(C'est un petit essai datant de 2005... publié ici une première fois il y a un an. Les publications et débats actuellement en cours m'invitent à le rééditer...)
Contre le dogme d’une laïcité inodore, incolore et surtout indolore, dogme fondé sur le mythe d’un équilibre originel idéal atteint en 1905, au nom duquel ne saurait être considérée comme rationnelle et acceptable qu’une laïcité consensuelle et définitive à vocation d’outil au service d’une paix républicaine gravée dans le marbre, je voudrais proposer une laïcité en marche et combative.
Je l’imagine comme un trait d’union entre l’héritage des « Lumières » et l’utopie démocratique telle que nous sommes aujourd’hui légitimement fondés à la concevoir au nom des principes de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme intervenue depuis.
Cette laïcité n’a pas vocation à justifier un quelconque conservatisme au nom duquel il faudrait préserver je ne sais quel prétendu acquis, fondé sur l’exclusion formelle du fait religieux du champ politique. Le fait religieux en est, en principe, exclu.
Soit, mais...
Par définition, la croyance religieuse déiste postule la transcendance d’une volonté et/ou d’une puissance surnaturelle.
Souscrire à l’une quelconque des formes de cette croyance surdétermine l’orientation de toutes les autres formes de l’engagement spirituel (engagement de l’esprit), qu’elles soient politiques, éthiques, ou philosophiques.
Il est donc nécessaire d’aller au delà du formel de ne pas nous contenter des illusions apaisantes et rassurantes qu’il nous prodigue.
Par ailleurs nous savons bien que toute vérité politique ou sociale est inscrite dans son contexte et qu’à ce titre elle n’est que relative. Ce n’est donc que par et à travers son inscription dans le mouvement permanent de l’émancipation humaniste qu’elle prend sens et peut échapper à l’impasse du relativisme.
Le rapport de force établi en 1905 qui a conduit à l’adoption de la loi de séparation des églises et de l’état a été modifié (par définition) par l’adoption même de cette loi.
Autrement dit, l’adoption de la loi de séparation ne doit être interprétée que comme l’acte marqueur d’un point d’équilibre atteint à un moment donné (fugace) par l’expression politique des tendances contradictoires qui s’expriment dans le continuum de l’évolution de la pensée philosophique et politique.
Un siècle après, où en sommes-nous ? Pouvons-nous, devons-nous postuler qu’il s’agissait de la fin de l’histoire, de la fin de l’évolution de la pensée ?
Et pourrions-nous être sûrs en considérant comme indépassable cette laïcité héritée que nous serions réellement fidèles à l’esprit de ceux qui surent en leur temps combattre pour établir le rapport de forces et être en même temps assez clairvoyants pour saisir l’opportunité de capitaliser leurs acquis à usage des générations futures à travers la loi républicaine ?
Bien sur que non !
Tout ce que l’homme fait, il peut le défaire.
C’est à la fois la raison et la philosophie de notre engagement, la raison et la philosophie des Droits de l’homme, la vraie fidélité qu’il faut entretenir.
Alors il faut poursuivre.
Et pour cela je crois qu’il faut d’abord acter le formidable élan de laïcisation de notre société qu’a inauguré la promulgation de cette loi de séparation venue compléter les lois relatives à l’instruction publique qui l’avaient précédée de quelques années.
N’ignorons pas la puissance et les résultats des efforts consentis et du travail réalisé par tous les citoyens militants laïques sur des générations, investis dans l’appareil scolaire et ailleurs (déistes ou non, peu importe) grâce auxquels notre pays est sorti du bourbier de la religiosité et des superstitions associées à la vieille tradition catholique romaine.
Les résultats tangibles sont immenses : les églises ne sont plus intouchables, l’intolérance sectaire ne s’impose pas sans mal, la perte d’influence du catholicisme est évidente, et les difficultés de reconnaissance (ou d’acceptation) de l’islam ne reposent en fait que sur des question certes très importantes par leurs incidences culturelles et sociales mais en réalité périphériques au cœur même de la différenciation originelle, Dieu ou Allah l’appellation n’est plus en question et c’est bien.
Car aujourd’hui et c’est me semble-t-il le résultat le plus important : le fait religieux lui même n’est plus tabou.
Il est désormais possible d’en débattre, sans être condamné, il est possible d’échanger, de discuter, de polémiquer sur l’existence ou non de dieu, librement. Et ce n’est pas sans intérêt.
