Encore faut-il y croire.
Ici, sur Médiapart comme ailleurs, toutes les tares et les dérives du PS ont été analysées, toutes les raisons de ses échecs successifs aux élections nationales exposées, et toutes les hypothèses pour conduire son redressement produites.
Pourtant et en dépit des évidences, en dépit surtout des impératifs du moment, flotte à mon goût sur tout cela, comme une atmosphère d’abdication, de sourde fatalité et de désir collectif suicidaire.
Quelques incantations, la plupart du temps, vite submergées par l’entre-soi, la petite cuisine des féodalités, la spéculation stratégique franchouillarde à court terme et la controverse généalogique qui tiennent lieu de motifs à débats, paradoxalement aussi savants voire érudits qu’abscons et improductifs… drôles de façon de redonner espoir. Une sorte de sclérose, de nombrilisme collectif, de ratatinement obsessionnel, étouffant, inféodé, à toutes les strates de l’appareil calquées sur la hiérarchie de nos territorialités nationales, à l’idéologie du présidentialisme régressif gaullien et de la communication mercantile néocon mélangées.
Et si tout cela n’était en fait qu’inventaire de symptômes ? Finalement assez éloigné des exigences du moment. Car enfin, toutes ces analyses contradictoires, toutes ces démonstrations antagonistes ne peuvent conduire, in fine, qu’aux procès d’intention ou au mépris. Autrement dit à la débandade.
Et c’est bien ce que nous voyons en effet, or c’est exactement de l’inverse dont nous avons besoin.
L’hypothèse tant de fois évoquée et invoquée, d’un parti inféodé à ses élus, voire asphyxié par eux est donc séduisante. Elle explique en effet bien des choses. Mais, sauf à piétiner la démocratie, je crois qu’elle aussi n’est en fait que secondaire ; « on a les élus qu’on mérite ». Ils sont par définition représentatifs donc légitimes.
Et il faut donc chercher ailleurs.
Le vrai défi pour nous, pour la gauche en général et le PS en particulier, ne serait-il pas simplement de retrouver notre raison d’être ?
1. en proposant une lecture critique du réel, radicale, globale et cohérente
2. en portant pour l’avenir une projection réaliste mais très ambitieuse, lisible à court et long termes
Et je crois que nous devons pour cela remettre en cohérence ou réarticuler : la vocation universaliste de la pensée rationnelle, l’ambition humaniste et le principe de progrès.
A première vue, ces grands mots peuvent prêter à sourire. Mais ces sourires ne sont-ils pas justement révélateurs du premier obstacle à contourner, obstacle que je propose d’exprimer provisoirement sous la forme de deux propositions relatives :
- il n’est pas possible de gérer le réel et simultanément d’anticiper sa transformation,
- il n’est pas possible de gérer le local et simultanément de penser le global,
et d’une conclusion transitoire : il n’est pas raisonnable d’attendre de la part d’élus empêtrés dans l’exercice du pouvoir le renouveau qui s’impose.
Autrement dit, non seulement nous avons les élus que nous méritons, mais les accabler ne sert en fait qu’à mieux nous exonérer de nos propres responsabilités citoyennes, à nous disculper, voire, en nous complaisant dans la fonction de supporter ou de groupie de tel ou tel, à les instrumentaliser dans l’interprétation consumériste malsaine du politique que nous propose « la société du spectacle »… pour le plus grand profit de tous les conservatismes.
Nombreux parmi nous sont ceux qui d’ailleurs ont déjà indirectement exprimé ce même diagnostic en rappelant qu’un leader n’est jamais que la figure dans laquelle vient s’incarner à un moment donné un mouvement de fond, une aspiration de masse, un nouvel état de la conscience collective. Corollairement, il a également déjà été dit, et je crois à juste titre, que la classe politique avait toujours un temps de retard sur les évolutions profondes, quasi souterraines de la société.
Toute la question serait donc aujourd’hui de réalimenter la dynamique de la projection par une ressaisie du politique, authentiquement populaire et démocratique.
L’aventure du référendum sur le traité constitutionnel européen est à cet égard tout à fait symptomatique, les mobilisations sociales de l’hiver et du printemps 2009, la dynamique d’Europe Ecologie aux dernières européennes le sont tout autant.
La société bouge, elle est inquiète, en demande, elle est en attente.
(« Accessoirement », cela devrait nous convaincre aussi de renvoyer définitivement au cimetière des totalitarismes l’illusion des avant-gardes éclairées et dirigeantes.)
Autrement dit, repolitiser l’opinion, repolitiser nos consciences, nous repolitiser ; et dépasser enfin l’incertitude si ce n’est le vide idéologique qui nous accable depuis la fin proclamée des utopies.
Pour pouvoir désirer notre avenir, il nous faut d’abord le réenchanter nous-mêmes.
A gauche, la crise est avant tout une crise morale (et comme il a aussi été analysé depuis longtemps, cette crise morale affecte en réalité l’ensemble de la société, l’attente est donc forte et la fenêtre de tir évidente).
