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Billet de blog 22 octobre 2013

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François Hollande coupe la poire –et Leonarda– en deux

François Hollande poursuit son étrange normalisation de la  présidence de la république. Certains dirigeants de l’UMP critiquent sévèrement ce qu’ils appellent l’indécision du Président. Ils se trompent. Le chef de l’Etat prend bien des décisions, mais cela relève sinon de l’art de Salomon mais du moins de la balance des orfèvres.

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François Hollande poursuit son étrange normalisation de la  présidence de la république. Certains dirigeants de l’UMP critiquent sévèrement ce qu’ils appellent l’indécision du Président. Ils se trompent. Le chef de l’Etat prend bien des décisions, mais cela relève sinon de l’art de Salomon mais du moins de la balance des orfèvres.

Il  s’agit pour lui d’attendre le moment où tous les  ingrédients sont réunis pour prendre une décision qui –croit-il– plaira à tout le monde. Il lui faut du temps pour penser un équilibre délicat ou subtil qui devrait mettre  tout le  monde d’accord. Il  rappelle que la république c’est le respect de  la  loi et la droite, Chevènement et Ségolène Royal seront contents. Puis que les fonctionnaires de police ont manqué de discernement. Les associations et certains critiques de gauche seront  ravis. Ensuite que  l’école doit être sanctuarisé ainsi Peillon et les enseignants seront rassurés. Enfin que le respect des lois doit  s’accompagner d’un sentiment d’humanité alors Harlem  Désir, de nombreux militants socialistes et Valérie Trierwaler vont être  apaisés. Et pour couronner le tout, Leonarda peut retourner poursuivre ses études en France mais sans ses parents, en conséquence, la contestation des lycéens pourra s’arrêter. Que tout le monde rentre chez soi –si on peut s’exprimer ainsi- et lui, le président normal, pourra  lui aussi rejoindre ses appartements. Il  attendra que Ségolène lui passe un coup de fil pour le  féliciter et il  ira  retrouver Valérie.

On croit rêver. Comme si la gouvernance de l’Etat relevait d’une technique artisanale ou de l’art du bricolage ! Que peut bien signifier  tout ce tripatouillage présidentiel ?  Mais avant  de répondre à cette éminente question il faut d’abord se demander de  quoi Leonarda est-elle le nom et on ne peut manquer de penser avec émotion à cette  adolescente qui affirme qu’on la tire par les bras  comme un animal, comme un  chien. Paroles spontanées de l’enfant  qui pourraient faire penser à la justice selon Salomon. En vérité, Leonarda n’est pas un signifiant vide comme aurait dit Lacan mais un signifiant plein de  surdéterminations. Expliquons-nous !

Notons tout d’abord l’effarant spectacle que la France a donné au monde : une pauvre famille Rom, travaillée par les errements de la misère, et leur fille Léonarda propulsée au-devant de la scène dans une sorte de télé-réalité  indécente. Un problème –sans doute quotidien d’ailleurs– qui aurait pu être réglé avec humanité et intelligence, prend une proportion extravagante ! Mais l’indécence vient aussi bien des leaders de la gauche au pouvoir que des leaders de droite. On retrouve là les caractéristiques de certaines « affaires » célèbres ayant secoué l’histoire de France. Qui peut nier que l’affaire Léonorda est une sorte de psychodrame politique dont l’impact sur l’opinion publique française a une intensité telle que cela ne manquera pas de laisser des traces. Mais cela signifie aussi qu’au-delà des passions il  s’agit –quoique cela soit très difficile- de saisir la vérité que contient le  signifiant « Léonarda ».

Car si François Hollande croit qu’il a réglé le problème en coupant, comme une poire, la république en deux (une part pour la loi ; une part pour le sentiment d’humanité), il ignore au fond que c’est aussi bien la loi que ledit sentiment qui ont été par lui fragilisés. Nous voulons dire par là que c’est l’idée républicaine même, comme fondement non populiste du lien social, qui s’est délitée en France  et que le discours  du président, tel  qu’il  a été fait, ne peut le  revigorer. En se concentrant sur l’opposition simplifiée : respect de la  loi/sentiment  d’humanité, François Hollande s’est refermé sur une problématique  que lui impose la droite, aussi  bien celle  de l’UMP que celle de Marine Le Pen. Comme  si toute l’idée républicaine se  résumait dans la rigueur de l’application des lois. Ainsi, dans son discours il n’y pas eu de mots pout rappeler que l’identité républicaine, fortement menacée par la montée du populisme FN, est aussi une identité qui refuse le racisme et  la  xénophobie.  Il n’a pas eu un  mot pour  condamner devant toute la nation les insultes  racistes dont la ministre Christiane Taubira a été victime. C’est cela qu’on pouvait  attendre  d’un président  authentiquement républicain : en ces temps de crise, réaffirmer les principes de l’identité  républicaine.

