Au Royaume-Uni, le parti conservateur a pris l’habitude d’organiser, chaque année au mois de février, une soirée, dîner dansant en fait, afin de lever des fonds auprès de richissimes britanniques et étrangers. Jusqu’à présent, ces rencontres faisaient l’objet d’une discrétion telle qu’elle frisait l’organisation secrète, dont la presse britannique était soigneusement tenue à l’écart.
Mais en juillet, le Bureau of Investigative Journalism et le Guardian, à force d’enquêtes approfondies, ont levé une grande partie du voile tendu par les Tories au-dessus de ces juteuses soirées qui ne peuvent que laisser pantois les sujets de sa toujours gracieuse majesté, en particulier les infirmières du National Health Service dont 15.000 postes sont menacés de suppression par le ministre conservateur de la santé, Jeremy Hunt.
Donc, en février 2013, 570 invités se sont retrouvés au Old Billingsgate Market, ancien marché aux poissons situé au bord de la Tamise à hauteur de London Bridge et transformé en centre de conférences au milieu des années 1980. Le droit d’entrée, en quelque sorte, à cette soirée entre riches amis était de 12.000 livres sterling, soit environ 15.000 euros. On ignore quel était le menu, mais l’ensemble des participants non élus, oligarques, chefs d’entreprise, représentait quelques 22 milliards cumulés. Au-delà des chiffres qui donnent le tournis, c’est la méthode qui pose problème dans un régime de présumée démocratie parlementaire et, surtout, le manque d’éthique et de discernement dans le choix des invités, qui étaient assis en compagnie de ministres et, en particulier, du premier d’entre eux.
Ainsi, Ian Duncan Smith, ministre du travail et des retraites qui a mis en place des coupes budgétaires sévères, Theresa May, ministre de l’intérieur, et George Hollingberry, député de Meon Valley dans le Hampshire, partageaient la même table que Philip et Dominic Wilbraham, directeurs financiers de CLC Finance, organisme de prêts bancaires qui pratiquent des taux exorbitants et dont la famille a déjà versé plus de l’équivalent de 35.000 euros au parti conservateur, par l’intermédiaire de Wilbraham Securities, entreprise de crédit aux particuliers. Donc Ian Duncan Smith réduit les aides de l’état aux britanniques les plus en difficulté et, dans la famille Wilbraham, on prête aux mêmes britanniques à des taux très élevés. A une table voisine se trouvait Kris Hopkins, à l’époque ministre du logement, qui dînait, lui, avec Bruce Ritchie et Paul Mumford, respectivement associé de Marco Pierre White et conseiller de Candy Brothers, deux entreprises spécialisées dans l’achat de logements dans Londres intra-muros pour le compte de riches étrangers.
Le premier ministre, David Cameron, et son épouse Samantha accueillaient à leur table Lord Chelsea, un des plus gros propriétaires terriens de Londres, dont la fortune personnelle est évaluée à 4 milliards de livres sterling. Le ministre de l’énergie, Michael Fallon, avait, quant à lui, pour commensaux deux des directeurs d’une entreprise spécialisée dans l’exploitation de l’énergie pétrolière offshore et qui ont fait des dons récents à des députés conservateurs élus dans des circonscriptions dont les électeurs réclament des éoliennes. Le hasard est vraiment plus fort que le vent. Sir Alistair Graham, l’actuel président, pourtant conservateur, de la commission des règles de la vie publique, s’est insurgé contre ces coupables rapprochements, ce qui semble logique, car s’il y avait six milliardaires et quinze personnes dont la fortune excède les cent millions de livres sterling, certains participants ne semblaient pas réunir les conditions requises pour que la morale soit pleinement respectée.
Parmi les nombreux invités se trouvait Vasily Chestakov, qui ne parle pas un mot d’anglais et dont l’unique titre de gloire est d’être le partenaire de judo de Vladimir Poutine et un auteur qui pourrait faire de l’ombre à Valérie Trierweiller, puisqu’il a notamment publié un ouvrage majeur, dont on attend avec impatience la traduction, Apprendre le judo avec Vladimir Poutine. A la table de Boris Johnson il y avait le banquier Andreï Borodine qui a fui la Russie en raison d’un détournement évalué à 220 millions de livres sterling. Boris Johnson avait profité de l’occasion pour attribuer à Chestakov le titre de citoyen d’honneur de la ville de Londres. On se demande bien pourquoi avec de tels titres de noblesse la récompense a échappé à Borodine, il s’agit d’un traitement tout à fait injuste de toute évidence. Rappelons qu’en 2010, lors de la campagne pour les élections législatives, les mots d’ordre de Cameron et des Tories étaient fair, trust and change, littéralement l’équité, la confiance et le changement…