D'anciens hauts fonctionnaires socialistes, se faisant appeler « Les Gracques », ont lancé une charge violente contre les dirigeants grecs, dans une tribune publiée le 15 juin, dans « Les Echos ». Les signataires souhaitent, dans le fond, la capitulation du pays face à l'Union européenne.
Utiliser l’anonymat présente l’avantage de permettre aux signataires d’un article d’exposer librement le fond de leur pensée, des idées que l’on n’oserait peut-être pas exposer autrement. Au bas de la tribune intitulée « Grèce: ne laissons pas M. Tsipras braquer les banques ! » dans « Les Echos » du 15 juin, il est précisé que les signataires (« Les Gracques ») sont « d’anciens hauts fonctionnaires socialistes ». Une précision utile car, à la lecture de ce pamphlet contre la Grèce, on aurait pu croire qu’ils venaient plutôt d’un univers conservateur.
De quoi est-il question dans cette tribune ? D’une véritable croisade contre la Grèce et ses dirigeants. D’entrée de jeu, la Grèce est comparée à la Zambie et au Zimbabwe ! Les Grecs ont dû apprécier cette belle manifestation de solidarité au moment où ils sont confrontés à une terrible épreuve. Militer avec ferveur pour la cause européenne justifie-t-il que l’on méprise l’autre lorsqu’il ne vous ressemble pas, lorsqu’il ne vote pas comme vous ?
Quelle faute ont donc commis les Grecs pour être à ce point tournés en ridicule ? Ils « ont élu Syriza, avec le mandat d’augmenter les revenus et de revenir aux déficits en les faisant payer par les Européens ». Au nom d’une Europe que l’on aimerait uniforme, sur un modèle bien précis (« ces visages familiers » chers à M. Juncker), on abîme ainsi l’idée européenne, on donne un grand coup de canif dans ce qui est l’essence même de la démocratie, le droit de choisir ses dirigeants.
La critique ne porte pas seulement sur le droit à l’alternance. Il porte sur le fonctionnement même de la zone monétaire européenne : « La Grèce veut une union de transferts où son Parlement enverrait sa facture tous les ans »… Doit-on rappeler à ceux qui défendent l’euro sans réserve que sans une union de transferts, identique à celle qui existe entre l’Etat de New-York et celui de Californie, l’euro ira de crise en crise ? Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, l’a rappelé récemment : « Il ne peut y avoir de survie de la zone euro sans transferts des pays riches vers les faibles ». On ne peut être favorable à l’euro et ne pas en accepter les contraintes.
Vient alors l’aveu sur les raisons profondes de cette fébrilité guerrière : « Céder à la Grèce encouragerait les stratégies d’extorsion dans les autres Etats ». Rien de moins ! M. Tsipras est un « braqueur » ! En quelque sorte, l’objectif est d’obtenir progressivement la reddition des dirigeants grecs, c’est-à-dire le reniement de leurs engagements électoraux, pour éviter que le vote du peuple grec ne fasse tache d’huile dans une grande partie de la zone euro. Suit une description apocalyptique des malheurs qui attendent la Grèce si cet appel à la reddition n’était pas entendu : distribution d’assignats, retour à l’économie de troc, dévaluation sauvage, expulsion de l’Union européenne…
S’il fallait à nouveau démontrer qu’une monnaie unique entre Etats souverains est un exercice compliqué, cette tribune des «Gracques» en serait une bonne illustration. N’en déplaise aux signataires, quelle que soit l’évolution de la crise grecque, même en cas de sortie de l’euro, la solidarité européenne devra être au rendez-vous. La Grèce est au cœur de l’Europe. Les Etats créanciers ont imposé pendant cinq ans une politique qui a conduit à l’effondrement du produit national et au gonflement de la dette ; ils ont leur part de responsabilité dans la crise.
Les sommets européens ne traitent pas l’essentiel, l’annulation d’une partie de la dette et la compétitivité de l’économie grecque. Transformer la gouvernance de la zone euro en une Sainte-Alliance destinée à réprimer toute tentative de politique économique alternative de gouvernements démocratiquement élus, en Grèce ou ailleurs, ne pourra qu’aggraver la crise que traverse l’Europe.
Les Echos 23 juin 2015 http://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-134180-non-a-une-sainte-alliance-en-zone-euro-1130873.php