Bénévole cet été pour le Secours Catholique, j'ai eu l'occasion de découvrir la situation des migrants à Calais. Au sein même du « pays des droits de l'Homme », les réfugiés font désordre. Alors que les media diffusent tous les jours des informations sur les conditions de fuite des réfugiés syriens, silence radio sur celles que leur réserve les autorités françaises. En réponse, la police mène depuis deux semaines une nouvelle série d'expulsions systématiques des squats dans lesquels s'abritaient les migrants. De quoi est fait leur quotidien ? Quel est ce travail que font les associations qui tentent, elles, de répondre à ce que l'État n'assume pas et fait même tout pour cacher ? Je vous propose mon témoignage.
Un quotidien sur la route
Chaque matin, des bénévoles du Secours Catholique viennent de tout le département pour assurer le service des douches. Les volontaires se relayent pour que ce lieu continue d'exister. Les migrants peuvent au moins y faire leur toilette quotidienne. Pour se rendre aux douches, il faut traverser toute la ville, leitmotiv incessant pour aller d'un point à un autre. Alors les associations s'organisent et font des allers-retours en voiture pour aider les migrants au moins à pouvoir se laver. Souvent tout le monde ne peut être pris en charge par les va et vient des voitures, reportant au lendemain la chance de prendre une douche. Quelques uns, chanceux, utilisent alors un vélo pour s'y rendre, grâce à l'initiative des No Border qui en a mis plusieurs à leur disposition. Les autres, enfin, continuent de marcher comme toujours, pour être sûr d'avoir leur tour.
C'est une épidémie de gale, charmants vers qui aiment évoluer sous la peau lorsque les conditions d'hygiène élémentaires ne sont pas garanties, qui avait poussé la municipalité, sous la contrainte du médiateur de la République, à construire$ ces locaux. D'abord, les autorités locales s'étaient contentées de réquisitionner le lieu d'accueil de jour du Secours Catholique, où six douches entassées dans la cour arrière d'une maison de ville offrirent alors la seule réponse sanitaire publique pendant de longues semaines. Puis elles avaient trouvé l'emplacement adéquat : relégué à l'abris des regards, à l'autre bout de la ville.
Les locaux d'accueil du Secours Catholique, mis à disposition par la mairie à l'instar des locaux des douches, sont eux aussi situés à la périphérie de la ville, mais encore à une bonne distance de marche pour que les migrants ne perdent pas l'habitude de marcher. La journée, l'association y accueille des migrants de passage qui trouvent là un lieu où ils peuvent « se poser » sans être chassés, et être accueilli « en amis ». Les demandeurs d'asile peuvent y obtenir des informations sur leurs droits, une écoute, assister à un cours de français ou d'alphabétisation, recharger leur téléphone, ou simplement faire une courte sieste à l'abri… Trois ordinateurs ajoutent un aspect ludique aux enseignements d'alphabétisation. Sur rendez-vous, les salariés les aident à constituer leur dossier de demande d'asile, interrompus sans cesse par une demande que chacun juge urgente.
Administrer la quête de refuge
Il faut alors ramener la souffrance au rythme que s'est donné l'administration, expliquer sans relâche qu'il n'y a pas de rendez-vous avant trois mois maintenant. Les récits de vie se succèdent, rappelant toute la complexité des situations géopolitiques internationales. Comment demande-t-on en pachto ce qui s'est passé juste après, quand le groupe armé qui avait tué votre mère est parti du village ? Dure mémoire qu'il faut retravailler ensemble, parfois avec l'aide d'un psychologue, pour que le langage de l'administration soit en mesure d'y voir « un bon dossier ».
Chaque jour, on croise les habitués du « Secours », comme cet Iranien, Amin (les noms ont été changés, ndla), dont le dossier de demande d'asile est toujours en attente depuis maintenant près d'un an. Suite à une réponse négative de l'OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides), il n'a pas la moindre information sur le délai que prendra son recours auprès de la CNDA (Cour Nationale du Droit d'Asile) qui dure maintenant depuis plusieurs mois. S'il bénéficiait de l'ATA (Allocation Temporaire d'Attente) pour vivre avec 335,10€ le temps que sa demande d'asile soit traitée, il ne touche plus rien pour attendre la décision de son recours en justice sans avoir pour autant le droit de travailler.