On pourrait rétorquer qu’il ne pouvait pas intervenir sur tous les problèmes et que l’affaire  Léonarda n’a aucun rapport avec la montée de la xénophobie. Affirmer cela, c’est faire preuve d’une  grave cécité qui caractérise  aussi bien le président, certains responsables de gauche et l’essentiel des élus de droite. Car il faut être honnête :   l’affaire Léonarda n’a été possible qu’à partir du moment où Manuel Valls a stigmatisé des Roms en déclarant qu’ils n’avaient pas la vocation d’être intégrés en France. C’est sa grande faute morale et politique. Et pourquoi l’a-t-il fait ? Pour se rendre populaire  car il sait que le succès du populisme frontiste  consiste à utiliser des problèmes réels, la sécurité, l’immigration, le chômage (posés par le  développement  du capitalisme néolibéral) pour les  transcrire en une quête identitaire nationaliste fondée  sur l’exclusion de l’autre. Les propos de Manuel Valls avaient produit un malaise à gauche, des dissensions graves au sein du gouvernement, et le président Hollande croyait les  avoir réglés avec sa méthode habituelle. Des intérêts strictement politiciens exigeaient que le ministre de l’intérieur fût conservé, ce dernier étant effectivement populaire mais pour de mauvaises  raisons car ce n’est pas sur les valeurs de la gauche que se fonde sa popularité.

Tous les bien-pensants, du PS comme de l’UMP,  affirment à tue- tête que si les socialistes obtiennent la démission de Valls, ils se tirent une  balle dans le pied comme le dit  Jean-Pierre Chevènement, ce républicain d’un autre âge mal dépoussiéré d’un certain nationalisme. Qu’est-ce que cela  veut  dire ? Autant mettre Marine Le Pen comme premier ministre. Ce que révèle le « signifiant Léonora », c’est la décrépitude d’une classe politique dominée par une raison essentiellement instrumentale lui dictant  de gagner les élections à tout prix, c’est-à-dire aux dépens des valeurs républicaines  essentielles et conduisant le président de la république à faire la déclaration la plus lamentable qui soit, donnant une image dévalorisée de la France. Jamais dans son intervention, François Hollande n’a mentionné le mot fraternité, l’une des devises essentielles de la république. Il était important qu’il  le  fît quand le mot  « fraternité » pour le Front national est pensé en termes  de fratrie,  de solidarité entre frères et sœurs français contre un  ennemi qu’on cherche à tout prix à édifier. Dans ce genre de fratrie, on le sait depuis Antigone, l’esprit des ténèbres gouverne. Hier, c’était le Juif. Aujourd’hui le musulman et surtout, ce qui est plus facile, le Rom. Le plus grand  danger qui menace la France en ce moment est la montée d’un national-populisme véhiculant la haine de l’autre et Christiane Taubira a raison : la dialectique national-populiste est toujours, même en dernière instance, une dialectique de l’extermination. François Hollande ne pouvait mettre en avant le  mot « fraternité », c’eût été désavouer la problématique populiste de Manuel Valls.

En vérité, l’affaire  Léonarda  signifie une  certaine déliquescence non seulement de la gauche parlementaire et gouvernementale mais aussi celle de la droite. La politique semble réduite uniquement à sa dimension calculatrice ou instrumentale comme si ce que pourrait avoir son sens plus noble s’en était allé au gouffre. Devant un tel spectacle, le populisme  triomphe, Marine Le Pen n’a pas grand-chose à faire quand elle voit son « populisme liquide » se propager par « capillarité » –selon sa propre expression- aussi bien au PS qu’à l’UMP. Mais ce serait une erreur de se focaliser sur la présidente du Front National. Il se peut qu’elle  ne soit pas  présidentiable, compte-tenu de ses liens  familiaux, son père ne laissant pas une bonne image dans  l’opinion. Le problème n’est pas là. Il réside dans le  fait que l’opinion française est gagnée par la problématique populiste. Ce qui lui manque, c’est un leader. Tel est le créneau  que Manuel Valls espère occuper en présentant un populisme plus ligth.  D’autres le suivent : François Fillon et -pourquoi pas ?-  Ségolène Royal.

Certains disent que dans cette affaire Léonarda, c’est le triomphe de l’émotion et en appellent à une sorte de sagesse, à la raison qui commanderait l’application de la loi. Quelle hypocrisie ! Car eux-mêmes sont sous l’influence de l’émotion. Laquelle ? Celle d’une opinion populiste qui désormais commande toute la vie politique française, opinion populiste dont le fondement est l’émotion comme pulsion identitaire cherchant l’exclusion de l’autre. Cela peut donner, au plan intellectuel,  une identité souffreteuse dont Alain Finkielkraut est le pathétique exemple. Car c’est pour satisfaire cette opinion, qui n’est plus le peuple comme dêmos mais le  peuple dans toute son obscurité, qu’on appelle au refus de l’Etat d’intégrer cette famille Rom, et tout ceci sous prétexte de « démocratie ». A cela, il faut ajouter le rôle délétère d’une certaine presse dont les journalistes sont les nouveaux clercs et dont la référence est souvent ce qui circule sur twitter. C’est le sens de l’opinion dans sa dimension « publique » qui est perdue.

