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Il y a les lanceurs d'alerte traqués qui parviennent à survivre. Et il y a ceux dont le cri parvient alors qu'ils ont renoncé à vivre. Voici la parole bouleversante d'une jeune transgenre américaine de 17 ans, Leelah Alcon. Elle vivait près de Cincinnati dans l'Ohio. Elle a posté ces lignes sur son blog avant de se suicider sur une autoroute, le 28 décembre. Au-delà du pathétique, ce texte pose avec une lucidité implacable la nécessité pour les altérités humaines, aussi dérangeantes soient-elles a priori, d'être reçues, et entourées de toute la considération et protection juridique nécessaires. La moindre des choses est d'entendre ce qui nous est demandé ici : des actes politiques précis plutôt qu'un commode appitoiement.
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Si vous lisez ceci, c’est que je me suis suicidé, et qu'évidemment j’ai renoncé à supprimer ce post de mon blog.
Je vous en prie, ne soyez pas triste, c’est pour le mieux. La vie que j’aurais eue ne vaut pas d’être vécue… car je suis transgenre. Je pourrais rentrer dans le détail en expliquant pourquoi je ressens les choses ainsi, mais probablement cette note sera-t-elle déjà assez longue. Pour résumer, je me sens comme une fille piégée dans un corps de garçon, et je ressens cela depuis l’âge de 4 ans. Je n’ai jamais appris qu’il existait un mot pour ce sentiment, ni qu’il était possible à un garçon de devenir une fille, aussi je n’en ai jamais parlé à qui que ce soit, et j’ai juste continué à faire les choses censées être « garçon » pour essayer d’aller dans cette direction.
Quand j’eus quatorze ans, j’appris ce que signifiait le mot transgenre, et j’en pleurai de joie. Après dix années de confusion, je comprenais enfin qui j’étais. J’en parlai aussitôt à ma mère, mais elle réagit de manière extrêmement négative, en me disant que ce n’était qu’un épisode passager, que jamais je ne serais véritablement une fille, que Dieu ne faisait pas d’erreurs. Parents, si vous lisez cela, je vous en prie, ne dites jamais cela à vos enfants. Même si vous êtes chrétiens ou contre les transgenres, ne dites jamais cela à personne, surtout à vos enfants. Cela n’aboutirait à rien qu’à les porter à se haïr eux-mêmes. C’est exactement ce qui m’est arrivé.
Ma maman a commencé à m’emmener chez un thérapeute, mais elle ne me faisait rencontrer que des thérapeutes chrétiens (qui étaient tous très tendancieux), aussi je n’ai jamais rencontré le thérapeute dont j’aurais eu besoin pour soigner ma dépression. J’ai seulement rencontré davantage de chrétiens disant que j’étais égoïste et dans mon tort, et que je devrais me tourner vers Dieu pour implorer son aide.
Quand j’ai eu 16 ans j’ai réalisé que mes parents ne changeraient jamais d’avis, et que je devrais attendre mes 18 ans pour commencer un éventuel traitement de transition. Ce qui m’a totalement brisé le cœur. Plus on attend, plus la transition est compliquée. J’étais désespéré, je me voyais comme un homme mort pour le reste de sa vie. A mon 16ème anniversaire, quand je compris que mes parents ne m’autoriseraient jamais à commencer une transition, j’ai pensé me tuer.
Je commençai à développer une sorte d’attitude « allez vous faire foutre » (fuck off attitude) envers mes parents. Je compris qu’ils ne me voyaient que comme une gêne pour leur propre image, que je ne les satisferais jamais, je n’étais qu’un embarras pour eux.
A l’école, je pensai à m’afficher comme gay, dans l'idée que ce coming out serait mieux accepté, et préparerait mon affichage à venir comme transgenre. La réaction de mes amis fut plutôt très positive, mais mes parents me privèrent de portable, d’ordinateur, et de tout accès aux réseaux sociaux. Cela dura 5 mois, sans aucune relation avec mes amis. C’était l’été. Ma dépression grandit. Je ne connus plus que la solitude.
Après, j’eus l’autorisation de mes parents de retrouver mes amis sur les réseaux sociaux. Ils en furent heureux, pourtant je réalisai que je n’étais plus rien pour eux, je crois qu’ils ne pensaient plus à moi dès lors qu’ils ne me voyaient plus cinq fois par semaine.
Je pense que je ne trouverai jamais un ami qui puisse me satisfaire, ni une amie qui me comprenne, ni un homme qui m’aime. Je serai, soit un homme qui se hait lui-même, soit une femme seule et sans amour. Ma dépression est toujours plus grande. Chaque jour est pire que le précédent.
Ma dernière volonté est que le produit de la vente de 100% de ce que je possède légalement (plus l’argent de mon compte en banque) soit donné à un collectif de transgenres en lutte pour leurs droits civiques et à des groupes de soutien. La seule condition qui permettrait que je repose en paix serait qu’un jour, les transgenres ne soient pas traités comme je l’ai été, mais qu’ils soient considérés comme des êtres humains, avec des sentiments légitimes et des droits humains. Il est nécessaire que le genre soit appris à l’école, le plus tôt est le mieux. Ma mort doit signifier quelque chose. Ma mort doit être comptée parmi celles des transgenres qui se sont suicidés cette année.
Adieu,
Leelah [Josh] Alcon
PS : Leelah, dans son post sur Tumblr. com, a barré Josh, son nom de baptème. J'ai trouvé et traduit son texte ce 1er janvier, sur un lien indiqué par Carine Fouteau dans son dernier article sur les cargos de migrants en Méditerranée :http://news.yahoo.com/human-trafficking-7-bln-business-along-main-routes-152120057.html
Depuis deux jours, le lien de Leelah sur Tumblr.com s'ouvre sur les centaines de messages de nombreux adolescents bouleversés, avec un débat parfois houleux envers la famille. Cette dernière, je crois, a fermé la page où figurait la "Suicide note" de Leelah, cependant reprise sur certains sites : https://www.tumblr.com/search/leelah+alcon