LES ROMS EN SEINE-SAINT-DENIS
Nous publions ci-dessous la remarquable interview, publiée sur le blog des élus Verts de Pantin, de Christophe Auger (Association Coup de Main) qui fait un point synthétique sur de la situation des Roms en Seine-Saint-Denis.
Christophe Auger est directeur administratif et financier bénévole de l'association Pantinoise Coup de Main. Il est également salarié de l'Association Logement Jeune 93 (ALJ93), basée à Aubervilliers. Dans les deux cas, il mène des projets en direction des populations Roms. Il nous semblait intéressant de lui donner la parole. L'occasion d'un rapide éclairage.
Quant-on parle de Roms, finalement, de qui parle-t-on ?
Le terme Rrom désigne les populations qui ont émigré il y a près de 1 000 ans du Rajasthan dans le Nord de l'Inde. Ils constituent aujourd'hui la plus grande minorité d'Europe : 10 à 12 millions de personnes. La plupart des Rroms vivent en Roumanie (1,8 millions) et en Bulgarie (650 000). Depuis toujours, les Rroms sont victimes de fortes discriminations en matière de logement, d'emploi, de scolarisation et vivent en dessous du seuil de pauvreté. Une misère sociale qui conduit beaucoup d'entre eux depuis quelques années à émigrer notamment vers la France.
Quelle est la différence avec les gens du voyage ?
Il y a des origines communes aux populations gitanes, mais une histoire récente différente. Les Roms que nous rencontrons, originaires de Roumanie et Bulgarie, notamment, sont des sédentaires dans leur pays et migrent par nécessité. Leur mode d’habitat n’est pas la caravane.
Pourquoi les Roms viennent-ils en Europe de l'ouest ?
Il y a plusieurs raisons à cela. D'abord ils sont victimes d'importantes discriminations dans leurs pays d'origine : discrimination à l'emploi, refus de scolarisation d'enfants simplement parce qu'ils sont Roms, etc. Une situation très difficile, qu'on a du mal à percevoir vue d'ici. Par ailleurs, en Roumanie par exemple, malgré la dureté du régime de Nicolae Ceaucescu, les Roms bénéficiaient alors, comme tous les Roumains, de logement et d'emplois d'Etat, mais aussi de la scolarité pour leurs enfants (et d'un accès minimal à la santé). Depuis, un capitalisme débridé a remplacé le régime dictatorial, les prix ont explosé, les biens d'états ont été restitués et de nombreux Roms se sont retrouvés à la rue, sans indemnisation.
Bien souvent, même en étant réduits à faire la manche, laver des vitres de voiture, vendre des journaux, ou récupérer du métal pour le revendre, ils arrivent à s'en sortir ici mieux que dans leurs pays d'origine. C'est dire la misère dans laquelle cette population vit en Europe de l'est.
Quel est le statut des Roms en Union Européenne ?
En fait , ce sont les Roumains et les Bulgares qui ont un statut particulier, et par ricochet les Roms originaires de ces pays. Depuis l’entrée de ces pays dans l’union, Roumains et Bulgares sont soumis à la circulaire du 1er Janvier 2007 qui restreint leurs droits de circulation et de travail au sein de certains pays Européens jusque fin 2013. Pour aller vite, contrairement à un Espagnol ou à un Portugais, un Roumain ou un Bulgare doit, pour rester plus de trois mois sur le territoire Français, justifier d'une couverture sociale dans son pays d'origine ou ici (en la payant donc) ET faire preuve de ressources égales ou supérieures au RMI. Par ailleurs, pour obtenir le droit à un séjour plus long, donc une carte de séjour, il doit travailler, et seule une liste de 150 métiers lui est ouverte à titre dérogatoire.
Cette circulaire rend très compliqué leur accès à l'emploi :
- d'une part les employeurs doivent, du fait de ce statut particulier, s'acquitter de la taxe OFII (qui concerne normalement tout employeur qui emploie une main-d'œuvre étrangère à l'Union Européenne) donc rechignent à les employer.
