Le point de départ de ce billet est l’article publié par Mme Elisabeth Roudinesco sur son « mur Facebook » le 17 janvier dernier.
Cet article prétend en commenter un autre, intitulé « L’autisme : la psychanalyse au pied du mur », écrit par Laure Mentzel et paru dans Le Monde du 13 janvier.
Rappelons brièvement le contexte :
« Le Mur » est un documentaire dont le sous-titre « La psychanalyse à l'épreuve de l'autisme » annonce clairement le sujet. Pour plus de précisions sur les conditions de sa réalisation, sa sortie, son « accueil » et le buzz dont il a été l’objet sur Internet, je renvoie à l’un de mes articles précédents, à celui-ci « Autisme : « Le Mur », docu qui dérange des psys français », paru sur le site Rue89, et bien sûr à celui de Laure Mentzel évoqué plus haut.
Le documentaire a tellement dérangé certains de ses protagonistes que trois d'entre eux [1] sont allés jusqu’à porter plainte contre Sophie Robert pour que la diffusion du documentaire en question soit interdite [2] !...
L’histoire aurait pu en rester là. Mais de nombreuses associations de parents d’autistes (entre autres) se sont fortement mobilisées pour aider à la diffusion du documentaire [3], qu’elles considèrent généralement comme une bouffée d’oxygène leur permettant de faire connaître les situations de leurs adhérent-e-s, entre humiliations et parcours du combattant dans les structures institutionnelles françaises de psychiatrie et de psychologie où l'approche psychanalytique est hégémonique, ce qui constitue une exception par rapport au reste du Monde.
Ces mobilisations, le fait (qui en est sans doute une conséquence) que l’autisme ait été déclaré « grande cause nationale » pour 2012 par le Gouvernement, ainsi que les débats qui commencent à se tenir dans ce cadre, ont encore accru les soupçons qui pèsent sur l’(in)efficacité de la psychanalyse dans la prise en charge de ce handicap [4]. Un député envisage même de déposer une proposition de loi pour « interdire l'accompagnement psychanalytique des personnes autistes » !
Ainsi, face au spectacle d’une sorte de boucle de rétroaction que rien ne semble aujourd’hui pouvoir arrêter, et où toute tentative des psychanalystes pour se défendre semble « aggraver leur cas », Mme Roudinesco a donc écrit son article. Elle y déclare en particulier qu’ « on ne peut être qu'être indigné par (les) propos (de) bon nombre de psychanalystes - notamment ceux filmés par Sophie Robert dans le Mur – (affirmant) que l’autisme serait la conséquence d’un comportement des mères dites frigides, froides ou semblables à des gueules de crocodiles prêtes à dévorer leur progéniture. »
Cette allusion somme toute positive (en tout cas non négative) au documentaire de Sophie Robert a de quoi surprendre même le lecteur le plus bienveillant, tant celui-ci se souvient plutôt que Mme Roudinesco, qui se dit psychanalyste et historienne [5], peut être considérée comme la véritable gardienne du temple psychanalytique dans notre pays.
MME ROUDINESCO OU… SAUVER LA PSYCHANALYSE A TOUT PRIX (ET PAR TOUS LES MOYENS) ?
Notre lecteur bienveillant pourrait donc se demander, perplexe, si Mme Roudinesco n’est pas en train d’emprunter le sage chemin du libre examen qui sied à celui qui préfère la raison à la passion et les faits aux légendes.
Mais s’il surmonte une incrédulité bien compréhensible et lit le texte jusqu’au dernier paragraphe, il (je parle toujours de notre lecteur bienveillant) ne devrait pas manquer de constater, rassuré ou déçu, que Mme Roudinesco reste en fait tout à fait dans la ligne qui fut toujours la sienne : sauver la psychanalyse A TOUT PRIX (et par tous les moyens). Le lecteur qui pense que j’exagère pourra se reporter à ces propos du psychanalyste Gérard Haddad : « Roudinesco s’est autopromue historienne de la psychanalyse, caudillo des recensions médiatiques des ouvrages traitant de la question freudienne. […] Irascible mégère, dont la psychanalyse ne cesse de pâtir, compte tenu du pouvoir éditorial et médiatique conquis par ce censeur. » [6]
Quelques brefs rappels permettront d’étayer ces affirmations qui peuvent choquer :
1. quelques jours AVANT la sortie du Livre Noir de la Psychanalyse, en août 2005, Elisabeth Roudinesco a envoyé à divers journaux, organisations et associations une « note de lecture » contenant un certain nombre d'affirmations visant à décrédibiliser le « Livre Noir » et, pour ce qui concernait les critiques littéraires des journaux, à ne pas en rendre compte et à boycotter ses auteurs.