La France fait semblant de croire que les demandeurs d'asile sont tous rentiers. Peut-être demain, peut-être dans un mois, l'administration française statuera sur le sort d'Amin. Depuis de trop longs mois il n'a pas vu sa femme et ses deux filles. L'absence lui pèse tellement que la prison lui paraît souvent préférable, dans un de ces élans quotidiens qui le fait penser sérieusement au chemin du retour, les larmes aux yeux. Pour ça, au moins, il bénéficierait du soutien de l'administration française, l'OFII se chargerait de tout1.
Continuer, malgré tout
Alors, en attendant, il chante avec émotion des morceaux venus de Turquie et d'Iran. Il chante souvent l'exil. Il chante pour ceux qui sont ici l'espoir. Une petite fille vient d'avoir un an. On tape tous ensemble dans nos mains pour encourager le chanteur, pour célébrer ce bel anniversaire. Les parents, soudanais, viennent d'arriver avec leurs quatre enfants, et chacun se réjouit d'avoir cet événement sur lequel s'accrocher. Une joie simple et forte dépasse toute autre considération, et chacun ressort sa bonne humeur, se cramponnant comme on peut à cet espoir incarné par une enfant qui ne comprend certainement rien elle-même à ce qui se passe. On a fait des gâteaux. On a sorti du soda. Il y a des sourires. Il y a encore de la vie qui surgit de tout cela. Alors on continue.
Puis vient la fin de journée, et l'heure pour les migrants de prendre leur repas, à l'autre bout de la ville. Encore, marcher, longtemps. L'association Salam, qui nourrit ces personnes chaque soir depuis plus de dix ans, à défaut de pouvoir le faire aussi le midi, peine à trouver des financements pour subsister, et continue ainsi d'épuiser depuis des années ses bénévoles qui font, eux, ce qu'ils peuvent. Les tensions naissent alors aisément entre associations, chacun ne comprenant pas toujours l'action de l'autre, la fatigue et une certaine lassitude aidant.
Depuis plus d'une dizaine d'années maintenant, malgré la répression et des moyens limités basés sur la seule solidarité, des dizaines de calaisiens viennent apporter l'aide humanitaire que l'État dénie aux migrants. Ce sont eux qui fournissent la plupart des vêtements et couvertures que la police détruit quasi-systématiquement à chaque nouvelle expulsion. Ce sont eux qui pour certains ont ouvert grand leurs portes, malgré la loi, et continuent de le faire. L'État ne proposant pas assez de place, il aurait fallu accepter de voir des enfants dormir dehors, sous peine d'être accusé de venir en aide à des personnes en situation illégale. Ce sont eux qui font au moins ce qu'ils peuvent, en attendant que ça bouge, en espérant que ça change. Ce sont eux qui pour tout cela, méritent bien un hommage.
Le passage
« Aujourd'hui, je suis monté pour la première fois sur un camion pour leur demander de sortir. Les chauffeurs, anglais, avaient peur de le faire. Ils vont dans l'autre sens, vers la Belgique m'ont-ils dit, alors autant prévenir les migrants ». Noémie, membre de ces équipes associatives qui vont à la rencontre des campements ou des squats pour leur apporter du thé et du café le matin, me contait l'anecdote. « Au moins, cette fois-ci, ils n'étaient pas montés dans un réservoir de produits chimiques ! » Elle se rassurait en un sourire et un soupir mélangés, évoquant l'épisode de la veille qui risquait de préfigurer une tendance. Il fallait maintenant faire passer le mot chez les migrants.
Quelques jours plus tard, c'est au tour d'un camion citerne de décharger dans une station service ses dix-sept Égyptiens et Syriens qui croyaient pouvoir passer la frontière. Isolés de plus en plus, en petits groupes ou individuellement, ils ne peuvent plus bénéficier du peu de solidarité qui se mettait en place et faisait circuler toutes ces précieuses informations.
Affaiblis par l'évacuation des squats, les migrants sont livrés d'autant plus aux réseaux mafieux. Dans les quelques squats pas encore évacués, les passeurs réservent une place aux plus offrant, en attente du passage. Les tentatives pour passer la frontière, toujours plus risquées, ne sont que le pendant du durcissement voulu par les autorités. Mur jouxtant la mer, effectifs de police renforcés, contrôles du CO2 sous les bâches des camions… les moyens sont toujours plus nombreux et sophistiqués, et peu importe leur coût.