- D'autre part, les délais très importants en Préfecture de Seine-Saint-Denis, du fait de la surcharge de travail des services, font que même les employeurs volontaires doivent attendre en moyenne 6 mois avant que le candidat recruté obtienne une autorisation de travail.
Cette situation explique en partie l'extrême précarité des Roms en France : Pas de carte de séjour, pas de travail, pas d'accès aux aides (CAF par exemple).
Il peuvent donc être expulsés ?
Oui, via une OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français), comme un extra communautaire, qui ne répondrait pas aux conditions de ressources ou de travail. Mais ils reviennent pour la plupart.
Quelles solutions à la situation des Roms en France ?
Je ne vais pas vous étonner en vous disant qu'il n'y a pas de solution miracles. Mais il y a quelques pistes d'amélioration, à différentes échelles :
- Au niveau Européen, la lutte contre les discriminations est une priorité. Des fonds existent et sont mobilisés en direction des populations Roms. Mais ils sont exclusivement destinés aux pays d'origines. Ces lignes ne sont donc pas mobilisables par les municipalités ou collectivités territoriales Françaises. A l'occasion du sommet Roms à Cordoue (Espagne) en avril dernier, l'idée de dégager une ligne budgétaire d'urgence à destination des autres pays européens a été soulevée. Mais elle n'a pas abouti, enfin pas de façon limpide pour le moment.
- Au niveau National, l'Espagne a par exemple décidé de lever le statut particulier des Roumains et des Bulgares sur son territoire, sans conséquence particulière dans ce pays. Cela a le mérite de clarifier le statut des familles Roms. Mais même si la France prenait cette décision, ce qui serait une avancée notable, cela ne règlerait pas pour autant la problématique des bidonvilles qui concernent majoritairement les Roms. Car dans un pays où la crise du logement est structurelle, où la précarité énergétique explose, le problème des bidonvilles et du mal logement ne concerne pas, loin s'en faut, que les Roms.
- Au niveau Régional, il existe une ligne budgétaire, très peu utilisée, qui concerne la résorption des bidonvilles. Des villages comme ceux de Bagnolet ou Aubervilliers ont été financés très largement par ces aides (500 000 € d'investissements) et ont par ailleurs bénéficié d'accompagnement social. Mobiliser ces lignes budgétaires est donc une première étape. Cela nécessite une volonté politique forte, au niveau local, de s'emparer de ces questions. Mais à l'échelle régionale, la solution passe surtout par la mise en place d'une coordination entre les municipalités, afin que chacune prenne en charge une part de l'action à mettre en œuvre et qu'on sorte une fois pour toute du cycle des expulsions, ballotant les familles d'une commune à sa voisine.
- Au niveau Local, dans le cadre de mon travail à ALJ93, nous avons beaucoup travaillé en partenariat avec des villes pour la mise en place de villages d'accueil (via une MOUS : Maîtrise d'Oeuvre Urbaine et Sociale). Il s'agit d'un accueil de transition (caravanes, bâtiments modulaires) qui, associé à un accompagnement social et d'insertion professionnelle, doit permettre aux personnes accueillies de s'inscrire et de s'intégrer progressivement dans la société Française quand elles le souhaitent.
Beaucoup critiquent cette approche, disent que les Roms sont parqués...
J'entends, j'entends... Mais que proposent-ils d'autre ? Ceux qui critiquent cette approche sont dans des postures idéologiques, voire politiciennes. Nous sommes dans l'action, le pragmatique, le concret. Cela ne veut pas dire que cela soit parfait. Tout ce qui peut être fait différemment, avec une amélioration, doit l'être. Mais il faut agir. En permettant l'accompagnement social des familles, ces villages d'insertion facilitent la scolarisation des enfants et mettent en œuvre toutes les conditions pour permettre aux familles accueillies de s'intégrer, de mener une vie plus digne et trouver une place dans notre communauté.
