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Billet de blog 18 septembre 2015

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EST IL PERTINENT D'ETRE RAISONNABLE?

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S'il y a un enseignement à tirer du projet de loi MACRON, c'est bien que le pire n'est jamais certain.

En effet, après de multiples projets du projet de loi tous aussi incohérents les uns que les autres, le gouvernement a finalement fait passer, à force d'un triple 49.3, sa loi pour la croissance,  l'activité, et l'égalité des chances économiques.

Nous avions alors relevé dans un précédent billet (http://blogs.mediapart.fr/blog/hugues-lemaire/100815/loi-macron-le-piege-des-decrets-dapplication) les pièges que s'était lui-même tendu le gouvernement pour la rédaction des décrets, mais jamais nous n'avions imaginé que l'on puisse aller aussi loin dans l'absurdité.

Au titre du tarif, nous avions relevé l'incohérence qu'il y a à vouloir fixer un tarif tenant compte du coût pertinent de l'acte, assorti d'une rémunération raisonnable ( le projet de décret vise maintenant une rémunération raisonnable moyenne), dès lors que d'une part la notion de coût pertinent de l'acte est antisociale pour de nombreux actes, et que d'autre part la notion de rémunération raisonnable est une notion à géométrie variable.

La notion de coût pertinent est antisociale car elle conduit obligatoirement à augmenter de façon importante les coût d'actes courants, indispensables pour certains dossiers, et ce quelque soit le patrimoine des clients. Il en est ainsi de l'acte de notoriété après décès, dont le prix de revient pour le professionnel est bien supérieur aux 58€ que lui alloue le tarif.

La notion de rémunération raisonnable est une notion à géométrie variable, car qui peut déterminer ce qu'est la rémunération raisonnable (devenue moyenne, histoire d'être sûr d'atteindre l'objectif) d'un professionnel tenu à garantie sur ses deniers personnels, et garant de ses confrères de la même façon?

Nous avions donc craint que les décrets pris en application de cette loi ne soient totalement déconnectés de la réalité et, sur ce point, le gouvernement ne nous a pas déçus par son premier projet.

En effet, l'article R 444-10 du Code de Commerce, dans le projet, précise que le tarif est fixé "en sorte que le chiffre d'affaires annuel moyen prévisionnel hors remise d'un professionnel de la profession concernée soit égal à la somme des coûts pertinents et de la rémunération raisonnable moyenne", celle-ci étant définie par l'article R 444-12 "comme la somme d'un objectif annuel de rémunération du travail raisonnable",l'article R 444-13 précisant que cette rémunération raisonnable "assure une attractivité suffisante de la profession concernée" et est fixée "en tenant compte des caractéristiques des professions exercées, notamment les qualifications requises et le niveau de responsabilité induit, ainsi que de la rémunération annuelle moyenne du travail des professions pertinentes", lesquelles professions seront déterminées par arrêté conjoint des ministres de la justice et de l'économie (article R 444-15).

La rémunération raisonnable devra également tenir compte "d'un objectif annuel de rémunération du capital raisonnable", laquelle doit assurer "une incitation suffisante à l'investissement dans les activités économiques de la profession concernée", et "il est fixé en tenant compte du taux de résultat courant avant impôts de professions pertinentes sous l'angle de l'intensité capitalistique et du niveau de risque prises en compte" (Art R 444-14) selon des indicateurs résultant " d'un arrété conjoint des ministres de la Justice et de l'Economie" (art R 444-15).

Dans cette composante, les coûts pertinents pris en compte correspondent au "coût annuel d'un professionnel de référence" , ces coûts tenant compte "des charges d'exploitation et financières annuelles moyennes de la profession concernée" revalorisées "en fonction d'une pondération d'indices"  et, "le cas échéant, s'il apparait que la moyenne de ces charges excéde les coûts d'un professionnel de référence, d'un coefficient correcteur" ainsi que, "le cas échéant, des charges d'exploitation spécifiques d'une ou plusieurs catégories de prestations, pondérées en fonction du poids relatif de ces prestations dans le chiffre d'affaires annuel moyen prévisionnel de la profession concernée" (Art R 444-11).

En résumé, le chiffre d'affaires d'un notaire devra correspondre à une rémunération raisonnable moyenne, à laquelle s'ajouteront les coûts pertinents de production, ainsi qu' une rémunération du capital raisonnable.

La référence à la notion de raisonnable, présente à plusieurs reprises, a de quoi surprendre. Il n’y a rien de plus subjectif, en effet, que la raison. Certains trouveront raisonnable de dire que ce projet de décret est une vaste fumisterie, d’autres trouveront cette affirmation déraisonnable. Si l’on veut rester objectif, peut-on dire qu’il est raisonnable de prétendre vouloir redonner du pouvoir d’achat des français en baissant la rémunération des notaires, quelques mois après avoir augmenté les taxes fiscales d’un montant ( 0,7%) à peu près équivalent à la rémunération du notaire (0,825%)?

 Quoiqu’il en soit, rappelons nous que la raison du plus fort est toujours la meilleure, ce que ce gouvernement a très bien compris face à une profesion muselée par son statut.

Le tarif sera donc fixé en tenant compte des coûts pertinents d'un professionnel de référence. Comment sera déterminé ce professionnel de référence? Sera-t-il notaire on extérieur à la profession?

Dans la première hypothèse, comment sera-t-il retenu? Nombre d'actes, Chiffre d'affaires, nombre de collaborateurs, situation géographique...?

Dans la deuxième hypothèse, quel professionnel autre que le notaire est-il tout à la fois rédacteur, conseil impartial des parties, percepteur d'impôts, en lien direct avec de nombreuses administrations afin de faciliter la transmission d'informations (et notamment les services de publicité foncière), détenteur d'un savoir faire financé par la profession...?