La dernière tendance, celle des camions frigorifiques, avait apporté son lot de rescapés et d'autres qui n'avaient pas eu cette chance. Et dans ces cas, aussi, les autorités publiques restaient froides. Quel nom apposer sur un drame, ou comment contacter une famille, quelque part à des milliers de kilomètres ? Il ne s'agissait dès lors plus que de payer vainement des frais d'obsèques ou de rapatriement du corps, à la charge des associations volontaires. Mais le sourire de mon amie me rappelait alors que l'important est toujours de faire quelque chose, et de continuer.
Quand il ne reste que la dignité
26 septembre 2013
« Je viens de rentrer de "l'aller-vers", cette opération qui consiste pour les associations à aller à la rencontre des migrants pour leur apporter, au moins, le thé et le café pour engager surtout la conversation. Ce matin, il s'agit de venir chercher à la demande de la police les "effets personnels" des migrants interpellés, afghans pour la plupart, suite à une "opération de police" demandée par le propriétaire d'un terrain industriel. Une fois les forces de l'ordre reparties, quatre migrants sortent des fourrés, épargnés par la rafle qui a emmené dix de leurs compatriotes au poste de police. Nous leur rendons directement leurs affaires, et ils décident de retourner de suite sur le site, maintenant que la police est partie. De toute façon, où aller ? Un peu de thé, quelques sacs de couchage pour les aider à affronter le froid et nous revoilà partis pour l'autre côté de l'autoroute. »
Là, campent trente à cinquante Afghans en permanence. Je suis venu prendre quelques photos pour agrémenter l'article et l'un d'eux m'interpelle en anglais : « we don't want you to take pictures, this is not a joke, you comme and take pictures, journalists etc. and then you make jokes about it. » Il en profite alors pour me montrer la blessure d'un de ses amis, pour qu'au moins l'on fasse peut-être quelque chose d'utile. Je comprends peu à peu que pour eux, la dignité reste plus importante que tout. Pourquoi accepter d'être exhibé dans la misère alors qu'ils disent à leurs familles que tout se passe bien, pour ne pas ajouter de souffrance à des situations déjà très dures pour tous. Comment ne pas comprendre cette demande élémentaire de respect. Je ne suis pas touriste. J'aimerais que la dénonciation du traitement que l'on inflige à ces êtres humains en exil permette enfin que ces personnes n'aient plus à cacher quotidiennement leurs effets personnels dans le sable pour éviter que les policiers ne leur les enlèvent lors de leurs « contrôles » quotidiens. Voilà pourquoi je m'autorise à en livrer des images, sans jamais figurer de visage. Peu de temps après notre arrivée, à la faveur d'un bouchon important entraînant une longue file d'attente de camions pour prendre les car-ferry vers l'Angleterre, tout le monde s'évapore en courant, cherchant une place pour passer la frontière tant convoitée.
Puis l'on continue à la rencontre des Syriens. Ils ont été expulsés par la police ce matin. Ils s'étaient installés les uns sur les autres sous la devanture de locaux désaffectés, là où l'on trouve un peu d'abris le soir quand il pleut en attendant le repas offert pas Salam. Un peu à l'abris de la pluie et du vent, un peu, mais surtout un peu trop près du centre-ville pour les autorités locales appelées par les voisins. Maintenant, l'abris a été entravé par des panneaux de bois. Ils n'ont aucune idée où dormir et ne comprennent absolument pas pourquoi ils sont traités de cette manière. L'un d'eux nous raconte s'être rendu à l'hôtel un soir. On lui demanda son passeport. Mais comment expliquer que celui-ci devait être en train de flotter quelque part entre deux eaux en méditerrannée avec des centaines d'autres ? Alors que le bateau surchargé les emmenait loin des côtes syriennes, il avait fallut jeter par-dessus bord la plupart des sacs pour éviter qu'on ne coule, sans plus de temps malheureusement pour faire le tri.