La crise morale
Pour la gauche, le nœud de cette crise morale me semble se situer dans la rencontre conflictuelle de la « nouveauté » des désordres du monde et de leurs articulations, auxquelles elle doit se confronter, et de l’héritage conceptuel dont elle dispose qui ne lui permet ni d’en faire une analyse correcte, ni de projeter leur résolution, c'est-à-dire de concevoir la suite, autrement dit encore, de formuler une véritable alternative intellectuellement crédible et satisfaisante.
Pourtant, je crois que les ingrédients sont là, à notre disposition. Ce sont les fruits, à la fois des leçons de l’histoire, des nouvelles pratiques sociales et culturelles, des avancées de la recherche et des productions de la pensée contemporaine.
Quelques pistes à creuser pour avancer (début d’inventaire) :
1. En premier lieu, je crois que les traditions religieuses et philosophiques dont nous sommes les héritiers nous ont enfermés dans une alliance paradoxale et rédhibitoire, celle d’un idéalisme fondamental, qui doit autant aux monothéismes qu’à Platon ou Kant, sur lequel est venu s’incruster un matérialisme « moderne » mutilateur et stérile.
Cette double ascendance nous condamne à l’irréalisme de pensées totalisantes ou fermées, d’analyses manichéennes ou exclusives et de projections univoques ou définitives.
Elle nous interdit les principes d’incertitude et d’aléa, elle nous écarte des ambivalences du réel, et de ses complexités dynamiques.
Elle nous éloigne surtout de l’humain.
Il faudrait je crois nous en débarrasser, définitivement.
2. Je crois également que notre pratique du politique est prisonnière d’un concept aujourd’hui archaïque, celui de l’Etat-Nation, hérité des monarchies dynastiques de l’ancien régime et des révolutions du 18e siècle, éreinté par le 20e et finalement instrumentalisé au dernier degré par le libéralisme capitaliste ( cf. « La nouvelle raison du monde » de Laval et Dardot), après lui avoir servi de rempart contre le socialisme internationaliste.
L’Etat-Nation est désormais disqualifié par la crise écologique comme par la mondialisation capitalistique de l’économie ou encore l’extension planétaire des réseaux d’information et de flux culturels, aussi bien en tant qu’incarnation suprême du « bien commun », que matrice de légitimité, ou qu’outil d’exercice réel d’une souveraineté démocratique efficiente, tout simplement.
Il ne peu plus être le support exclusif d’un projet politique efficace et intellectuellement satisfaisant.
Il faudrait je crois, sans pour autant les ignorer, réévaluer singulièrement à la baisse les enjeux stratégiques qui lui sont traditionnellement attachés dans nos constructions.
L’incapacité à saisir l’opportunité de la manœuvre à visées idéologiques évidentes et profondément réactionnaires, en quoi consiste l’actuel débat sur l’identité nationale, pour en retourner le sens et faire œuvre de pédagogie, est à cet égard particulièrement significative de cet enfermement rédhibitoire.
3. Toute aussi importante et parmi les plus grandes perversions qu’il porte en lui, le matérialisme enfin, nous a directement conduits au consumérisme, c'est-à-dire à cette forme de réduction de la vie qui consiste à ne plus savoir exister qu’à travers ce que l’on possède. Les conséquences culturelles me semblent plus dramatiques encore que les effets dévastateurs sur l’environnement communément dénoncés, car elles hypothèquent très largement la possibilité de ce sursaut du politique pourtant si nécessaire, en participant de sa négation. Le lien n’est-il pas direct en effet entre consumérisme et clientélisme ? Et le clientélisme n’est me semble-t-il rien d’autre que la négation cynique du politique, l’expression du désenchantement nihiliste d’un monde définitivement borné à l’horizon du matérialisme.
Il faudrait sur ce thème exercer non pas notre droit, mais notre devoir d’inventaire, interroger singulièrement le rôle « éducatif » joué depuis les années 60 et l’enterrement du programme du CNR, par le mouvement social dans son entier (syndicats, mutuelles, mouvements associatifs et partis politiques), et procéder à de sérieuses mises à jour.
Pour en sortir :
1. En finir avec l’exigence d’un idéal projeté et formaté. En finir avec la désespérance d’un lendemain radieux toujours repoussé et avec la fatalité du chemin de croix quotidien.
La fin de l’histoire, nous le savons tous, est un non sens, tout comme l’aboutissement de la connaissance.
L’état de crise n’est pas un état passager qu’il faut combattre dans l’espoir d’atteindre une perfection définitive, mais le principe actif et immuable de l’univers, comme du vivant, comme de la connaissance que nous en avons, et comme du progrès ou du devenir historique.
Notre "idéal" ne peut donc pas être la perspective lointaine de la cité parfaite ; il ne peut être que la jouissance au présent du principe de progrès en action :
- par le renouvellement infini de nos constructions
- en réponse à l’infinité des complexités à découvrir
- et à l’incertitude incessante des lendemains
2. A l’évidence, la notion même de progrès et l’exercice de projection progressiste au plan national n’ont plus aucun sens. L’horizon fermé de la nation ne peut qu’être porteur de défense, de peurs, de protection, c'est-à-dire de conservatisme… ou pire. L’exigence progressiste de l’universalisme doit enfin s’imposer, elle impose en retour le renouvellement des constructions, des stratégies et du discours politiques.
