Ce qui s'est passé, hier, à la Chambre des Communes est une première dans l'histoire parlementaire britannique et a volé la vedette à la visite annuelle de la reine, The Queen's Speech, qui marque le début de la session parlementaire, et au cours de laquelle le souverain lit les grandes lignes de la politique générale tracée par le premier ministre.. Le député conservateur d'Ashford, dans le Kent, Damian Green a été arrêté, au parlement, par la police britannique, qui a procédé à une fouille en règle de son bureau. Deborah Summers, journaliste au service politique du Guardian, révèle cette étrange affaire dans l'édition du 4 décembre.
Qu'est-il donc reproché de si grave à cet ancien journaliste spécialisé dans la finance, élu député depuis 1997 dans cette circonscription située à 20 kms à l'ouest de Canterbury et ministre de l'immigration dans le gouvernement fantôme de David Cameron depuis 2005 ? Il est, d'après les informations recueillies par le Guardian, accusé de menace à la sécurité publique. Ce chef d'accusation ne fait pas pour autant de cet honorable parlementaire un dangereux terroriste et beaucoup de britanniques se demandent aujourd'hui à quoi rime ce tapage, qui a fait passer à la trappe, dans les médias, le plan de relance de Gordon Brown, plat de résistance du Queen's Speech, au grand dam du premier ministre.
Damian Green aurait organisé la fuite de quatre documents officiels considérés comme sensibles : tout d'abord une série de notes internes au ministère de l'intérieur et adressées à la ministre, Jaqui Smith, relatives aux emplois occupés à Whitehall [grande avenue perpendiculaire à Downing Street qui conduit au parlement et raccourci métonymique qui désigne le pouvoir à travers une zone géographique] par des immigrés en situation illégale ; ensuite, un courriel envoyé par le secrétaire d'état, Liam Byrne, à sa ministre, Jaqui Smith, pour l'informer qu'un immigré brésilien avait été embauché au parlement sur la base d'une fausse carte d'identité (brésilienne), information publiée, incidemment dans le Sunday Telegraph du 10 février 2008 ; puis, la copie d'une lettre adressée par Jaqui Smith, décidément très à l'honneur, à son premier ministre pour lui dire que la récession allait faire augmenter la criminalité ; enfin, une liste de députés travaillistes opposés à la détention jusqu'à 42 jours de tout présumé terroriste.
Non seulement tous ces faux tuyaux étaient connus, mais, en plus, une immense majorité de députés, conservateurs et travaillistes, considèrent que Green a fait son travail de ministre fantôme de l'immigration et qu'il n'y a pas de quoi fouetter un chat. Il semble, d'après Deborah Summers, que ni Gordon Brown, ni sa ministre de l'intérieur n'étaient au courant de cette initiative de Scotland Yard, ce qui laisse perplexe. Circonstance aggravante, qui est en train de semer un émoi considérable à Westminster, la police n'avait pas de mandat d'arrêt et n'avait aucun droit de pénétrer dans l'enceinte du parlement. La responsabilité du Speaker, équivalent du président de l'assemblée nationale, Michael Martin, qui a laissé cette opération se dérouler, est lourdement engagée.
Damian Green a été interrogé pendant neuf heures à Scotland Yard, mais en présence de l'avocat du parti conservateur. Selon son site, l'entretien a été long et correct. Il n'a donc pas eu à subir les outrages endurés par Vittorio de Filippis de ce côté-ci de la Manche. Il est, néanmoins, permis de se demander si certaines démocraties occidentales ne sont pas entraînées sur une pente extrêmement dangereuse.