Et cette Syrienne, qui nous préparait si gentiment le café ce matin à la cardamome à la façon de chez elle, qui ressassait en pleurs que le passeur avait volé à sa famille 6000€. Et cet Afghan passé en Angleterre pour travailler 16 heures par jour et dormir dans l'appentis de son usine, mentant à tous ses proches par honneur de ne pas avoir fait tout cela pour rien. Maintenant il est rentré au pays, il a quitté ses attaches ici, cherchant tant bien que mal à vivre dignement quelque part. Et cet autre rabatteur qui profitait tout de suite de la situation pour l'orienter vers sa propre filière, vers la Suède, sans soucis de la misère, lui-même faisant cela pour se refaire, ayant épuisé toutes ses ressources à force de tenter de passer en Angleterre… Dans un tel contexte de misère et de précarité, il n'y a pas de bonnes intentions à Calais. »
« Calais accueille le monde »
Sur le bord de la route qui jouxte les locaux de la délégation du Secours Catholique, des panneaux de signalisation sont là pour le dire à qui veut bien l'entendre : « Pas-De-Calais, le Département accueille le monde ». La municipalité prend en effet bien soin de ses touristes, de cette manne de consommateurs sur lesquels s'appuyer pour créer des emplois. Pourtant, d'un point de vue économique, seules quelques petites industries avaient porté jadis des promesses qu'elles n'avaient jamais vraiment tenues. Elles avaient laissé derrière elles ces bâtiments abandonnés auxquels les migrants désormais donnaient une seconde vie en y trouvant refuge, habitant ces espaces vétustes, symboles de cette décadence que les autorités publiques cherchent à cacher.
Alors la police les en chasse, puis l'on rase un à un ces vestiges d'un bassin économique sinistré. Et pendant ce temps, le balai des ferries déverse en permanence son flot incessant d'étrangers désirables, offrant à la contemplation des uns la danse maritime qui transporte les autres. Les bateaux-immeubles s'incrustent à la grisaille bien en face de la plage, tandis que les odeurs de frite ont le mérite d'être toujours chassées par le vent. Sous ses plus beaux atours de cité balnéaire, la mairie mise sur le tourisme.
A contrario de cette stratégie économique un brin désuète, la politique sociale et humanitaire se voit offrir une réponse d'un autre ordre. L'effort semble avoir trouvé ici son inverse, la mauvaise volonté. Pour les migrants, une heure de marche est nécessaire, en moyenne, pour passer d'un lieu à un autre dans leurs parcours de vie quotidiens. Entre douches, accueil de jour, sous-préfecture, OFPRA ou repas du soir, ces quelques centaines de personnes ont le temps de repenser à ce qui les avait condamné à fuir.
Et que dire des journées passées à regagner la ville, quand la police les rejète à quelques dizaines de kilomètres de là, après leur avoir imposé ce que ses officiers nomment un simple « contrôle » ? Et pour les moins chanceux ayant vu leur demande d'asile rejetée, c'est le centre de « rétention » de Coquelles qui les attend suite à ces contrôles au faciès. À deux pas de l'entrée du tunnel sous la Manche, on y met les moyens pour renvoyer ces gens dans une « procédure d'éloignement ». En 2009, le rapport du Sénat à la commission des finances estimait le coût des reconduites à la frontière à quelques 415,2 millions d'euros, soit 20 970 euros par personne. Question de priorités.
De la dissuasion au déni de réalité
Calais est le point névralgique de passage de milliers de personnes chaque année, qu'on aggrave leur cas ou les aide. Contrairement au sous-entendu ambiant, nous ne faisons pas face à l'afflux de hordes étrangères. Les demandes d'asile en France sont dans la moyenne de ce qu'elles ont été depuis 1981, et l'Union Européenne enrégistre même un léger recul. Souhaitant instaurer des conditions de séjour dissuadant l'arrivée de nouveaux individus, les autorités françaises ne font que jeter à la rue des personnes qui fuient pour survivre. Contrainte par la loi, pourtant, d'offrir un hébergement aux demandeurs d'asile, la République française ne se dote pas de moyens suffisants pour ce faire, préférant assurer une politique de déni et de répression.
Cette situation, loin d'être tristement conjoncturelle, s'applique à la politique d'accueil de notre pays depuis plusieurs années. Le retour du délit de solidarité devant le tribunal du Havre fin août en témoigne, autant que ce qui se prépare et ressemble étrangement à une mise en scène médiatique où M. Valls pourra prendre le rôle qu'un petit prédécesseur avait su bien camper. On flatte l'électorat qu'on peut.