Nous sommes donc impatient de lire l'arrêté interministériel qui tranchera cette question.

Par coût pertinent, entend on le prix de revient normal d‘un service, ou après négociation par un regroupement de professionnels? Tient on compte de la qualité des produits utilisés, ou raisonne-t-on en retenant le prix le plus bas du produit, quitte à ce que sa qualité ne laisse à désirer?

Il sera donc raisonnable et pertinent que le détail des coûts pertinents soit donné à la profession, afin que chaque notaire puisse vérifier que les demandes de ses clients rentrent bien dans ses attributions tarifées, et que le fait par exemple de demander le déblocage d'un prêt sous seing privé ne va pas faire baisser sa rémunération raisonnable, s'il n'a pas été pris en compte pour la détermination du coût pertinent, de même qu'il puisse vérifier que la qualité du matériel informatique dont il s'est équipé pour pouvoir téléacter et recevoir des actes sous forme d'actes authentiques électroniques correspond au matériel équipant le professionnel de référence.

Le coût ainsi défini sera le cas échéant retraité au moyen d'un coefficient correcteur, « s’il apparait que la moyenne de ces charges excède les coûts d’un professionnel de référence » , et « prise en compte de charges d'exploitation spécifiques ». Quel coefficient pour quelles charges spécifiques?

Quant à la notion de rémunération raisonnable, on en arrive à se poser la question de savoir s'il ne s'agit pas là d'une fonctionnarisation de la profession de notaire, tout en refusant d'y appliquer les conséquences logiques (indemnisation, garanties de l'emploi…) . L'idée qui se dégage du texte est en effet que la rémunération du notaire doit correspondre à un montant forfaitaire qui lui serait versé en contrepartie de l'exécution normale de sa fonction, sans que cette rémunération ne soit démesurée, tout en étant assez élevée pour être attractive.

Cette rémunération raisonnable doit en effet à la fois assurer une attractivité suffisante de la profession concernée, ainsi qu'une rémunération raisonnable moyenne du capital assurant une incitation suffisante à l'investissement. Pour être tout à fait logique, elle devra donc être déterminée en tenant compte de l'ensemble des missions assurées par le notaire (rédacteur, conseil tenu à une obligation de résultat, percepteur d'impôts sous sa responsabilité, conservateur des actes, assistant des services de publicité fioncière...) et tenir compte non seulement de la rémunération de ces services, mais également des gains réalisés par l'Etat grâce à son intervention, notamment en matière de perception d'impôts.

Mais il semble que l'esprit général de cette réforme ne soit pas de rémunérer le travail à sa juste valeur, mais plutôt d'assurer la rémunération suffisante d'une fonction. C’est la négation même de l’esprit d’entreprise.

Sentiment renforcé par la révision biennale des tarifs.Assurer une production à un coût inférieur conduisant à une baisse du tarif, il n'est pas certain que le procédé soit incitatif aux gains de productivité.

Enfin, l'article R 445-5 prévoit une aide au maintien de professionnels dont le chiffre d'affaires et les résultats sont inférieurs à certains montants, ces professionnels recevant alors une aide financière leur permettant de maintenir leur office.

Si cette aide au maintien parait justifiée en son principe, on peut néanmoins s'interroger sur la pertinence des critères d'application, lesquels s'appliquent de façon uniforme sur l'ensemble du territoire sans tenir compte du lieu de situation des offices concernés.

Par ailleurs, il n'est pas précisé si ces aides au maintien pourront être accordées aux notaires associés d'une société pluri professionnelle. Si tel était le cas, il serait tentant pour certains de transférer une partie de leurs recettes vers un autre professionnel du même groupe, afin de rentrer dans les conditions d'application de ces aides et de faire ainsi bénéficier les autres professionnels d'une solidarité à laquelle ils ne seraient pas eux-mêmes tenus.

Si le décret fait référence à de nombreuses reprises à la pertinence et à la raison, il ne semble pas que ses rédacteurs aient largement bénéficié de ces vertus. Ils semblent plutôt avoir été inspirés par l'avis de l'Autorité de la Concurrence n° 15-A-02 relatif aux questions de concurrence concernant certaines professions juridiques réglementées, lequel avis a le mérite d'afficher clairement son soutien à ce qui n'était à l'époque qu'un projet de loi (cf avis, n°12), sans s'inquiéter de sa prétendue indépendance( http://www.autoritedelaconcurrence.fr/pdf/avis/15a02.pdf ).

Nous attendons donc avec impatience les arrêtés interministériels, qui devront définir le tarif d'urgence, les composantes d'un coût pertinent, le professionnel de référence, la rémunération raisonnable moyenne, les indicateurs pris en compte pour apprécier l'attractivité de la rémunération et les professions pertinentes de référence.

 Il est néanmoins inquiétant de  constater que l'essentiel de la loi, en ses dipositions effectives applicables aux professions concernées, résulteront de simples arrêtés dont le contenu est bien incertain. Quand on constate en effet que la loi votée prévoit que"les tarifs...prennent en compte les coûts pertinents du service rendu et une rémunération raisonnable, définie sur la base de critères objectifs" et que le décret renvoie quant à lui à un professionnel de référence qui sera défini par arrêté, on se rend compte de la distorsion entre le texte d'origine et son application, et de ce que tout l'édifice repose finalement sur la détermination de ce professionnel de référence, ainsi que des autres critères qui seront déterminés par arrêtés.

Le vague sentiment de l'inutilité et de la négation du débat parlementaire , et d'un enchainement de textes dont finalement les plus importants ne sont pas ceux que l'on croyait.

"Le loup l'emporte et puis le mange, sans autre forme de procès." ( Le Loup et l'Agneau, Jean de La Fontaine).

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