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Billet de blog 18 avril 2014

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Le père Noël Valls

Le père noël des riches est donc passé lors du discours de politique générale prononcé par le premier ministre. Il a confirmé les 50 milliards d'euros d'économies et précisé qu’elles viendraient pour 18 milliards de l'Etat et ses agences, pour 21 milliards de la protection sociale, et pour 11 milliards des collectivités locales. L’objectif est de réduire les déficits, ainsi que d’alléger le coût du travail à 30 milliards d'euros d'ici à 2016.

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Le père noël des riches est donc passé lors du discours de politique générale prononcé par le premier ministre. Il a confirmé les 50 milliards d'euros d'économies et précisé qu’elles viendraient pour 18 milliards de l'Etat et ses agences, pour 21 milliards de la protection sociale, et pour 11 milliards des collectivités locales. L’objectif est de réduire les déficits, ainsi que d’alléger le coût du travail à 30 milliards d'euros d'ici à 2016. Ce faisant le père Noël des riches,  suit deux objectifs : (1) donner encore un peu plus aux actionnaires, en espérant que ces derniers auront la gentillesse d’investir en France une petite part du magot qu’on leur file, (2) faire mine de rembourser la dette pour maintenir bas les taux d’intérêt. Je vais montrer que ce soit disant pacte de responsabilité vise surtout à prendre aux pauvres (salariés, chômeurs, fonctionnaires) pour donner aux riches (actionnaires des multinationales).

Prendre aux pauvres…

Commençons par le plus simple, en quoi ce pacte de responsabilité prend aux plus démunis. L’état et ses agences vont donc diminuer de 18 milliards ses dépenses : gel du point d’indice des fonctionnaires et mise à la diète des dépenses de ses agences. Qui va être touché par ces mesures? Rappelons d’abord que les jeunes qui entrent dans la fonction publique sont très mal payés : 1753[1] euros pour un professeur des écoles après deux ans d’ancienneté, 2300 euros pour un chercheur après 10 ans d’ancienneté. Rappelons que les ouvriers et employés de la fonction publique d’état touchent en moyenne 1844 euros, alors que ceux de la fonction publique territorial ne gagnent que 1583 euros[2]. Depuis 2001, un professeur agrégé a perdu 5,7 points de pouvoir d'achat et un policier 1 point[3], et encore ces chiffres qui tiennent compte de l’inflation calculée selon l’INSEE sont largement sous estimés du fait de l’augmentation des dépenses contraintes : logement, énergie, transport. Par exemple, entre 2000 et 2010, les prix des logements anciens ont plus que doublé, alors que les loyers ont augmenté de près de 30%[4]. Mais la fonction publique c’est aussi près de 15% de contractuels. Ces précaires vont être évidemment les premiers touchés par cette cure d’amaigrissement. Le pacte de Valls va donc accentuer l’appauvrissement et la précarité des agents de l’état et des collectivités territoriales. Or ceux ci, loin d’être les parasités tant décriés sont souvent pauvres. On peut parler désormais d’un prolétariat intellectuel qui dans les universités ou les écoles devient la règle.

Les effectifs vont aussi être touchés, or les services publics devront être assumés : soins, enseignement... Faire les mêmes tâches avec moins de moyens humains et matériels, passent en général par des mutualisations et réorganisations, qui entraînent toujours de la souffrance au travail,. Les cures des années Sarkozy ont déjà produits dans de nombreux secteurs de la fonction publique ou de ces agences leur lot d’épidémies de suicide et de souffrance au travail (ONF police, recherche, éducation nationale…aucun secteur n’est touché).