Certes, la moitié environ des migrants séjournant à Calais n'est qu'en transit. Pourquoi cherchent-ils à passer en Angleterre ? Tout d'abord, parce que le marché du travail libéral de nos voisins européens représente un véritable appel d'air pour une main d'oeuvre peu regardante, qui cherche désespérément les seules conditions de sa survie. Mais la cause d'un tel engouement ne s'arrête pas là. Au Royaume-Uni, quand quelqu'un obtient l'asile, il n'a que quelques mois de plus à attendre pour que sa famille le rejoigne. La même demande, en France, une fois la demande d'asile acceptée, prendra encore bien souvent plus d'un an.
Pendant ce temps, la loi leur garantie l'hébergement. Dans les faits, un tiers des demandeurs d'asile ont accès à un toit2. Souvent, on ne leur propose qu'une place en CHRS (Centre d'Hébergement et de Réinsertion Sociale), dédié d'ordinaire aux personnes en situation d'exclusion sociale. Dans le cas d'Amin, il n'a même pas le droit d'y rester la journée. Mais il s'estime heureux, lui au moins a un toit : aucun CADA (Centre d'Accueil de Demandeurs d'Asile) à Calais, le plus proche étant à Dunkerque.
Certains s'abandonnent pourtant quand même à une longue procédure en France. Ils continuent d'espérer. Peut-être feront-ils partie des 15 % de dossiers que l'agent de l'OFPRA, seul juge de leur sort désigné comme expert, fera entrer dans ses quotas après en avoir délibéré avec son chef de division des suites d'un unique entretien. Ensuite, s'ils ont les moyens de poursuivre leur attente sans plus d'aide financière, 15 % d'entre eux encore pourra peut-être prétendre à l'acceptation de leur demande suite à un recours juridique.
Ces personnes viennent de Syrie et ne demandent alors qu'une « autorisation de séjour pour raisons humanitaires » en attendant des jours meilleurs en leur pays. Elles font partie de ces Chrétiens du Nigeria qui fuient leur extermination par Boko Aram. Ce sont ces Soudanais et Érythréens qui s'exilent de pays en guerre depuis de trop nombreuses années. C'est cette jeune femme promise à un mariage forcé au Sénégal et qui demande l'asile, parce que sa sœur est morte et qu'elle devrait prendre sa place dans l'union maritale. C'est ce jeune Touareg illettré, brinquebalé entre conflits armés et milices, qui jure seulement de venger sa mère quand on lui annonce que sa demande d'asile est rejetée puisqu'il n'avait pas su prouver son séjour d'un an en Lybie. En effet, il n'avait pas su quoi répondre quand l'agent de l'OFPRA lui avait demandé l'âge du dictateur lybien à sa mort et le nom des clubs de foot de Tripoli. C'est une litanie sans fin d'exilés qui ne demandent que notre aide et à qui l'État français nie souvent les droits.
Établir un lien
Avec la reprise de l'expulsion systématique des squats sans solution de logement, les migrants, affaiblis et isolés, sont durablement éloignés des associations. Jusque là, un lien fragile pouvait encore se mettre en place. Quelques bidons d'eau quotidiens, du café, du thé, et le matin essayait d'avoir une saveur. Cela résumait l’approvisionnement en eau de ces quelques cents personnes réfugiées dans un hangar désaffecté. Mais parfois, cette visite permettait d'expliquer aux nouveaux venus comment les procédures se déroulaient, de les informer de leurs droits, de leur donner accès aux soins…
Là résidait ce lien d'humanité que l'on pouvait tisser dans un mélange d'anglais, d'arabe, de français, de pachto, de farci, de turc mais surtout de sourires. Un simple moment de partage où l'on pouvait discuter, où les migrants invitaient les membres des associations à manger avec eux, à partager un repas préparé sur une ancienne résistance d'un appareil à raclette sorti d'une poubelle. On oubliait chacun sa condition respective pour n'être que de simples humains qui bavardent. Or depuis les expulsions, ces rencontres se font dans la rue, elles ne permettent plus cette intimité. Les conversations se limitent alors aux éventuelles solutions d'hébergement qu'il n'y a pas, car le froid arrive et déjà la pluie rend les nuits extérieures difficiles.
