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Billet de blog 17 novembre 2014

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Romstorie : Voleur de poules et pour solde de tout compte

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Coté chair ou coté peau, à l’envers ou à l’endroit, les billets de Médiapart n’y échappent pas, c’est encore et toujours le même procès à charge et à décharge. Ces Romanichels, Roms, Tsiganes, Bohémiens, Gitans, sont-ils vraiment des voleurs de poules ?

Allons-nous sortir un jour de cet humour usé, ressassé, ce cliché raciste qui depuis longtemps ne fait plus rire nos gosses qui rentrent de l’école, exaspérés d’avoir une fois encore subi ça ? De bonnes âmes pensent nous délivrer l’absolution en écrivant, en jurant la main sur le cœur, que nous ne sommes pas (que) des voleurs de poules. Curieusement, on dispose du coupable avant même la découverte du forfait.

Comme s’il fallait en attester, en apporter la preuve, tout en se hâtant de modérer le propos afin de le rendre mieux crédible et suggérant que peut-être, poussés par la faim, nécessité ayant fait loi, quelques-uns d’entre nous dans un lointain passé rural auraient pu, de-ci, de-là, chaparder la volaille… Ruses, maraudes et rapines, à doses tolérables, à tout péché miséricorde, et que le portrait du Romanichel concorde avec l’idée que s’en fait le sens commun.

Continuer de dire et écrire qu’un Tsigane est naturellement, entendez culturellement, voleur de poules n’est même pas considéré comme un dérapage, une stigmatisation. C’est une liberté d’expression, une explication qui vaut ce qu’elle vaut pour essayer d’appréhender cette sociologie incompréhensible des Roms, le régime carné, essentiellement à base de poulet, chapardage and chicken.

Nous aurions besoin de penser autrement, de faire appel à l’intelligence, aux connaissances des uns et des autres, à la mémoire de nos parents, qui permettra peut-être de vérifier si le volatile en question fait partie du problème ou de la solution.

Comment nos parents et nos grands-parents ont-ils fait pour vivre et survivre, à peine tolérés sur les territoires communaux, dans des caravanes tirées par des chevaux, sans possibilité de stocker le grain, les farines et les navets comme le sédentaire dans sa cave, son grenier, son cellier ? Sans possibilité sur la route nomade d’entretenir des basses-cours et des clapiers ? Comment élever des enfants, avec quels aliments les nourrir, les garder en bonne santé ? Ces deux questions très simples permettraient l’écriture de passionnants chapitres sur la vie des Tsiganes.

On pourrait comprendre et développer leur préférence pour le lard qui se conserve fumé ou salé, les pommes de terre qui vont avec et se transportent facilement, leur appétit pour les lentilles et les haricots, le hareng saur fumé, le pain et le fromage que les moisissures ne parviennent pas à gâter. Une nourriture comme une architecture qui serait l’expression des conditions de milieu.

On pourrait se pencher sur leur connaissance de l’ail, un antiseptique de premier ordre qu’on trouve dans la nature en toute saison, sous la forme d’ail sauvage et de ciboulette, des vertus de la menthe, de la camomille et la germandrée, et compter le nombre d’enfants qui ont eu la vie sauve grâce au bédégar. Je vous laisse découvrir par vous-même, c’est assez facile avec internet, ce qu’est le bédégar, puissant astringent qui guérit les diarrhées.

Cette expression des conditions de milieu, cette utilisation maitrisée des ressources disponibles dans une société de relégation spatiale, ces modes de vie qu’on peut soumettre au canevas des anthropologues, l’attitude des tsiganes avec le cru et le cuit, le pur et l’impur, la coquelle et la mouldi, la grille préférée à la broche si peu utilisée, etc…

Il y a ainsi de nombreux thèmes, peu ou pas explorés, qui permettraient de dépasser les propos surprenants du préfet délégué à l’égalité des chances, Didier Leschi qui déclarait après la destruction du bidonville des Coquetiers à Bobigny : Avec les Roms, on a affaire à une sociologie qui nous échappe, avec les Roms, on ne sait pas faire…  (http://blogs.mediapart.fr/edition/roms-et-qui-dautre/article/071114/tant-quon-refusera-de-considerer-les-roms-comme-des-migrants-du-travail-ira-leche)

L’exploration, l’étude de ces thèmes permettrait tout simplement de vérifier ce qu’écrit Claude Levi Strauss en 1952 dans son ouvrage Race et Histoire : Tous les hommes, sans exception possèdent un langage, des techniques, un art, des arts, des connaissances scientifiques, des croyances religieuses, une organisation sociale, économique et politique. Ce dosage n’est jamais exactement le même pour chaque culture et de plus en plus l’ethnologue moderne s’attache à déceler les origines secrètes de ces options plutôt qu’à dresser un inventaire des traits séparés.

L’exploration de ces mécanismes et leur interaction avec la société gadjikane, permettrait d’éclairer la sociologie des Roms, et faire en sorte qu’elle n’échappe plus à la compréhension des cabinets ministériels et préfectoraux, comme la poule échappe au renard. Ne pensons pas non plus que rien n’aurait été fait, et rendons justice aux travaux d’Henriette Asséo, de Claire Auzias, de Marie Bidet, Sarah Carmona, Éric Fassin, Emmanuel Filhol, Olivier Legros, Jean Pierre Liégeois, Martin Olivera, Patrick Williams, et d’autres encore qui ont déjà très largement défriché ces territoires.

Le cliché raciste du voleur de poules est un obstacle à l’intégration des Roms dans nos sociétés européennes. Sous couvert d’humour et de liberté d’expression, c’est une souffrance infligée à longueur de journée, à longueur de colonne, y compris dans Médiapart, à nous-même et nos enfants. Comme je comprends les Maghrébins et leurs descendants qui ne supportent plus qu’on leur parle de couscous ! (http://www.slate.fr/story/94213/identite-blague)

Comme tout obstacle, ce cliché, ce présupposé nous empêche de voir une partie du paysage. Dans ce paysage politique où l’on s’inquiète du sort des poules, il devient urgent de se préoccuper, de porter une attention constante au sort du coq.

Le coq est dans notre pays de France l’emblème national, le complément de notre drapeau, notre symbole républicain dont l’extrême droite s’est emparé, pour lui tordre le cou. C’est là le forfait, la forfaiture. A défaut de désigner les coupables, cherchons ensemble les responsabilités et surtout les remèdes à cette inquiétante situation.

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