Mais il y a bien plus grave, le service public est en général ce qui permet de réduire les inégalités sociales et s’attaquer à lui c’est évidemment s’en prendre à ceux qui n’ont pas de capital financier ou culturel. Qui a le plus besoin d’enseignants : le fils des quartiers chics ou le gamin des cités ? Qui a le plus besoin d’une université accessible à toutes et tous ? Faut il rappeler que même en venant des zones urbaines sensibles avoir un diplôme universitaire divise la probabilité d’être au chômage par 2.3[5] (mais ce ratio est de 2.6 pour les autres) ! Qui a besoin de pôle emploi, le pauvre ou le riche ? Les réponses sont dans les questions. Ces économies démoliront encore un peu plus le peu de services publics qui nous restent, héritages de nos luttes passées. Les pauvres auront moins de droits, alors que les plus riches auront eux les moyens de payer ces services qui ne seront plus publics.

Venons en à la protection sociale. Il va falloir économiser 21 milliards d’euros. Les pauvres auront le droit à des hôpitaux publics en lambeaux, tandis que les riches bénéficieront de superbes cliniques avec des dépassements d’honoraires scandaleux. Les inégalités sont pourtant déjà fortes, un cadre ayant à 35 ans, une espérance de vie supérieure de 6 ans à celle d’un ouvrier. Mais notre système de santé est il si couteux de que cela ? Les dépenses de santé correspondent à 12% en 2012 du PIB, alors qu’elles sont de 18% aux USA et similaires au Canada, Allemagne, Pays Bas, Danemark, Belgique. Elles sont certes plus faibles en Suède, Norvège, Finlande (9%). Ce qui plombe notre protection sociale, c’est d’abord les exonérations de « charge » d’une part et d’autre part le poids du privé. En effet, rappelons que la répartition des dépenses de santé en France est la suivante : Hôpital public (30%), clinique privée (10%), soins de ville et transports (22%), médicaments (16%). Or le poids du secteur privé ne cesse d’augmenté, les dépenses de santé de l’Hôpital public ont augmenté de 4.5% par an entre 2000 et 2012, celle des cliniques privés de 5.6% par an, ce qui correspond à un transfert de 2 milliards d’euros du public vers le privé. Augmenter les impôts sur les cliniques privées et les salaires de leurs praticiens, ou créer un service public du médicament seraient bien plus utiles que comprimer les dépenses de l’hôpital public et dérembourser les médicaments.

Pour donner aux riches…

En 2011, le Figaro titrait « Les exonérations de charges ont bondi de 55% en 9 ans, ce qui correspondait pour la seule année 2010 à 30 milliards d’euros". De leur côté, les économistes atterrés expliquent dans leur analyse du pacte de responsabilité : « la France mène depuis plus de vingt ans des politiques de baisse des cotisations sociales employeurs : leur poids dans la valeur ajoutée des sociétés a baissé de 18,2% en 1992 à 16,7% en 2012»[6]. Et qui compense le manque à gagner ? L’état à 90%, donc nos impôts payent les exonérations qui elles majoritairement ont profité à qui ? Aux actionnaires et aux patrons dont les dividendes n’ont jamais cessé d’augmenter.

Cette politique de transfert des plus pauvres (blocage de leur salaire directe, diminution de leur salaire différés : retraites, sécurité sociale…) vers les plus riches n’est donc pas nouvelle. On assiste en fait depuis 1983 à un formidable hold up des capitalistes français sur les richesses produites par les salariés. Commençons par tordre le coup à ce qui sous tend toute l’argumentation de la droite de le Pen à Valls : les riches se portent très bien en France et l’économie française n’a pas de problème de « coût » du travail. Regardons la figure centrale du livre du Piketty intitulé « le Capital au XXIème siècle). Entre 1870 et 1900, la part des patrimoines (tout type de capital confondu) correspondait à 7.2 fois le revenu national en France, alors que ce chiffre était de 6 en GB et en Allemagne.  Ce ratio va tomber à 2 en France (mais 1.8 en Allemagne) après les deux guerres mondiales et surtout la révolution russe, évènements qui ont rebattu les cartes de la lutte de classes dans le monde au profit des salariés, contre ce qu’il est convenu d’appeler les rentiers. Ce ratio va repartir à la hausse partout avec une inflexion très forte en France dans les années 1990. En 2010, c’est de nouveau en France où le patrimoine est au plus haut par rapport au revenu national. Cet accroissement de capital indique bien que les riches français se sont bien plus vite enrichis que leurs confrères allemands et anglais.  