Il y a bien entendu d'autres solutions. Par exemple, dans certaines villes de province, des familles Roms ont été accueillies dans des appartements vacants, au sein d'immeubles dans lesquels vous ou moi habitons. Cela permet une mixité que les villages d’accueil ne permettent pas. Mais compte tenu de la situation de saturation du logement social et du logement d'urgence en Ile-de-France, ce n'est pas du tout adapté à la situation ici. La mise en œuvre de telles solutions nécessiterait tant de temps qu’elle nous oblige à un choix entre action immédiate ou immobilisme conduisant à regarder et attendre. Encore une fois, il n'y a pas de solution miracle. Il faut s'adapter à chaque fois à la situation locale, au public (familles, célibataires, etc.), s'appuyer sur le réseau associatif local existant, etc.
Quelles sont les villes qui se sont lancés dans cette démarche de villages d’accueil ?
Il y en a plusieurs en Seine-Saint-Denis :
- Fin 2006, un premier projet d'accueil s'est initié à Aubervilliers pour accueillir une vingtaine de familles en logements modulaires. La mise en œuvre du projet étant longue, l'hiver ayant commencé et les hébergements d'urgences étant saturés, en attendant la mise en place de ces modules, grâce au soutien de la Fondation Abbé Pierre, les familles ont été logées en caravanes, au sein d'un terrain aménagé avec des équipements collectifs (toilettes, douches, salles de réunion). Les familles ont ensuite intégré les logements modulaires en juillet 2007.
- Saint Denis (25 familles) et Saint-Ouen (20 familles) ont mis en place des opérations à peu près similaires.
- A Bagnolet, en août 2008, des célibataires principalement ont été accueillis dans des bâtiments modulaires collectifs (Chambres de 3 ou 4 personnes), et depuis intégrent des logements.
- A Montreuil, depuis Janvier, deux sites d'accueils ont été mis en place (deux fois 180 personnes), pour l'instant en caravanes en attendant des relogements transitoire ou pérennes.
- A Saint Denis, avec le soutien de la fondation Abbé Pierre, un terrain à été mis à disposition par la DDE. 600 m² de bâtiments modulaires que nous avons récupéré (300 au Sol, 300 à l’étage) doivent y être transformés en 11 logements avec les architectes de No Man’s Land : Chaudière bois (bois de récupération), isolation avec des matériaux de récupération, façade végétalisée, le projet est ambitieux. Nous sommes en recherche de financements (150 000 €) et accueillerons 11 familles vivant en bidonvilles.
Et pour les familles qui ne sont pas "sélectionnées" au sein de ces dispositifs ?
Les villes ont pris en charge sur ces projets des familles qui s’inscrivaient dans une volonté de s’installer en France et d’y travailler, ce qui ne correspond pas à la volonté ou au projet de toutes les familles qui peuvent être candidates. Montreuil a elle accueilli l’ensemble d’une population vivant dans des conditions indignes sans critère de projet personnel. D’autres villes font également régulièrement des efforts dans l'accompagnement sanitaire, la mise à disposition de l'eau ou de boîtes postales, etc.
Il faut saluer le courage des communes et de leurs élus qui expriment une solidarité et prennent à bras le corps une partie de ce problème car ceux qui agissent sont moins nombreux que ceux qui ignorent les bidonvilles.
Que répondez-vous à ceux qui considèrent que mettre en œuvre des politiques publiques en faveur des populations Roms va créer un appel d'air ?
Je ne crois absolument pas à cet argument de l'appel d'air. D'une part, on peut avoir l'impression qu'il y a des Roms partout, mais ils sont finalement assez peu nombreux. On parle de 10 à 12 000 personnes dans toute la France. 5 à 6 000 en Ile-de-France. Le fait que ces populations soient ballotées d'une ville à l'autre de l'Ile-de-France participe à la surestimation des chiffres. Mettre en œuvre un politique publique coordonnée aurait donc tendance plutôt à circonscrire ce phénomène.