Je fais parti de ceux qui pensent que c’est là un acquis, à partir duquel il faut aller plus loin, dans le droit fil de cette émancipation de l’homme par celle de sa spiritualité immanente, inscrite aussi bien dans la création artistique que dans celle des concepts.
Et je pense qu’il faut aller plus loin non pas, pour imposer un athéisme généralisé, non pas pour interdire à ceux qui ont besoin ou envie de croire de le faire, c’est un droit imprescriptible, mais pour éradiquer définitivement l’emprise des églises comme instruments de pouvoir sur les consciences et non plus seulement comme appareils capteurs de biens et de pouvoirs temporels.
Dans la lutte pour l’émancipation de l’homme, en réalité des individus, et pour l’affirmation de la souveraineté du citoyen, il reste à nous dégager de l’influence des églises en tant que telles.
Les églises restent par définition des appareils capteurs des consciences, au service d’intérêts qui échappent (toujours par définition et en vertu même de la loi de séparation), au contrôle citoyen et qui en conséquence sont susceptibles de les détourner du service de l’intérêt général tôt ou tard.
Il y a là une incompatibilité irréductible avec notre utopie démocratique.
A ce point il y a lieu de réaffirmer sans ambigüité, mais sans angélisme, la distinction essentielle entre église et religion qui doit en permanence éclairer nos jugements.
Je pense que tous les débats, toutes les polémiques, tous les combats sur ou contre les rites religieux, les règles morales ou sociales prônées par les différentes confessions sont légitimes et nécessaires (du voile, à l’excision ou tout simplement au célibat des prêtres catholiques) mais il faut en réalité plus, beaucoup plus, car aussi nécessaires soient-ils, ils n’aboutiront pas ou que très partiellement voire temporairement, si simultanément et même d’abord n’est pas mené (repris) le combat majeur contre les églises et leurs cléricatures en tant qu’institutions et forces d’asservissement collectif des esprits.
Aucun individu n’a le droit de s’imposer à d’autres en qualité de directeur de conscience : c’est le corollaire peut-être le plus important de la Déclaration des Droits.
C’est le fondement de la promesse humaniste, c’est l’utopie qu’il faut indéfiniment poursuivre.
Mais pour reprendre et avancer dans ce combat, il faut s’attaquer à la racine du mal.
Laissons en paix avec eux-mêmes ceux qui ont envie ou besoin de croire mais pas avant de les avoir sollicités, d’avoir sollicité leurs consciences.
Si leur désir ou leur besoin s’avère intime, il n’y a que du respect à exprimer.
Si par contre ce désir ou se besoin s’exprime en réponse aux désordres du monde, aux injustices sociales, aux conflits collectifs de toutes natures alors il y a matière à débattre et à convaincre pour substituer le citoyen au déiste. Et faire enfin advenir un nouvel ordre de rationalité.
Ainsi me semble-t-il peut-on poursuivre le chemin vers cette spiritualité universelle dont le 21ème siècle ne pourra se passer, pour « re-lier » l’humanité, sauf à sombrer définitivement dans la mécréance mortifère et le chaos suicidaire que nous impose le matérialisme consumériste.
Et, définir ainsi la laïcité, comme l’éthique et l’esthétique de l’athéisme en quoi consiste l’humanisme.
En conclusion de ce petit essai personnel, qui date de 2005, j'avais alors cru bon de préciser que l'avenir du principe de laïcité dépendrait certainement de la capacité de ses tenants à se libérer du "franco-centrisme" naturellement hérité de ses origines.
Je vois que c'était en fait un point majeur que je n'aurais pas du supprimer.
Aussi gratifiantes puissent être nos querelles intestines au petit jeu de la polémique, je pense en effet qu'elles n'ont réellement aucun sens au regard de la réalité des enjeux culturels et idéologiques qui se jouent désormais à l'échelle planétaire. Pire, elles nous écartent de la compréhension de ces enjeux.
Une autre façon d'aborder cette question :
l'attitude défensive ne peut être le fait que de celui qui a quelque chose à perdre.
Face à quoi ?
Face à qui ?
Dans quel contexte ?
Alors se pose pour la laïcité la question des solidarités à construire pour rétablir le rapport de force à la bonne échelle et envisager l'avenir, non pas depuis un bunker assiégé et tôt ou tard submergé, mais comme la promesse de conquêtes à partager.