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Billet de blog 19 mars 2008

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Sidérurgie, la fin de l'euphorie

L’annonce de la hausse du prix du minerai de fer pour l’année 2008 a certes mis en évidence l’anachronisme du procédé de négociation mais aussi, à nouveau, l’éclairage sur l’industrie sidérurgique. Après cinq années « incroyables », la sidérurgie mondiale, mais encore plus l’européenne, pour autant que la nationalité ait encore une signification dans cette ère de mondialisation, se trouve face à trois menaces témoins des multiples facettes de la mondialisation et de ses conséquences

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’annonce de la hausse du prix du minerai de fer pour l’année 2008 a certes mis en évidence l’anachronisme du procédé de négociation mais aussi, à nouveau, l’éclairage sur l’industrie sidérurgique. Après cinq années « incroyables », la sidérurgie mondiale, mais encore plus l’européenne, pour autant que la nationalité ait encore une signification dans cette ère de mondialisation, se trouve face à trois menaces témoins des multiples facettes de la mondialisation et de ses conséquences : l’hyperpuissance de l’oligopole des mineurs de fer, la surcapacité potentielle chinoise et la mise en œuvre non maîtrisée du protocole de Kyoto. Cette industrie étant, et restant, cyclique il convient de ne pas se fier à l’euphorie actuelle et à la tendance naturelle à l’amnésie pour en analyser les conséquences.
Le coût des matières premières est, avec celui de la main d’œuvre, un des éléments essentiels de la compétitivité d’un sidérurgiste. Les Européens importent la quasi-totalité du minerai de fer et du charbon ce qui n’est pas le cas de certains exportateurs(Russie et Ukraine). Au contraire des hydrocarbures les réserves de minerai de fer sont pléthoriques (déjà plus de six siècles connues).Les trois sociétés principales (Vale, Rio Tinto et BHP) représentent environ 70% du commerce international (hors aciéristes avec mines intégrées). Après une stabilité, en dollars, pendant les années 1980-2000, le prix du minerai sera en 2008 près de quatre fois celui fixé pour 2004.La consommation totale a certes augmenté de près de 50% pendant la même période mais quasi exclusivement à destination de la Chine qui représente aujourd’hui la moitié de ce commerce. Rien ne justifie l’ampleur (65%) de la hausse de 2008, au contraire du charbon à coke, si ce n’est la puissance de l’oligopole vis-à-vis d’une sidérurgie encore trop fragmentée. Toutes les tentatives pour permettre l’entrée de nouveaux mineurs en Australie ou en Afrique ont été de fait étouffées par les acteurs existants .Dans ces conditions l’OPA de BHP sur Rio Tinto est inacceptable car elle créerait un duopole encore plus puissant. On ne peut pas attendre de réactions de la part des USA qui n’ importent pas de minerai .La Chine ,première concernée,a des difficultés à agir même si l’entrée de son « Cheval de Troie »dans le capital de Rio Tinto peut inhiber le processus en cours. Face à cette menace, comme elle l’a fait naguère pour le projet de fusion entre GE et Honeywell, la Commission Européenne se doit de réagir même s’il ne s’agit pas de sociétés réellement européennes.
L’Europe est la région du monde la plus ouverte aux importations d’acier. Ce n’est pas tant la variation de volume concerné que l’information sur les prix,souvent de dumping, proposés par les exportateurs qui ,lors des inversions de cycle,entraîne l’effondrement des marchés. La sidérurgie mondiale vient de connaître ses « sept glorieuses » .La production d’acier a augmenté de 59% entre 2000 et 2007(celle de la Chine ayant quadruplé et représentant les trois quart de cette croissance).C’est au rythme de 21% par année que la Chine a progressé contre 2,5% pour le reste du monde .Sa consommation par habitant (340 kg)est désormais voisine de celle de l’Europe à 27.Cette position est tout à fait « anormale » compte tenu des PNB respectifs. Elle est devenue en 2006 le premier pays exportateur (10% de sa production) même s’il s’agit de produits essentiellement bas de gamme. La Chine n’a pourtant aucun avantage concurrentiel sensible en coût. La fin du boom olympique est proche et même en Chine les arbres ne montent pas jusqu’au ciel. Elle se trouve aujourd’hui dans la situation de la CEE (CECA) à la fin des années 70 avec un marché mature, une surcapacité potentielle dont une part non négligeable d’installations obsolètes et un contrôle par l’Etat, ou plutôt les provinces, qui fait passer les réalités économiques au second plan. Faute à trouver rapidement un Davignon chinois l’inversion de cycle qui fatalement se produira tôt ou tard se transformera en tsunami malgré l’amélioration de la conduite des autres