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Billet de blog 12 décembre 2014

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Romstorie : Darius, 16 ans, jeune Rom lynché à Pierrefitte sur Seine, 6 mois après, toujours pas de lumière

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Pour mémoire, Darius, Gheorghe FRANZU pour l’état civil, est un jeune Rom qui a été séquestré, battu violemment et laissé pour mort dans un caddie le 13 juin dernier à Pierrefitte sur Seine. Il a finalement survécu avec de graves séquelles, après plus de deux mois de coma.

Dans une brochure intéressante et très simple à trouver sur internet, EDF nous assure que le service public de l’électricité concourt à la cohésion sociale et à la lutte contre les exclusions, en assurant le droit à l'électricité pour tous.

Enfin peut-être pas tous, parce qu’EDF ne met guère d’empressement à apporter l’électricité dans les bidonvilles. C’est un débat dont nous reparlerons dans un prochain billet, mais si j’ai tenu à exhumer cette remarquable déclaration d’intention, c’est parce que dans « l’affaire Darius » qui a fait les gros titres de la presse pendant deux semaines au moins, le Président de la République exprimait son indignation dans un communiqué et demandait que tout soit fait pour retrouver les auteurs de cette agression.

Six mois après on n’a toujours rien trouvé. On n’a toujours pas fait la lumière, cette lumière promise, jurée crachée, qui devrait sans délai et de la même façon nous éclairer dans le drame de Sivens. Le droit à la lumière pour tous, et en premier lieu pour les victimes et leurs familles.

L’histoire des familles manouches et yéniches, mais probablement en est-il de même de tous les Tsiganes d’Europe, est trop souvent émaillée de drames, y compris en dehors des guerres et conflits.

Je veux parler des évènements les plus graves, à savoir les morts violentes, comme celles qui se produisent dans les incendies de camp, les meurtres et assassinats dont ont été victimes les ascendants et parents directs ou indirects des Tsiganes.

On constate que ces traumatismes se répercutent sur plusieurs générations. Au-delà de la victime elle-même, les morts violentes et les crimes impactent la vie des frères et sœurs, des conjoints, des enfants et petits-enfants et même jusqu’aux enfants et petits-enfants du remariage quand la veuve s’est remariée, car c’est souvent un homme jeune qui a été tué.

Tsiganes ou Gadgés, on sait la corrélation de ces drames avec les malheurs qui surviendront dans les familles des victimes ; dépressions, suicides, addictions, alcoolisme, conduites à risque, délinquance, comportements violents, violence intraconjugale que subissent les femmes et violence intracommunautaire.

A travers les confidences, les non-dits, les évocations, les récits interdits (inter-dits), on retrouve la présence de l’absent, la présence du mort, le mulo dont on ne parlera jamais dans nos familles tsiganes. Néanmoins, cherchez toujours le mulo.

Rebondissant de génération en génération, le crime finira par tuer plusieurs fois et détériorer la santé, la vie sociale, et l’intégration. Ces drames se réactivent continuellement, à la manière des virus appelés vers ou chevaux de Troie, lesquels contaminent un ordinateur dont ils n’empêchent pas le fonctionnement, mais causent une perturbation de la mémoire et des capacités.

Les dégâts sont encore plus considérables lorsque la perte d’un proche n’est pas compensée par des réparations. Nous ne disposons pas encore d’études, de statistiques ou de thèses, mais, prenant toutes les précautions nécessaires, tant mon argument n’est basé que sur des observations personnelles, la justice depuis des siècles et dans la totalité des pays d’Europe, ne me semble pas particulièrement sévère avec les meurtriers quand les victimes sont tsiganes.

Le philosophe et anthropologue René Girard dans son ouvrage « La violence et le sacré » nous explique que le coupable, même s’il reste impuni, peut s’avérer finalement moins problématique pour la société que les proches d’une victime qui n’auraient pas obtenu réparation. Dans le pire des cas, le meurtrier restera impuni ou sera neutralisé par les forces de l’ordre lors d’une récidive.

Pour les familles des victimes, prises dans la spirale autodestructive causée par l’absence de réparation, la mort violente de ce parent restera comme la pire déflagration et aura pour conséquences un bilan effarant de dépressions, suicides, addictions et violences. Ces violences générées par le chagrin, auquel s’ajoutent l’humiliation, la rage et la honte, iront se répandre bien au-delà de l’autodestruction pour blesser et tuer en dehors du cercle familial (vendettas, bagarres, accidents de la route, etc.)

La condamnation du meurtrier, la réparation sous forme de dommages et intérêts versés aux ayant-droit représentent la forme codifiée, canalisée, maîtrisée de l’ancienne loi du talion. Le jugement, tôt ou tard deviendra définitif et s’imposera à tous, permettra de ramener la paix, l’apaisement au sein de la société. C’est pourquoi, il importe tant que justice soit rendue, que ses décisions soient exécutées.

La justice est souveraine et n’agit pas sous quelque pression que ce soit, politique ou médiatique. Néanmoins, dans l’affaire Darius, où en sommes-nous 6 mois après ? 

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