3. Il s’agit pour autant de ne pas tomber dans le relativisme ambiant, et de souscrire à l’abandon de toute forme de transcendance, bien au contraire. Il s’agit de réaffirmer quelques points d’ancrage et de nous réarmer idéologiquement. Les questions relatives au marché et/ou à sa régulation sont bien sûr très importantes, elles ne sont pas essentielles ; les questions relatives aux institutions, à la souveraineté, et à la démocratie sont de la même façon très importantes mais trop souvent confondues elles aussi avec l’essentiel.
En réalité ces mots ne peuvent faire sens qu’en déduction de l’affirmation préalable d’une conception de l’humanité et de son histoire et par voie de conséquence, en regard d’une projection possible de son avenir. Je crois qu’il nous faut recommencer par là.
Contre le cynisme suicidaire généralisé, il nous faut réaffirmer que l’individu humain n’est autre :
- qu’un être de culture en capacité de se construire indéfiniment,
- qu’un être social fort de ses seules solidarités.
Il n’est donc que le produit de sa propre vie, et son avenir à titre individuel comme à titre collectif ne relève que de sa seule responsabilité.
Pour commencer :
Indissociabilité des responsabilités individuelles et collectives, impératif universaliste, incertitude infinie de l’avenir mais certitude de l’infinité possible du progrès : tels pourraient être me semble-t-il (ou devraient être) les ingrédients fondamentaux d’une projection politique de gauche renouvelée.
Comment les associer, comment penser et tisser les liens, quelles hypothèses pour les ajuster, et aujourd’hui refaire sens, politiquement ?
Si ce n’est à travers l’affirmation d’une rationalité renouvelée, fondamentalement humaniste. C'est-à-dire une rationalité de l’individu humain et de la société planétaire des humains (tels qu’ils sont, dans la complexité de leurs relations et des relations qu’ils doivent assumer à leur environnement) à la fois comme unique moyen et comme unique fin de son exercice.
Une rationalité exclusivement fondée sur la promesse infinie d’humanité, par la culture à l’infini de l’humanité.
C'est-à-dire encore, une rationalité de l’être et non de l’avoir, de l’éducation et non du culte.
Une pensée enfin libérée des répulsions irrationnelles trop longtemps entretenues entre transcendance et immanence, comme entre idéalisme et réalisme ; mais qui sache au contraire s’inscrire au dessus de ces champs de tension, comme sur un terreau nourricier.
Toujours des grands mots, oui, peut-être, mais qui marquent me semble-t-il les dépassements à opérer ou les frontières à franchir pour produire à nouveau du sens, réenchanter le politique et l’avenir.
S’engager :
Tout cela en effet n’est finalement qu’une question de sens, de direction, de boussole.
Dire où est le cap, et avec ambition s’engager, ouvrir et montrer le chemin au lieu de promettre une issue.
Et dans cette perspective il faudrait je crois ne plus bruler les étapes, ne plus marchandiser la politique à coups de proposition et de catalogues de mesures en concours, ne plus participer ainsi à ce mépris du citoyen et à cette déconstruction pernicieuse de la démocratie qui consistent pour les appareils politiques à confisquer la fonction critique au lieu de la mobiliser, de l’animer et de la structurer. Or c’est à l’évidence cette stratégie suicidaire que nous poursuivons, cette stratégie qui se retourne contre ses instigateurs et les désigne logiquement comme objet de cette critique qu’ils prétendent illusoirement monopoliser. Et c’est bien fait !
La politisation du peuple, c'est-à-dire l’invention puis l’émancipation du citoyen (critique) est certainement la grande conquête historique, de notre république.
La faire fructifier, devrait être l’obsession de la gauche dont elle est la véritable substance ; et pour l’immédiat il s’agirait bien en la cultivant de la sauvegarder car c’est bien elle, au fond, que remet en cause le projet de cette « droite décomplexée » aux origines inavouables, cette droite funeste, foncièrement anti démocratique et anti républicaine qui ne s’est approprié la république que pour mieux pouvoir la détruire. (Ce n’est je crois que le film dont nous sommes les figurants.)
Pour cultiver le citoyen et ne plus bruler les étapes, je crois donc qu’il nous faut reprendre et partager la parole, redevenir acteurs, faire du « socialisme hors les murs » notre quotidien, ne plus déléguer à priori et commencer par le début : qu’avons-nous, tous et chacun, à dire de notre monde ? Quel sont nos diagnostics, quelles sont nos analyses ? Sommes-nous capables de nous accorder, d’établir des hiérarchies et des priorités ?
Alors il sera temps, rationnel, possible et efficace de projeter à nouveau collectivement.
Puis de déléguer.
Serait-ce vraiment aujourd’hui, l’identité nationale, l’avenir politique de Ségolène Royal ou de Vincent Peillon, qui doivent nous préoccuper ?