D'ailleurs, pour être sur le terrain, je peux vous dire qu'on voit souvent les mêmes familles d’un lieu à l’autre. C'est très difficile de quitter son pays pour tenter l'aventure à l'autre bout de l'Europe. D'autant que, comme je l'ai dit, une action est aussi mise en œuvre en direction de ces populations, via des fonds européens, directement dans leurs pays d'origine, ce qui permet aussi à la situation de s'améliorer lentement mais progressivement sur place.
Enfin, je dirais que vue l'extrême précarité de ces populations dans nos villes, avant de se poser la question des conséquences de tels dispositifs, c'est la question de ce qui va se passer si nous ne faisons rien qui me préoccupe.
Quelles sont les activités de l'association Coup de Main ?
Nous accueillons des Roms issus des bidonvilles du Département et les aidons à trouver leur place dans notre communauté. Concrètement en ce moment, nous accueillons 30 personnes en chantier d'insertion autour de la collecte, la réparation, et la mise en vente de vêtements, de mobilier, de livres, etc. Nous travaillons par ailleurs autour de la collecte de Déchets d'Equipements Electriques et Electroniques (D3E) : nos équipes passent récupérer chez les gens des téléviseurs, des machines à laver, que les sociétés en charge des encombrants ne ramassent pas car cela concerne une filière différente. Nos équipes réparent et mettent en vente ce qui peut l'être et renvoient vers des filières de retraitement le matériel non valorisable.
En fonction des revenus que nous arrivons à générer, nous menons aussi des actions caritatives en direction des populations Roms du Département : distribution alimentaire dans les bidonvilles, assistance pendant l'hiver via des dons de couvertures ou de matelas, etc. Nous avons par ailleurs fondé un Coup de Main en Roumanie il y a plusieurs années et nous alimentons leur magasin par la livraison d’un semi-remorque de meubles par mois. Un projet autour de l’agriculture et du maraîchage biologique a aussi été mis en place dans cette ferme de 20 hectares. Cette structure est devenue la communauté Emmaüs de Lasi, qui possède la ferme en milieu péri-urbain depuis environ 15 ans. Une trentaine de Compagnons vivent là bas (c'est désormais le siège d'Emmaüs Roumanie).
Quels sont vos projets ?
Nous sommes en cours de contractualisation de 14 personnes en insertion avec une autre ville du département sur des actions de second œuvre (rafraichissement et nettoyage d'appartements et de caves du parc ancien). A moyen terme (échéance de 2 ans), nous souhaiterions être associés à la gestion de recycleries ou ressourceries sur notre territoire sous forme d’insertion. L'idée serait d'élargir encore la palette de métiers que nous pourrions proposer (protection de l'environnement, traitement, recyclage, mais aussi réparation, secrétariat, etc.).
Nous souhaitons aussi développer un accès libre de nos équipes aux déchetteries, comme nous l'avons fait avec Plaine Commune. Cela nous permet, lorsque nous venons chercher du matériel chez les particuliers, de les libérer aussi de tout un tas d'encombrants qui potentiellement finiraient sur les trottoirs, et de les amener directement en déchèterie. C'est pratique pour l'usager, et efficace pour la ville.
Enfin, en lien avec la fondation Danielle Mitterrand, nous emmenons deux Roms au Brésil pour procéder à des échanges de savoirs et développer un partenariat sur place. Au Brésil, les Catadores (chiffonniers brésiliens pour simplifier) sont organisés en coopératives et offrent un statut à près de 300 000 personnes. Les Roms vivant dans les bidonvilles d’Ile de France sont en quelque sorte nos Catadores, sans l’organisation ni la représentation, ni le statut de leur pendant brésilien.
Propos recueillis le vendredi 7 mai 2009
Association Coup de Main
31 Avenue Édouard Vaillant
93500 PANTIN
Tel : 01 48 44 44 92