Les mouvements populaires, les Révolutions qui secouent aujourd'hui le monde arabe sont une inconnue géopolitique qui n'a que peu de précédents historiques. Des révolutions, oui, des révolutions en chaîne, c'es plus rare. L'émulation libertaire, le besoin de reconnaissance et respect qui s'exprime à l'unisson dans les pays arabes peut être rapproché du Printemps des peuples en europe en 1848. La France venait de renverser Louis-Philippe et les Parisiens, du haut de leurs barricades de février attendaient que la Seconde République soit sociale. Dès juin, on sut qu'il n'en serait pas ainsi et Lamartine rappellait déjà les intérêts nationaux en préférant le drapeau tricolore à l'autre, le rouge, qu'il jugeait tâché de sang.
En Tunisie et en Egypte, en Libye aussi, les héros de la révolution, attendent des mesures fortes. Même si des lois sociales sont attendues, la première revendication reste la liberté, la liberté d'expression et la liberté politique. le nationalisme et la fierté sont bien évidement présents, mais il y a aussi une solidarité avec les autres peuples arabes en lutte qui s'affiche dans les opinions publiques. Les rues de Tunis ont grondé lorsque Kadshafi a commencé à réprimer la rébellion, celles de Damas lorsque les Syriens ont envoyé de l'aide en Libye.
A l'époque, les peuples d'Europe s'étaient levés tours à tours pour réclamer un Etat national, la liberté, à l'instar des Français. Polonais, Tchèques, Hongois, Allemands, Italiens... réclamaient la fin des Empires supra-nationaux et la liberté ou l'iunité de leur peuple. La plupart de ces révoltes furent écrasées dans le sang par les militarismes de Prusse, d'Autriche et de Russie. La France ne tenait plus à libérer les autres peuples par les armes, comme pendant les guerres de la Révolution. Coup de froid sur le Printemps.
Aujourd'hui, la contagion révolutionnaire joue à plein dans ce que Bush appelait le grand Moyen-orient. Son fiasco irakien a sans doute ralenti le processus, alors qu'il était sensé l'enclencher. La défiance des peuples arabes vis à vis de l'Europe et plus encore des Etats-unis rendent chacune de leurs actions suspectes. La sympathie énorme des opinions publiques en Europe pour la Révolution de Jasmin en Tunisie, puis pour celle de l'Egypte, le soutien aux révoltés libyens montre une solidarité des peuples qui ne s'exprimait plus depuis bien longtemps entre les deux rives de la Méditerranée.
Les révolutionnaires arabes, au Caire ou à Tunis, à Benghazi ou à Damas, à Manama ou Sanaa, demandent tous l'obtention de droits politiques, et d'abord la liberté d'expression. Cette liberté, que certains ont parfois qualifiée de futile, tant elle était évidente en Europe de l'ouest, est une nouveauté dans ces pays qui tous, étaient soumis par des régimes autoritaires. La peur n'a plus d'effet, même lorsque l'on connait la féroce police politique, les arrestations et détentions arbitraires, la croyance en la liberté est plus forte que les matraques.
Le jeu d'intimidation qui se joue entre les forces de sécurité et les manifestants, c'est un combat entre l'avenir et le passé. Les débats, que les juristes peuvent trouver naïfs, sur les futures Constitutions sont la preuve de cette foi en la démocratie future, qui choisit d'adhérer à la conception des Droits de l'Homme, non plus perçue comme occidentale mais comme universelle. Tous les épouvantails sont brandis depuis Ben-Ali jusqu'à Kadhafi pour dénoncer le terrorisme, les mafias, les désordres qui risquent de résulter du changement.
Les nouvelles manifestations au Caire prouvent que les Egyptiens n'entendent pas que leur révolution soit confisquée ou amputée par l'armée. De même en Tunisie, l'opinion publique veille à ce qu'un nouveau régime crédible se mette en place. Le peuple veut être souverain : on dénonce toute arrestation arbitraire, les journaux publient, les journalistes enquêtent, c'est la fin du secret. Au moins le début de la fin.
Nous ne sommes qu'au début du printemps. Les nombreuses élections présidentielles en Afrique cette année risquent également d'amener des changements, l'Iran peut aussi connaitre une évolution si le mouvement de contestation reprend. Le printemps des peuples, à l'inverse, peut aussi s'arrêter, noyé dans le sang, si l'Europe et l'Amérique n'apportent pas tout leur soutien aux mouvements populaires du Moyen-orient. L'Algérie et le Maroc peuvent entrer dans la voie des réformes par crainte d'un scénario libyen ou tunisien.
La peur du changement est vaine, le monde change inexorablement.