Parfois, il fallait emmener à la Permanence d'Accès aux Soins de Santé quelqu'un qui souffrait de douleurs aigües à l'estomac. Une autre fois, il s'agissait de deux blessés. L'un d'eux s'était arraché le doigt, son alliance s'étant prise au grillage qu'il tentait de sauter pour passer dans la zone portuaire. L'autre s'était enfoncé dans le pied, sans trop savoir comment, un clou rouillé qui était ressorti de l'autre côté, marquant son corps à jamais d'un stigmate. On les déposait alors devant les locaux de la PASS, sorte d'hôpital de base à destination des personnes à qui l'on refuse, aussi, notre système de santé. Mis à l'écart jusque dans les locaux qui les accueillent en marge du site hospitalier, ils attendaient leur tour, à l'abri des regards.
Alors que faire ? Par exemple, commencer par faire passer le message ci-dessous. Et ainsi libre à chacun de faire circuler… une certaine idée du vivre-ensemble. C'est une solidarité sur laquelle faire société, ensemble plutôt que sur la peur de l'autre.
Besoin de vêtements, chaussures, couvertures…etc. pour les migrants de Calais qui dorment à la rue pour présenter une ville lavée de ses demandeurs d'asile. Ces personnes fuient des situations politiques et personnelles qui les ont poussées à traverser la moitié de la planète dans des conditions peu enviables. Malgré les obligations légales à loger une grande partie de ces personnes, l'État préfère les virer d'un hangar désaffecté pour les rendre moins visibles, car éparpillés. C’est le moment de faire le tri dans les armoires et de vous tenir informer pour que ça change ! En attendant que les pouvoirs publics prennent leurs responsabilités…
Quelques repères chronologiques :
Milieu des années 1990 : afflux de réfugiés venus d'Ukraine, puis du Kosovo, d'Afghanistan, d'Érythrée, d'Éthiopie, du Soudan, d'Irak, du Kurdistan… fuyant pour la plupart la guerre dans leurs pays.
1999 : Ouverture du centre de Sangatte tenu par la Croix-Rouge
2002 : Fermeture du centre de Sangatte
2009 : Destruction de « la jungle », campement précaire dans une zone de dunes où les migrants avaient reconstitué presque un village dans la ville, avec son épicerie informelle et sa vie de proximité. Près de 800 à 1000 personnes y auraient séjourné en permanence.
Depuis 2009 : Expulsions régulières des squats (deux fois par an environ), harcèlement policier et relative indifférence des media.
Début 2013 : Abrogation du « délit de solidarité »
Août 2013 : Présentation devant le tribunal correctionnel du Havre d'un membre d'une association accusé d'avoir fourni un faux certificat de domiciliation à une personne en demande d'asile à laquelle l'État ne fournissait pas d'hébergement.
Septembre 2013 : Expulsion des squats dans l'indifférence générale, dont la « beer house », hangar abandonné que le propriétaire ne réclamait pas, anciens locaux d'une entreprise qui commercialisait de l'alcool pour les Anglais et où s'étaient réfugié cent à deux cents personnes. Surveillance policière accrue pour empêcher systématiquement la formation d'autres squats.
Pour aller plus loin :
http://www.canalplus.fr/c-infos-documentaires/pid3357-c-special-investigation.html?vid=876124
http://mappemonde.mgm.fr/num22/lieux/lieux09201.html
http://blog.mondediplo.net/2013-05-09-A-Calais-la-France-dans-le-deni-des-migrants
http://www.medecinsdumonde.org/Publications/Livres/Des-hommes-vivent-ici
http://www.slate.fr/story/11945/les-expulsions-coutent-au-moins-4152-millions-deuros-par-maj
http://epp.eurostat.ec.europa.eu/statistics_explained/index.php/Asylum_statistics/fr
À voir ou à lire, si vous avez besoin de vous construire un ressenti sur tout ça :
« Ceux qui passent », Haydée Sabéran, 2012.
« Welcome », Philippe Lioret, 2009.
« Le Havre », Aki Kaurismäki, 2011.
1Les « aides au retour » s'élevaient à 3 millions d'euros en 2008, à raison de 2 000 euro par personne. Il faut y ajouter les 8 millions de frais de transport nécessaires à cette procédure ainsi que la mobilisation de la Ddass et des forces de police qui interviennent également dans la procédure.
2 Source : « Droit d’asile en France : conditions d’accueil, état des lieux 2012 », Rapport de la Coordination française pour le droit d’asile