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Billet de blog 13 août 2012

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Attendez que Bourguiba meure !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

À la veille de la nuit du destin, dans ce 25ème jour de ramadan,  je songe au jour béni du 13 août 1956 en Tunisie. Le jour de la promulgation du Code du Statut Personnel. Habib Bourguiba osa abolir la polygamie, la répudiation, instaurer le mariage par consentement mutuel et légaliser le divorce, l’avortement et la contraception. C’était l’année de l’indépendance et la première journée nationale de la femme. C’était l’été où le combattant suprême  inscrivit dans la loi le droit de la femme à l’égalité, au vote, à l’éligibilité et la fit entrer de plain-pied dans la modernité. Elle participera à l’avenir, à la construction du jeune pays.

 Souvent en Tunisie, j’ai entendu des hommes dire aux femmes, mi-blagueurs, mi-sérieux : « Attendez que Bourguiba meure ! » (Stana yamoute Bourguiba !)

Bourguiba est mort (6 avril 2000) destitué de tout pouvoir par son Premier ministre, le général Ben Ali (7 novembre 1987). Il a fondé la Tunisie moderne, éduquée et légué de grands acquis aux femmes. Il a également laissé en héritage le régime du parti unique et la dictature.

Bâtir une société progressiste dans une autocratie n’est guère une promesse de bonheur durable. La liberté y est incertaine et tremblante. Promulguer des lois avant-gardistes et aliéner du même pas, la parole et la pensée ; c’est construire à rebours de l’émancipation. Semer la frustration, l’arbitraire et faire le lit des fanatismes.

Puis en 2011, a surgi la révolution du peuple, de tous les espoirs ; débusquant le totalitarisme et permettant des élections libres qui ont porté au pouvoir le parti Ennahdha.

Et le mois d’août des femmes tunisiennes entra dans l’hiver. Insidieusement, jour après jour, les islamistes s’infiltrent dans tous les rouages de l’État, resserrent l’étau autour des espaces publics et s’ingénient à restreindre la liberté des femmes. Farida Labidi, députée Ennahdha et présidente de la commission Libertés et droits, a declaré: “ il n'y a pas d'égalité absolue entre l’homme et la femme.” Un projet de loi remettant en question l’égalité des sexes et réduisant la femme à un complément de l’homme, a mis le feu aux poudres : « l’État assure la protection des droits de la femme, de ses acquis, sous le principe de complémentarité avec l’homme au sein de la famille et en tant qu’associée de l’homme dans le développement de la patrie. »

Pétitions, manifestations, contestations en ligne, dans les médias, sit-in… La lutte des femmes tunisiennes s’organise et s’amplifie.

Le 13 août, elles seront des centaines, des milliers à marcher, à crier dans les rues de la Tunisie.  Pour que vive leur Code du Statut Personnel dans la nouvelle Constitution.

Au chef islamiste Rached Gannouchi, grand détesteur de Bourguiba devant l’Éternel, aux voix de crécelle qui glorifient le patriarcat, les Tunisiennes diront en choeur: “Stana yamoute Bourguiba!”; parce que l’héritage lumineux de Bourguiba ne mourra pas.

 Je lirai au président Moncef Marzouki, allié des islamistes et jadis grand opposant éclairé, le poème, La Nuit d’août d’Alfred de Musset.

 Hélas ! mon bien-aimé, vous n’êtes plus poète.

Rien ne réveille plus votre lyre muette ;

Vous vous noyez le cœur dans un rêve inconstant ;

 (…)

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