Même Laurent Joffrin, qui était alors rédacteur en chef du Nouvel Observateur, en fut interloqué : « Elisabeth Roudinesco a d'abord refusé de débattre avec un quelconque auteur du « Livre noir ». Elle nous a ensuite encouragés à passer sous silence purement et simplement l'ouvrage et à remplacer les extraits prévus par un long entretien avec elle. Le livre, disait-elle en substance, est politiquement louche, à la limite de l'antisémitisme. Accusation aussi grave que ridicule quand on connaît les auteurs du livre. » (propos toujours en ligne ici, près de sept ans après).
2. Dans un article dont on reparlera plus loin, elle a accusé Michel Onfray de « réhabilitation des thèses paganistes (sic) de l'extrême droite française » lorsque celui-ci a publié « le Crépuscule d’une Idole, l’Affabulation freudienne », en avril 2010.
3. De nombreuses précisions apportées par cet article de Bianco et Freixa « Elisabeth Roudinesco, ou comment utiliser les médias pour discréditer les opposants à la théorie freudienne » ne laissent guère de doutes sur ses objectifs, ses méthodes… et l’absence de vergogne qui les caractérise le plus souvent [7].
DE LA DIFFICULTÉ DE DÉFENDRE UNE PSEUDO-SCIENCE
Le lecteur pourrait s’étonner du paradoxe, voire de l’injustice, qui consiste à qualifier Mme Roudinesco de gardienne du temple psychanalytique, le jour-même où elle semble avoir une attitude plus constructive dans l’article évoqué.
Le paradoxe n’est qu’apparent. Car la psychanalyse présente de nombreuses caractéristiques d’une pseudo-science. En particulier celle-ci : si une science est éminemment modifiable, une pseudoscience se modifie par suite de conflits entre factions, par exemple lorsque l’une de ses affirmations devient franchement indéfendable face à l’avancée des connaissances, cette dernière étant toujours due à des personnes qui ne croyaient bien sûr pas à la pseudo-science concernée ; et non à une recherche « interne », par définition inexistante [8].
Comme le lecteur aurait aimé que Mme Roudinesco critique, sinon condamne, les élucubrations des psychanalystes filmés dans « Le Mur » AVANT que le film de Sophie Robert ne les rende, en les portant à la connaissance du grand public, indéfendables ! Mais après la lecture du paragraphe précédent, il vient de comprendre que c’était impossible…
Plus généralement, si elle le souhaitait, personne n’empêcherait Mme Roudinesco de réfuter à l’avenir les points de la doctrine psychanalytique qui lui paraissent incorrects AVANT que l’avancée des connaissances ne risque de les condamner. Mais elle ne le fera pas, car elle sait qu’alors un effet domino emportant sur son passage des pans entiers de la psychanalyse se produirait inévitablement. Ce que, nous l’avons vu, elle ne veut à aucun prix.
Et le naturel revient d’ailleurs au galop dans le dernier paragraphe de son article où 1. au lieu de mettre en garde contre la technique très controversée du packing et d’insister sur son caractère « non démontré scientifiquement », elle apporte son soutien à Pierre Delion qui en est, en France, le principal défenseur et 2. elle plaide pour « favoriser des prises en charge complexes », ligne de défense actuelle des psychanalystes mis en cause, bien davantage destinée à « sauver les meubles » qu’à améliorer la situation des autistes.
N’ayant jamais redouté l’auto-contradiction, Meme Roudinesco précise que tout ceci doit se faire « en accord avec les associations de parents » alors que, dans leur immense majorité, celles-ci ne veulent ni du « packing », ni des prétendues « prises en charges complexes » (voir ici pour une critique détaillée de cette ligne de défense).
PAS DE « POURQUOI TANT DE HAINE (SAISON 3) ? »
En 2005, peu après la sortie du Livre Noir de la Psychanalyse, qui fut la première tentative réussie de faire parvenir massivement des critiques de la psychanalyse aux oreilles du grand public francophone, Elisabeth Roudinesco publia un opuscule intitulé « Pourquoi tant de haine ? », en fait un recueil d'interviews qu'elle-même ou d'autres psychanalystes avaient déjà données dans la presse pour dire tout le mal qu'il fallait penser de l'ouvrage.
En 2010, lors de la sortie du livre de Michel Onfray « Le Crépuscule d’une Idole, l’Affabulation freudienne », qui fut la deuxième tentative réussie de faire parvenir massivement des critiques de la psychanalyse aux oreilles du grand public francophone, Elisabeth Roudinesco récidiva en publiant un opuscule intitulé… « Mais pourquoi tant de haine ? » [9].
Si, après la sortie du « Mur », troisième tentative réussie de faire parvenir massivement des critiques de la psychanalyse aux oreilles du grand public francophone, Mme Roudinesco ne nous a pas gratifiés de « Pourquoi tant de haine (Saison 3) ? », le lecteur aimerait penser, dans sa grande bienveillance, que c’est parce qu’elle est sur le chemin de la rédemption… Mais il est bien plus probable que sa relative mansuétude tienne tout simplement à la… haine, bien réelle celle-la, que Mme Roudinesco voue à Jacques-Alain Miller et à son « école ». Et peut bien davantage être interprétée comme une vengeance personnelle vis-à-vis des lacaniens d’obédience millerienne qui 1. ont porté plainte contre la documentariste et 2. viennent de faire condamner Mme Roudinesco dans une autre affaire récente [10].