En France la part des profits dans la valeur ajoutée est de 32%, ce qui est déjà énorme. Les dividendes versés aux actionnaires par les entreprises du CAC40 ont fluctué depuis 2008 entre 35 et 41 milliards d’euros et on veut leur donner 30 milliards de plus ! Aller comprendre. Pour prendre conscience de l’étendue du scandale de ce hold up de nos richesses, je finirais par un exemple sur l’industrie agroalimentaire. Le cabinet d’audit, PROGEXA, dans son rapport sur la filière alimentaire en France, secteur en « crise »,  conclue de la manière suivante :

« Conséquence directe de la baisse des effectifs[7] et de la hausse des ventes, la productivité du secteur a progressé de 6,4% entre 2009 et 2012. Avec une productivité en hausse, les entreprises du secteur ont réussi à conserver un niveau de dividendes représentant plus de 10% de la valeur ajoutée[8]. Ramenés à chaque salarié des industries agroalimentaires,  les dividendes versées en 2012 se montent à 647€/mois en moyenne, soit environ 58% du SMIC »…cela se passe de commentaires non!

Finissons par le second argument invoqué par nos chères classes dirigeantes, qui travaillent pour le mieux pour les plus riches : il faut réduire la dette pour « retrouver des marges de manœuvre »! De nombreux articles ont été rédigés sur cette escroquerie que constitue le débat sur la dette publique, je fais donc juste revenir sur quelques points. Ce qui est important dans les histoires de dettes c’est de savoir qui est endetté, pourquoi il a fallu s’endetter et qui est le détenteur de la dette. D’abord l’endetté, ce n’est pas un particulier mais l’état français qui peut par conséquent s’il recouvre le pouvoir sur la banque centrale, dévaluer la dette[9] et lever l’impôt le cas échéant pour la payer. D’autre part, l’origine de la dette vient : (i) de la dépense exceptionnelle après 2007 pour renflouer les banques pour sauver les profits exorbitants et sans fondement des plus riches, (ii) du manque à gagner en termes de recettes dues aux exonérations ou niches fiscales qui protègent encore une fois les plus riches ! Enfin à qui appartient la dette ? Et bien c’est facile: pas à ceux qui n’ont que leurs salaires pour vivre, mais bien à ceux qui vivent des rentes de leur capital. Si on arrête de payer la dette, on ne fera que rendre aux salariés l’argent que les plus riches et les rentiers leurs ont volés depuis 30 ans

Au moins avec Valls les choses sont claires, la guerre de classe est ouvertement déclarée. Nous n’avons plus qu’à faire mentir le multimillionnaire Warren Buffet qui écrivait récemment : «Bien sûr que la lutte des classes existe. Mais c’est la mienne, celle des riches qui a commencé cette lutte et qui est en train de la gagner.

Hendrik Davi, Avril 2014


[1] http://www.education.gouv.fr/cid1052/professeur-des-ecoles.html

[2] http://www.inegalites.fr/spip.php?article1740

[3] http://www.journaldunet.com/economie/magazine/enquete/pouvoir-achat-fonctionnaires/1-pouvoir-achat-policier-magistrats-professeurs.shtml

[4] http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1350

[5]http://www.inegalites.fr/spip.php?article314&id_groupe=10&id_mot=119&id_rubrique=6

[6]http://www.atterres.org/sites/default/files/Note%20pacte%20de%20responsabilit%C3%A9%2C%20un%20pacte%20irresponsable.pdf

[7] c’est à dire les licenciements massivement intervenus depuis 2008

[8] ce qui est bien moins fort que la moyenne (cf plus haut)

[9] En produisant de la monnaie, ce qu’à fait la BCE mais au profits des banques mais pas des états

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