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Billet de blog 11 août 2015

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Charte des langues régionales : ce qu'a déjà signé la France

Pour tenter de sortir des batailles de grandes déclarations de principes où s'affrontent les arguments favorables et défavorables à la Charte des langues régionales et minoritaires, il m'a semblé utile d'aller voir au plus près des textes quelles étaient les positions tenues par la France en ce qui concerne l'application de la Charte à la justice, aux services publics et à la vie sociale.

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Pour tenter de sortir des batailles de grandes déclarations de principes où s'affrontent les arguments favorables et défavorables à la Charte des langues régionales et minoritaires, il m'a semblé utile d'aller voir au plus près des textes quelles étaient les positions tenues par la France en ce qui concerne l'application de la Charte à la justice, aux services publics et à la vie sociale.

La Charte des langues régionales et minoritaires est disponible en VF sur le site du Conseil de l'Europe:
http://conventions.coe.int/treaty/fr/Treaties/Html/148.htm

La liste complète des articles et alinéas signés par la France est accessible sur le site du Conseil de l'Europe:
http://conventions.coe.int/treaty/Commun/ListeDeclarations.asp?NT=148&CM=1&DF=&CL=FRE&VL=0

Les engagements pratiques
La partie III de la Charte détaille l'organisation graduée des engagements, dans les domaines de l'enseignement (art. 8), de la justice (art. 9), de l'administration et des services publics (art. 10), des médias (art. 11), de la culture (art. 12), de la vie économique et sociale (art. 13).
Chaque engagement dispose d'une échelle d'application (les clauses « ou »), où le niveau maximal est le bilinguisme institutionnel intégral.
Selon l'art. 2 § 2, un État peut décider d'appliquer une partie seulement de ces dispositions (au moins 35 articles répartis précisément). Cependant, aucun de ces articles n'est censé pouvoir faire l'objet de quelque réserve d'interprétation que ce soit (art. 21). Pour mémoire, le Conseil d'État vient de rendre un avis défavorable au projet de loi constitutionnelle qui conditionne la ratification française de la Charte à l'ajout de réserves d'interprétation, au motif que ces dernières introduisent une incertitude juridique.
Lors de la signature de la Charte en 1999, la France a choisi de s'engager sur 39 des 98 dispositions que compte la Charte, sur certains alinéas, assez souvent peu contraignants.

Sous réserves de modifications d'ici la ratification éventuelle, ces engagements seront donc ceux qui s'appliqueront. A toutes fins utiles, il convient de rappeler qu'une fois qu'il a ratifié la Charte, un État a tout loisir de modifier « à tout moment » (art. 3 § 2) le nombre et le choix de ces articles.
Engagements en matière de justice, services publics et vie sociale
On rappellera que les dispositions de la Charte qui permettent d'ester en justice (art. 9 § 1 et 9 § 2), de dialoguer avec les services publics (l'essentiel de l'art. 10) ou de rédiger des contrats de travail (art. 13 § 1 a) en langue régionale sont contraires à la Constitution, qui déclare le français comme seule langue des institutions.
En revanche, les seuls engagements faibles signés par la France en ce qui concerne l'application de la Charte à la justice (art. 9 § 3) et à l'administration (art. 10 § 2 c, d, g) et à la vie sociale  (13 § 1 b, c, d, et 13 § 2 b, e) se limitent à un minimum qui, tel quel, a été déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel.
Justice, loi et services publics
Voici le texte intégral des dispositions signées par la France en ce qui concerne les articles 9 et 10 :
Article 9 (Justice et loi)
9.3 Les Parties s'engagent à rendre accessibles, dans les langues régionales ou minoritaires, les textes législatifs nationaux les plus importants et ceux qui concernent particulièrement les utilisateurs de ces langues, à moins que ces textes ne soient déjà disponibles autrement.
Article 10 (Administration et services publics)
10.2. En ce qui concerne les autorités locales et régionales sur les territoires desquels réside un nombre de locuteurs de langues régionales ou minoritaires qui justifie les mesures ci-après, les Parties s'engagent à permettre et/ou à encourager:
    c) la publication par les collectivités régionales des textes officiels dont elles sont à l'origine également dans les langues régionales ou minoritaires;
    d) la publication par les collectivités locales de leurs textes officiels également dans les langues régionales ou minoritaires;
    g) l'emploi ou l'adoption, le cas échéant conjointement avec la dénomination dans la (les) langue(s) officielle(s), des formes traditionnelles et correctes de la toponymie dans les langues régionales ou minoritaires.
    
Les locuteurs des langues régionales ne seront donc pas autorisés à s'adresser aux autorités administratives dans leur langue, ni par écrit ni oralement. Aucune procédure pénale, civile ou administrative ne pourra être menée dans une langue régionale, et les actes liés à ces procédures devront être rédigés en français. Si les textes législatifs les plus importants pourront être traduits dans une langue régionale, seule la version officielle en langue française fera foi. On pourra avoir des textes bilingues, mais pas de textes publics monolingues rédigés directement dans une autre langue que le français. Dans le domaine administratif et les services publics, la France autorisera la publication en langues régionales par les collectivités locales de textes dont elles sont à l'origine.
Vie économique et sociale
En l'état, les républicains inquiets du potentiel de « communautarisation » des relations avec la justice et l'administration pourraient donc se voir rassurés. En revanche, on peut s'interroger sur les engagements choisis dans l'article 13 qui concernent la vie économique et sociale (13 § 1 b, c, d, et 13 § 2 b, e), notamment sur la régulation des actes privés, et dont voici le texte intégral:
Article 13 (Vie économique et sociale)
13.1. En ce qui concerne les activités économiques et sociales, les Parties s'engagent, pour l'ensemble du pays:
    b) à interdire l'insertion, dans les règlements internes des entreprises et les actes privés, de clauses excluant ou limitant l'usage des langues régionales ou minoritaires, tout au moins entre les locuteurs de la même langue;
    c) à s'opposer aux pratiques tendant à décourager l'usage des langues régionales ou minoritaires dans le cadre des activités économiques ou sociales;
    d) à faciliter et/ou à encourager par d'autres moyens que ceux visés aux alinéas ci-dessus l'usage des langues régionales ou minoritaires.
    
13.2. En matière d'activités économiques et sociales, les Parties s'engagent, dans la mesure où les autorités publiques ont une compétence, dans le territoire sur lequel les langues régionales ou minoritaires sont pratiquées, et dans la mesure où cela est raisonnablement possible:
    b) dans les secteurs économiques et sociaux relevant directement de leur contrôle (secteur public), à réaliser des actions encourageant l'emploi des langues régionales ou minoritaires;
    e) à rendre accessibles dans les langues régionales ou minoritaires les informations fournies par les autorités compétentes concernant les droits des consommateurs.
Malgré la difficulté à tourner en langage clair cette prose particulière, il me semble que « s'engager à interdire toute clause excluant » l'usage d'une langue régionale dans un règlement interne, ce n'est pas « s'engager à encourager » la protection d'une pratique, c'est « s'engager à obliger un contractant à accepter » un usage qui exclut de facto des personnes – et qui encourage donc une forme de ségrégation en entreprise.

Edité le 11/08: corrections mineures

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