfugiés fuyant les conflits ? Ne serait ce pas sinon le rôle de l’ONU que de tout faire pour éviter une nouvelle guerre ave son cortège d’atrocités et de millions de réfugiés ?

Malheureusement, une fois de plus, l’ONU n’est pas à la hauteur. Dans le conflit Libyen, l’ONU s’était vu totalement décrédibilisée par la Russie et la Chine qui avaient été humiliés, lorsque une résolution onusienne destinée à protéger la population de Benghazi s’est transformée au renversement du régime libyen et à l’assassinat de Khadafi, réduisant à néant leurs investissements en Libye. Dans le cas de la guerre du Yemen, nous assistons à une guerre illégale et illégitime puisque dépourvue de toute résolution de l’ONU, une simple agression d’un pays sur son voisin.

C’est du reste une cacophonie qui règne à l’ONU sur ce conflit yéménite. Mardi passé, après près de  3 semaines de bombardements, aucune demande d’arrêt immédiat des frappes saoudiennes n’a été formulée mais au contraire, une demande d’embargo de livraisons d’armes aux houtis. Le monde à l’envers. Deux jours plus tard c’est Jamal Benomar, le  médiateur de l’ONU pour le Yemen qui venait d’être soutenu et confirmé deux jours plus tôt par le conseil de sécurité qui jette l’éponge, victime de la pression de l’Arabie Saoudite et des Emirats, pour ne pas dire des Etats Unis. Monsieur Benomar était personnellement pour une solution négociée et contre les frappes saoudiennes dès leur premier jour, mal lui en a pris.

 Une fois de plus, sous pression étasunienne, la ligne forte de la guerre et de la suite des bombardements l’emporte sur une voix négociée et pacifiée, une voix pourtant soutenue par de nombreux pays et puissances, telles que la Chine, la Russie, l’Iran, le Pakistan, la Turquie, l’Algérie, la Tunisie, Oman, le Liban.

Du côté des guerriers belliqueux on retrouve évidemment en tête de gondole l’Arabie Saoudite qui vient de refuser un plan de paix iranien, avec sa coalition sunnite au rabais composée des Emirats, de Bahrein, du Koweit et du Qatar, auxquels il faut rajouter le Soudan, le Maroc, la Jordanie et l’Egypte. Sans évidemment oublier le soutien essentiel américain qui participe aux forces de commandement et continuent, comme on l’a mentionné, de mener leurs assassinats ciblés, et le soutien plus discret des français et britanniques. Français qui ont quand même officialisé leur soutien à l’Arabie Saoudite par un voyage de Fabius à Ryad il y a dix jours.

 Mais de manière générale, pas de voix européenne pour dénoncer une nouvelle guerre alors même que des milliers de réfugiés affluent chaque jour et que des drames terribles se passent dans une indifférence crasse. L’impuissance européenne face au drame de cette immigration forcée résultant des multiples conflits du Moyen Orient peut se résumer aux propos de Monsieur Hollande qui d’un raccourci surprenant met la faute sur les passeurs d’immigrés en les traitant de « terroristes », terme déjà tant galvaudé. La vérité est que l’Europe ne met pas les moyens financiers pour mettre fin à ces drames, elle met la faute sur les pays d’où proviennent les embarcations de "fortune".

 Ce manque de moyens choque par rapport aux moyens infinis de l’Arabie Saoudite pour cette nouvelle guerre du Yemen. Les pétrodollars font en effet partie intégrante de la stratégie des saoudiens qui du reste ne s’en cachent pas : non seulement la guerre va leur coûter des milliards pour leur déploiement militaire mais ils ont annoncé ce week-end qu’ils verseront 270 millions d’aide humanitaire suite à leurs destructions du pays, du genre « on est cool, on détruit tout votre pays, mais on vous envoie à bouffer et un peu de mercurochrome. »

 Mais ces 270 millions ne sont que la partie cachée de l’iceberg, la stratégie saoudienne et bien d’arroser de pétrodollars n’importe quel chef de tribu sunnite ou chiite qui serait d’accord de tourner sa veste pour ne plus donner son soutien aux rebelles Houtis et leurs alliés mais au président Hadi exilé à Ryad. Une technique éculée qui visiblement a l’air de « marcher », certains chefs ont commencé à changer de camps, mais cette tactique est des plus dangereuses, ces alliances sont faibles et peuvent se retourner à n’importe quel moment, elles ne font en plus qu’augmenter le flots d’armes sur le Yemen, et donc qu’ancrer un conflit dans la durée, avec son lot de traîtrises, représailles, et comme résultat assuré, de laisser la population yéménite dans un désarroi total, favorisant la radicalisation, un cercle vicieux.

Last but not least, cette guerre coûteuse vient plomber les économies des monarchies du Golf au pire moment puisque tous ces Etats de la péninsule arabique devenus guerriers voient leur économie déjà menacée par l’effondrement des prix du pétrole. Une guerre trop longue pourrait avoir des répercussions irréversibles sur ces économies  fortement basées sur le pétrole, Arabie Saoudite y compris, tout le monde se souvient de la quasi faillite de l’émirat de Dubaï de 2009 sauvé in extremis par Abu Dhabi et l’Arabie Saoudite a du reste déjà commencé à puiser dans ses réserves depuis le début de l’année, avant le début de l'agression sur son voisin.

Le coup de trop pour le régime des Saouds ? En tout cas un sacré coup de poker...

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