Une mansuétude de circonstance, donc : il est dès lors bien difficile d’imaginer que par son exemple, Mme Roudinesco infirmera la maxime de Planck « la vérité ne triomphe jamais ; il arrive seulement que ses adversaires finissent par mourir » [11].
Et si le lecteur veut encore croire que Mme Roudinesco souhaite débattre sérieusement de la psychanalyse, qu’il n’oublie pas de se remémorer l’anecdote suivante : dans son article « Onfray et le fantasme antifreudien », compte-rendu d’une rare violence du livre de Michel Onfray évoqué ci-dessus, publié unfairly près d’une semaine avant sa sortie, Mme Roudinesco, probablement consciente que sa crédibilité s’effondrerait si elle venait à apparaître comme une fanatique refusant toute discussion sur la psychanalyse, feignait de trouver naturel le principe des débats et critiques à propos de celle-ci et écrivait ceci : « On est loin ici [dans le livre d’Onfray] d’un simple débat opposant les partisans et les adeptes de la psychanalyse ».
Vous avez bien lu : pour Mme Roudinesco, un débat sur la psychanalyse ne peut opposer que les partisans et les adeptes de la psychanalyse. Autrement dit ses partisans et... ses partisans !
Car quand bien même s’agirait-il, comme certains des lecteurs - favorables ou non à la psychanalyse - ne manqueront pas de le dire, d’un lapsus, quel meilleur moyen de montrer que dans l’article à l’origine de ce billet, Mme Roudinesco n’est pas crédible ?
[1] Il s’agit des trois psychanalystes Esthela Solano Suarez, Eric Laurent et Alexandre Stevens, tous membres de l' Ecole de la cause freudienne, dirigée par le gendre de Lacan, Jacques-Alain Miller.
[2] L'audience a eu lieu à Lille le 8 décembre 2011 et le jugement sera rendu le 26 janvier 2012.
[3] Elles ont également manifesté le 8 décembre, à Lille où se tenait le procès (voir note [2]), mais aussi à Paris, devant le siège de la très lacanienne Ecole de la Cause Freudienne (dirigée par Jacques-Alain Miller), à laquelle appartiennent les trois psychanalystes procéduriers (voir note [1]).
[4] Ainsi, lors des premières rencontres parlementaires sur l’autisme tenues le 12 janvier dernier à l’Assemblée Nationale, l’ambiance semblait largement être à la défiance vis-à-vis de la psychanalyse : les médias en ont largement rendu compte.
[5] quoiqu’à en croire le psychanalyste André Green, on puisse en douter : « Elisabeth Roudinesco se dit historienne et psychanalyste. [...] Je crains qu'elle ne soit pas plus psychanalyste qu'historienne. » (Le père omnipotent, magazine littéraire, 1993, 315, p. 22).
[6] Gérard Haddad, Le jour où Lacan m’a adopté, Grasset, 2002, Livre de Poche, 2007, p. 421.
[7] Ce papier établit que Mme Roudinesco n’accepte les invitations des médias que lorsqu’elle n’a pas de contradicteurs. Il ne reste alors plus qu’à compter sur les journalistes invitants pour être un tant soit peu « dérangeants »… ce qui est loin d’être toujours le cas : qui n’a encore en mémoire le triste comportement de Nicolas Demorand lui « servant la soupe » pendant 40 minutes, dans le 7-9 de France Inter, le 28 mai 2010 ?
J’ai fait moi-même l’expérience de ce refus de la contradiction. J’avais posté quelques « commentaires » sur le « mur Facebook » de Mme Roudinesco au-dessous de son article : ceux-ci ont été prestement supprimés, ainsi que d’autres qui n’étaient pas favorable à la dame.
[8] Voir, par exemple : Mario Bunge, The philosophy behind pseudoscience, Skeptical Inquirer, juillet 2006 et Jean Bricmont, Science et religion : l'irréductible antagonisme.
[9] On trouve des critiques de ces deux ouvrages par exemple ici et là, respectivement.
[10] Poursuivie pour diffamation par la fille de Jacques Lacan, Judith Miller, épouse de Jacques-Alain, Mme Roudinesco s’est vue condamnée, le 11 janvier dernier. Elle devrait faire appel.
[11] en fait, si l’on retient souvent sa maxime sous cette forme, Max Planck a dit en réalité plus exactement quelque chose comme : « Une nouvelle vérité scientifique ne triomphe pas en convainquant ses adversaires et en leur faisant voir la lumière, mais plutôt parce que ses adversaires finissent par mourir, et qu’une nouvelle génération, pour laquelle cette nouvelle vérité est familière, grandit ». Voir : http://en.wikiquote.org/wiki/Max_Planck