acteurs. L’Inde, avec son potentiel à long terme, n’est pas prête aujourd’hui à prendre le relais pour la croissance de la consommation mondiale d’acier. Comme d’habitude ce ne sera pas tant sur les volumes mais sur l’effondrement des prix de vente mondiaux que les effets seront ressentis. Ce phénomène sera amplifié ,pour l’Europe, par la fin des accords volontaires de limitation d’ exportation en provenance de l’Ukraine et de la Russie(respectivement deuxième et troisième exportateurs mondiaux) liée à leur entrée dans l’OMC .On connaît l’arsenal des mesures de protection américaines .Sauf à une prise de conscience et un changement de vitesse de réaction de la Commission Européenne c’est toute la sidérurgie européenne qui serait submergée par cette vague dévastatrice à des prix hors marché. La consolidation de l’industrie chinoise et le changement de position des autorités sur la possibilité de contrôle des actifs par des sociétés étrangères sont des mesures urgentes que la Commission Européenne se doit d’encourager sinon de faire imposer.
La localisation des perturbations climatiques n’est pas forcément celle où l’augmentation des gaz à effet de serre se produit. Le phénomène est donc mondial et doit être géré mondialement même s’il doit, certes, prendre en compte la situation des pays en voie de développement. L’absence de consensus ne doit pas être une excuse pour ne pas agir mais l’angélisme est dangereux pour l’industrie européenne. La sidérurgie, grande consommatrice de charbon, représente environ 6 à 7% de la production mondiale de gaz à effet de serre. L’Europe est un «bon élève »aussi bien en absolu qu’avec, par exemple pour la France, une baisse de près de 20% par rapport à l’année 1990 référence du protocole de Kyoto. Ces progrès résultent à la fois de l’amélioration du contrôle des hauts-fourneaux et aussi du développement du four électrique avec l’utilisation intensive de ferrailles. Par ailleurs, en partenariat avec ses clients constructeurs automobiles, elle a développé de nouveaux aciers qui permettent, tout en améliorant la sécurité des passagers, d’alléger les véhicules et donc leur consommation énergétique. Elle a aussi, avec l’aide de la Commission, initier un programme ambitieux visant à diviser par deux à long terme la production de CO2. Mais les nouveaux objectifs envisagés par la Commission, et leur calendrier constituent, à travers le marché des permis, une menace majeure. En effet à 30€ /t de CO2 (voire beaucoup plus à terme) c’est un handicap de 60€ /tonne d’acier que les producteurs européens auraient à supporter soit de 10 à 20% du prix de vente selon les produits. Les exportateurs vers l’Europe ,majoritairement non concernés car non signataires, produisent en général beaucoup plus de gaz à effet de serre, par suite de performances techniques médiocres, auquel il convient d’ajouter celui du supplément de transport. Cette distorsion de concurrence qui aboutirait à l’inverse du but visé doit être prise en compte par les autorités européennes. Faute de rêver à un système mondial le concept d’ « acier vert » et d’une taxe équivalente pour les importations en provenance des pays non signataires est une solution équitable dont on sait qu’ elle n’est pas bien perçue par la Commission .Son devoir est, sauf à accepter de biaiser la compétition, d’en étudier le principe. Elle doit aussi continuer, voire accélérer, à encourager le grand projet de recherche européen ULCOS, initié avec la plate forme technologique acier et les producteurs, afin d’obtenir plus rapidement les ruptures nécessaires dans les procédés d’élaboration de l’acier.
La profession sidérurgique a beaucoup évolué durant cette dernière décennie. Elle a commencé sa consolidation,drastiquement réduit ses coûts,investi en R§D et s’est sensibilisé au développement durable. Mais ces trois menaces dépassent son champ d’action. La mondialisation a besoin de règles. Bien souvent elles existent mais les organismes de contrôle,même en place, sont soit inadaptés soit trop lents pour être efficace. Face à ces trois menaces l’OCDE a démontré, lors des dernières discussions, son inefficacité à progresser confronté à l’égocentrisme des parties. La vitesse de réaction de l’OMC,sans en nier l’utilité, n’apporte pas de solution adaptée aux crises .Il y a peu à attendre des autorités américaines dont les producteurs considèrent que l’arsenal existant,malgré une utilisation souvent injustifiée,ne saurait être amendé. La Chine est dans une position inconfortable. C’est donc la Commission Européenne qui a dans ce cadre un rôle capital à jouer non pas au titre du protectionnisme mais de l’ équité .En a-t-elle la possibilité légale ?Evidemment oui. En a-t-elle la volonté ? Voilà une bonne question ….

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