A l’opposé,  heureusement qu’il existe de bonnes émotions. Dans son livre Les émotions démocratiques, la célèbre philosophe américaine Martha Nussbaum affirme qu’avec la crise de l’éducation, « une conception nouvelle, tournée vers  le profit, avait pris le pas et marginalisé l’idée même de développement  de  soi imaginatif et  critique ». Et, ajoute-t-elle, lorsque triomphe cette raison instrumentale disparaissent « les capacités de pensée et d’imagination qui nous rendent humains et font, de nos relations, des relations humaines riches plutôt que des relations de simple usage et manipulation. Lorsque nous nous rencontrons en société, si nous n’avons pas appris à voir à la fois  nous-même et autrui de  cette manière, en imaginant en l’autre les  facultés intérieures de pensée et d’émotion, la  démocratie est vouée à l’échec »

Peut-il donc exister une évolution des lois vers plus d’égalité et de justice sans un sentiment de la justice et de l’injustice ? C’est la grande leçon que nous donne la révolte de ces lycéens, laquelle on s’empresse de caractériser comme étant manipulée. On peut ne pas aimer Jean-Luc Mélenchon, mas il  a raison d’affirmer que cela prouve que l’éducation républicaine n’est pas tout à fait morte  en France, car elle a su développer chez ces jeunes de telles émotions démocratiques. Et on peut comprendre aussi que des enseignants fidèles à l’idéal de l’école républicaine ne peuvent supporter qu’une enfant soit ainsi arrachée à l’instruction publique, pour faire plaisir à l’opinion populiste. Car pour les pères fondateurs de l’instruction publique, Condorcet en particulier, l’école n’a pas pour but de former de bons français mais des citoyens éclairés et telle  est sa dimension d’universalité broyée par Manuel Valls et par notre insolite Président Bricoleur !

Enfin, ce que révèle aussi le signifiant Léonarda, c’est que François Hollande ne peut colmater la brèche. La crise est désormais ouverte entre la ligne Hollande-Valls et ce que le Parti Socialiste comporte de militants authentiques de la gauche républicaine. Ces derniers sont sommés de  choisir entre les idéaux de la gauche et les trahisons de ceux du PS qui ne voient que leur intérêts électoraux immédiats. Dans une situation européenne et sans doute mondiale où les Etats perdent de leur puissance – soumis  qu’ils sont aux puissances financières occultes qui gouvernent le monde- où les  partis politiques traditionnels sont affaiblis par la montée des populismes  il appartient à la société civile de prendre  le relais et de se lancer dans des luttes visant à contrer directement le  populisme et de soutenir concrètement tous ces travailleurs et ces chômeurs dont la  souffrance est grande en ce moment. Il faut maintenir cet espoir. Il y a quelques  années, quand l’écrasante majorité de la population guadeloupéenne cédait aux délires racistes et populistes d’un Ibo Simon, nous avons su mobilier la société  civile et  stopper cette grave dérive populiste. De même nous avons su déclencher des luttes d’une partie de la société civile, en Guadeloupe et en Martinique pour stopper l’autorisation d’épandage  aérien mortifère qu’accordaient les ministres Le  Fol et Victorin  Lurel, sous la pression des lobbies. Nous sommes prêts aussi à soutenir résolument Christiane Taubira contre le Front national.

Et pour terminer, nous pensons à cette enfant, Léonarda, qui a l’âge de notre petite-fille, soudain vedette d’une actualité déconcertante, cette adolescente qu’on enferme dans des déterminations familiales au lieu de vouloir « l’élever » en oubliant que les révolutionnaires de 1789 proclamaient que l’histoire n’est pas notre code. On ne sait si après cela  elle pourra jouir d’une  instruction conséquente. Nous en doutons. Dans quelques  temps, on l’aura sûrement oubliée. Mais nous croyons qu’elle restera dans beaucoup de nos cœurs une blessure non cicatrisée. Une horreur qui ne fait  pas l’honneur de la France, une honte aurait dit le Pape François ! L’Elysée déclare que l’affaire Léonarda est définitivement réglée. De quel droit ? Il nous appartient, en tant que citoyens, de mener une lutte résolue contre une décision qui nous parait injuste. Mais voilà que, compte-tenu de notre âge, la colère fait place à la tristesse !

P.S.- Une dernière chose, la colère revenant : nous proposons que les départements français d’Amérique, Guadeloupe, Martinique et Guyane, avec le soutien des présidents des assemblées locales, s’engagent à accueillir Léonarda et sa famille. Le père devra s’engager à respecter les  lois de la république, sinon il sera expulsé. Les ancêtres des Roms,  comme les nôtres, ont été esclaves et cela peut créer une solidarité. « Nous prenons ce combat à notre compte » comme on dit en créole, face à une pwofitasyon intolérable. Au-delà de toute raison ratiocinante, c’est ce que nous dicte, en termes kantiens, un impératif catégorique  comme exigence d’humanité.

Jacky Dahomay

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